L'Eglise connaît deux vies, parce que Dieu lui en a parlé et les lui a fait connaître, l'une qui consiste à croire, l'autre à voir distinctement; l'une qui s'écoule dans ce triste pèlerinage, l'autre qui demeurera pendant l'éternité; l'une, qui se passe dans les agitations, l'autre, où l'on se reposera; l'une, qui appartient à notre voyage ici-bas, l'autre, dont on jouira dans la patrie; l'une, occupée par le travail, l'autre, récompensée par la claire vue de Dieu; dans l'une, on évite le mal et l'on fait le bien, dans l'autre, il n'y a aucun mal à éviter, et l'on y jouit d'un bonheur sans limites: l'une consiste à lutter contre l'ennemi, l'autre, à régner sans rencontrer d'adversaire; dans l'une, on se montre fort contre l'adversité, dans l'autre, rien de pénible ne nous tourmentera; ici, il faut dompter les convoitises charnelles, là, on sera plongé dans un océan de délices spirituelles; l'une est troublée par la difficulté de vaincre, l'autre est tranquille parce qu'elle jouit de la paix de la victoire; au milieu des épreuves, la première a besoin de secours, la seconde ne rencontre aucune difficulté et puise la joie en celui-là même qui aide les malheureux; dans l'une, on vient au secours des indigents, dans le séjour de l'autre, on ne trouve aucun infortuné; ici, on pardonne aux autres leurs péchés, afin d'obtenir d'eux indulgence pour les siens; là, on ne souffre rien qu'on doive pardonner, on ne fait rien qui exige l'indulgence d'autrui; dans l'une, on est accablé de maux pour que la prospérité n'engendre pas l'orgueil; dans l'autre, on est comblé d'une telle abondance de grâces, qu'on est à l'abri de tout mal et qu'on s'attache au souverain bien sans éprouver le moindre sentiment d'orgueil; l'une est témoin du bien et du mal, l'autre ne voit que du bien; l'une est donc bonne, mais malheureuse, l'autre est meilleure et bienheureuse; la première a été figurée par l'apôtre Pierre, la seconde par l'apôtre Jean; l'une s'écoule tout entière ici-bas, elle s'étendra jusqu'à la fin des temps et y trouvera son terme; l'autre ne recevra sa perfection qu'à la consommation des siècles, mais dans le siècle futur elle n'aura pas de fin.; aussi dit-on à l'une « Suis-moi », et à l'autre : « Je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne ; que t'importe? Suis-moi ». Que veulent dire ces paroles? Autant que je puisse en juger, autant que je puis le comprendre, elles n'ont pas d'autre signification que celle-ci: Suis-moi en m'imitant, en supportant comme moi les épreuves de la vie; pour lui, qu'il demeure jusqu'au moment où je viendrai mettre les hommes en possession des biens éternels.
(Saint Augustin, traité 124 sur l’évangile de saint Jean)