« O Seigneur, je suis votre serviteur ; je suis votre serviteur, et le fils de votre servante. Vous avez brisé mes liens, je vous sacrifierai un sacrifice de louanges (Ps. 115) ! » Que mon cœur, que ma langue vous louent, et que tous mes os s’écrient : « Seigneur, qui est semblable à vous ? » Qu’ils parlent, et répondez-moi ; et « dites à mon âme: Je suis ton salut (Ps. 34). » Qui étais-je ? et quel étais-je ? Combien de mal en mes actions ; et, sinon dans mes actions, dans mes paroles ; et, sinon dans mes paroles, dans ma volonté ? Mais vous, Seigneur de bonté et de miséricorde, vous avez mesuré d’un regard la profondeur de ma mort, et vous avez retiré du fond de mon cœur un abîme de corruption. Et il ne s’agissait pourtant que de ne pas vouloir ma volonté, et de vouloir la vôtre !
Mais où était donc, durant le cours de tant d’années, et de quels secrets et profonds replis s’est exhumé soudain mon libre arbitre, pour incliner ma tête sous votre aimable joug, et mes épaules sous votre léger fardeau, ô Christ, ô Jésus, mon soutien et mon rédempteur ? Quelles soudaines délices ne trouvai-je pas dans le renoncement aux délices des vanités ? En être quitté, avait été ma crainte, et les quitter, était ma joie. Car vous les chassiez de chez moi, ô véritable, ô souveraine douceur ! vous les chassiez, et, à leur place, vous entriez plus aimable que toute volupté, mais non au sang et à la chair ; plus éclatant que toute lumière, mais plus intérieur que tout secret ; plus élevé que toute grandeur, mais non pour ceux qui s’élèvent en eux-mêmes. Déjà mon esprit était libre du cuisant souci de parvenir aux honneurs, aux richesses, de rouler dans l’impureté, et d’irriter la lèpre de mes intempérances ; et je gazouillais déjà sous vos yeux, ô ma lumière, ô mon opulence, ô mon salut, Seigneur, mon Dieu !
(Confessions, livre 9, trad. M. Moreau)