Il y a du bon et du moins bon, mais il y a quelque chose, ce qui est déjà beaucoup, dans le Message du conseil permanent des évêques de France à l ‘occasion des prochaines élections. Il est manifeste que le pontificat de Jean-Paul II commence (enfin !) à porter ses fruits, et que celui de Benoît XVI accroît singulièrement le mouvement.
Il y a tout d’abord ce qui devrait aller de soi, mais qui fait presque figure de nouveauté, tant on avait l’habitude de voir les évêques s’exprimer en matière politique et sociale comme si Dieu n’existait pas. Le message commence par « l’appel de Dieu à la conscience de l’homme » : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » Les évêques auraient pu rappeler (car qui aujourd’hui connaît la Genèse ?) qu’il s’agit en fait de l’acte d’accusation de Caïn qui vient de tuer son frère Abel. Cela donne au propos un sens très fort : comment as-tu pu tuer ton frère ? Les évêques ont semble-t-il eu peur de dire que les atteintes à la fraternité – à la charité – sont littéralement homicides.
Mais on doit leur donner acte qu’ils soulignent que pour un chrétien la fraternité vient du fait que nous disons Notre Père.
Et le message se conclut par une citation de la première épître de saint Pierre, se terminant ainsi : « Honorez tout le monde, aimez vos frères, craignez Dieu ». Un document épiscopal qui conclut sur la « crainte de Dieu », voilà qui est assez remarquable.
Le message évoque avec une certaine insistance la « doctrine sociale de l’Eglise », expression qui avait quasiment disparu, parce qu’on ne voulait pas laisser penser que l’Eglise puisse, avec une autorité doctrinale, empiéter sur les prérogatives des acteurs laïques.
Le message reprend aussi l’expression « vivre-ensemble », qui pour le coup vient d’ailleurs, et qui est devenue une tarte à la crème du politiquement correct. Mais les évêques lui donnent un sens précis. National. Mais oui. L’homme doit « répondre librement à l’appel à aimer sa famille, sa cité et son pays ». « Il n’est pas de citoyen du monde qui ne soit d’abord citoyen de son pays. » « Aimer son pays, soulignent-ils, ne consiste pas seulement à l’aimer virtuellement, par à coup, où lorsque tel événement suscite l’émotion. » La charité exige que le chrétien porte secours à son frère en difficulté, mais cela « n’épuise pas les devoirs », la charité exige aussi l’action politique : « L’action, par le biais du politique, est une forme indispensable de l’amour du prochain. Celui qui méprise le politique ne peut pas dire qu’il aime son prochain et répond à ses attentes. Celui qui méprise le politique méprise la justice. »
Les évêques soulignent que si les hommes politiques « sont conduits à se plier au fonctionnement des médias où le slogan masque souvent la complexité des analyses de situation », le citoyen est en droit d’attendre d’eux « un effort de vérité devant les effets de la médiatisation », et ils ajoutent que le débat est essentiel, car « la démocratie, pour vivre, a besoin que chacun puisse exprimer son avis et l’exprime effectivement ».
Qu’on le veuille ou non, et assurément les rédacteurs du message ne le veulent pas, ces propos concernent au premier chef le sort qui est réservé à Jean-Marie Le Pen et au Front national. Car ceux-ci ne doivent pas seulement se plier au fait que le slogan masque les analyses, ils doivent d’abord subir des slogans fabriqués contre eux, et ils ne peuvent pas exprimer effectivement leur avis, malgré leur gigantesque « effort de vérité » tentant de faire face à l’attitude hostile des médias.
Mais les évêques ne pensent pas seulement aux hommes politiques, ils pensent aussi à eux-mêmes : plus loin, ils disent que « l’Eglise est prête à prendre part à un débat loyal où son avis ne serait pas disqualifié au départ ou marginalisé »… C’est à propos des questions de la vie et de la famille. Et sur ces sujet le message est ferme : « Comment construire la confiance si la société accepte l’exclusion des plus faibles, depuis la pratique de l’avortement jusqu’à la tentation de l’euthanasie ? » Il faut « promouvoir l’institution familiale », soulignent-ils, il est nécessaire de « garder au mariage son caractère unique d’union acceptée librement, ouverte à la procréation et institutionnellement reconnue ».
Dans le cadre des « chantiers de la fraternité », le message évoque aussi, bien entendu, l’immigration. Ici, le discours est plus flottant, et balance entre le fameux accueil de l’étranger, qui doit être « généreux », et le fait que « nous ne pouvons pas recevoir tout le monde ». Balancement qui devient très périlleux lorsque les évêques affirment d’un côté qu’il est « normal que notre pays définisse une politique de l’immigration » (on en prend acte), et de l’autre côté qu’il est « impossible de renvoyer tous les clandestins » : il est normal que la loi définisse qui est clandestin, mais on ne peut pas appliquer la loi…
C’est un balancement du même type que l’on constate en ce qui concerne l’Europe. D’un côté « l’Europe est devenue la condition de la liberté et de la prospérité de notre pays », mais il existe un bien commun national, et si l’unité nationale prend une nouvelle forme avec la régionalisation et l’Union européenne, on ne peut accepter une « disparition de l’Etat au profit d’une construction européenne qui risquerait alors de se réduire à des structures bureaucratiques ». C’est pourquoi les évêques en appellent à « un sens renouvelé de l’Etat, garant de l’unité nationale, dans un espace circonscrit à la fois par les régions et par l’Europe élargie ».
Et ils concluent : « La prochaine présidence de la République aura à cet égard un rôle décisif. » En effet. Mais quel est le candidat qui met en avant l’unité nationale et refuse la disparition de l’Etat dans le magma « européen » ?