Voyons donc ce que le Christ a voulu mous faire entendre par ce paralytique : « Il était malade depuis trente-huit ans ». Comment ce nombre d’années indiquait-il plutôt la maladie que la santé ? Le nombre quarante nous est signalé comme un nombre sacré, parce qu’en un sens, il est parfait. Vous le savez, le jeûne tire sa consécration de ce nombre de jours. En effet, Moïse a jeûné quarante jours ; Elie a fait de même ; et notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ a aussi jeûné le même espace de temps. Moïse représentait la loi, Elie les Prophètes, et Jésus-Christ l’Evangile.
Considéré dans son sens large, et pris en général, le jeûne consiste à s’abstenir de tout péché et de toutes les iniquités du siècle; oui, voilà le véritable jeûne : « C’est renoncer à l’impiété, aux désirs du siècle, et vivre dans le siècle avec tempérance, avec justice et avec piété». Dans le cours de cette vie, nous observons, en quelque sorte, l’abstinence du carême, lorsque nous nous conduisons bien et que nous nous abstenons du péché et des plaisirs défendus. Le nombre quarante indique en un sens que les bonnes œuvres sont arrivées à leur terme: par bonnes œuvres j’entends surtout un certain retranchement des désirs coupables du siècle, c’est-à-dire, le jeûne pris dans son acception la plus étendue.
Ecoute l’Apôtre. Voici ce qu’il dit lui-même : « L’amour est la plénitude de la loi ». Comment nous vient la charité ? Par la grâce de Dieu, par l’Esprit-Saint. Nous ne pouvons la posséder de nous-mêmes, comme si nous la faisions ; c’est un don de Dieu, et un don inappréciable : « Car, dit Paul, la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné ». La charité accomplit donc la loi, et c’est en toute vérité qu’il a été dit : « La charité est la plénitude de la loi. » La charité accomplit la loi : et à l’entier accomplissement de la loi, en n’importe quelles œuvres, se rapporte le nombre quarante.
Mais, relativement à la charité, nous avons reçu deux commandements : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ces deux commandements renferment toute la loi et les Prophètes. » La veuve de l’Evangile n’a-t-elle pas fait don à Dieu de deux misérables pièces qui composaient tout son avoir ? Est-ce que l’hôtelier n’a pas reçu deux deniers pour veiller à la guérison du malheureux blessé que des voleurs avaient laissé à moitié mort sur le chemin ? Jésus n’a-t-il point passé deux jours chez les Samaritains, pour les affermir dans la charité ? Lorsqu’il s’agit de quelque bonne œuvre, le nombre deux a donc trait au double précepte de la charité: de là il suit que le nombre quarante indique l’entier accomplissement de la loi, et que la loi n’est accomplie que par l’observation du double précepte de la charité : alors, pourquoi s’étonner si celui à qui le nombre deux manquait pour parvenir à quarante, gisait sous le poids de la maladie ?
(extraits du 17e traité sur saint Jean, de saint Augustin)