A coup sûr ni ce que Jacob a fait ou dit à son père pour attirer sa bénédiction, ni ce que Joseph a dit à ses frères comme pour les induire en erreur, ni la folie simulée de David, ni les autres faits de ce genre ne doivent être regardés comme des mensonges, mais bien comme des paroles ou des actions prophétiques qu'il faut rapporter à quelques vérités proposées à l'intelligence; ce sont comme des voiles figuratifs sous lesquels on enveloppe celles-ci, pour exercer l'âme pieuse et ne pas diminuer leur prix, en les exposant à ses yeux immédiatement et sans nuages. Et quand nous tirons de leur mystérieuse obscurité des faits qui nous sont manifestés ailleurs clairement et ouvertement, la connaissance s'en renouvelle pour ainsi dire, en nous, et ce renouvellement a ses charmes. Si on les cache ainsi, ce n'est point pour en priver les fidèles, mais pour en augmenter le prix à leurs yeux, afin qu'en les dérobant à demi à l'ardeur de leurs désirs, on rende plus vif le plaisir de les trouver. Cependant on les appelle vérités et non mensonges : car ce sont des choses vraies, et non des choses fausses, qui sont exprimées ainsi en parole ou en action; on leur donne même le nom des choses qu'elles figurent. Or on ne les regarde comme des mensonges, que parce qu'on ne les considère pas par rapport aux vérités qu'elles signifient; mais qu'on s'attache aux mots mêmes, qui sont réellement faux.
Pour éclaircir tout cela par des exemples, examine un peu ce qu'a fait Jacob. Il est certain qu'il s'est couvert d'une peau de chevreau; au premier abord, nous taxerons cela de mensonge, car son intention était d'être pris pour ce qu'il n'était pas. Mais si nous faisons attention au fait figuré auquel le fait se rapportait réellement, nous trouverons que la peau de chevreau et celui qui s'en est revêtu représentaient celui qui a porté des péchés qui n'étaient pas les siens, des iniquités qui lui étaient étrangères. Une signification vraie ne peut donc en aucune façon être appelée mensonge. Or il en est des actions comme des paroles. Quand Isaac demanda à Jacob : « Qui es-tu, mon fils? » il répondit : « Je suis Esaü, votre premier-né ». A ne considérer que les deux jumeaux, c'était un mensonge ; mais si ces paroles et ces actions sont prises dans leur sens figuré, on retrouvera dans son corps, qui est l'Eglise, Celui qui a dit, par allusion à cet événement : « Quand vous verrez Abraham, Isaac, Jacob et tous les Prophètes dans le royaume de Dieu et vous chassés dehors. Et il en viendra de l'orient et de l'occident, et de l'aquilon et du midi, et ils auront place au festin dans le royaume de Dieu ; et il y aura des derniers qui seront des premiers, et des premiers qui seront des derniers ». C'est ainsi que le plus jeune a en quelque sorte enlevé la primogéniture et l'a transportée sur lui-même.
(Saint Augustin, Contre le mensonge, ch. 10. En relation avec la lecture de la Genèse en ce jour, cf. ma note de l’an dernier.)