Le 17 mars, le procureur général de la Cour pénale internationale, Karim Khan, a lancé un mandat d'arrêt à l'encontre du président russe Vladimir Poutine et de sa commissaire aux droits de l'enfant, Maria Llova-Belova. Ce mandat les accuse d'avoir procédé à la "déportation illégale" de milliers d’enfants ukrainiens vers un "réseau de camps" à travers la Fédération de Russie.
Il appert que la décision de la CPI est fondée sur un rapport du Laboratoire de recherche humanitaire (LRH) de l'université de Yale. Les travaux ont été financés et guidés par le Bureau des opérations de conflit et de stabilisation du Département d'État, une entité créée par le gouvernement Biden en mai 2022 pour faire avancer les poursuites contre les responsables russes.
Lors d'une interview sur CNN, le directeur exécutif du LRH de Yale, Nathaniel Raymond, a affirmé que son rapport apportait la preuve que "des milliers d'enfants sont pris en otage". Evoquant l'Holocauste, M. Raymond a affirmé : "Nous avons affaire au plus grand réseau de camps d'enfants jamais vu au XXIe siècle", ce qui peut constituer « une preuve de génocide ». « Ils essaient d’en faire des Russes, des milliers d’enfants sont en situation d’otages », ils ont été arrachés à leurs parents et ils subissent un entraînement militaire forcé. « Ça rend malade, vraiment malade », commentait le journaliste de CNN.
Pourtant, lors d'un entretien avec Jeremy Loffredo, le co-auteur de ce rapport, et dans son propre article pour LRH Yale, Raymond a contredit bon nombre des affirmations grandiloquentes qu'il avait faites aux médias au sujet des enfants otages. Lors d'une conversation téléphonique avec Loffredo, Raymond a reconnu qu'une "grande partie" des camps sur lesquels son équipe a enquêté étaient "principalement destinés à l'éducation culturelle – de façon, je dirais, bisounours".
Le rapport de Yale reconnaît également que la plupart des camps qu'il a étudiés offraient des programmes récréatifs gratuits à des jeunes défavorisés dont les parents cherchaient à "protéger leurs enfants des combats incessants" et à "s'assurer qu'ils disposaient d'une nourriture nutritive du type de celle qui n'est pas disponible là où ils vivent". Selon le document, la quasi-totalité des enfants des camps sont rentrés chez eux en temps voulu après avoir participé au camp avec l'accord de leurs parents. Le rapport concède en outre qu'il n'a trouvé "aucune trace de mauvais traitements infligés aux enfants".
Yale a entièrement fondé ses recherches sur les données satellitaires de Maxar et internet. Le LRH a admis qu'il n'avait effectué aucune recherche sur le terrain, déclarant qu'il "ne mène pas d'enquêtes sur le terrain et n'a donc pas demandé l'accès aux camps".
Contrairement aux enquêteurs de Yale qui ont inspiré le mandat d'arrêt de la CPI, M. Loffredo a eu un accès illimité à un camp du gouvernement russe à Moscou qui accueille des jeunes de la région du Donbas déchirée par la guerre. Bien qu'il s'agisse précisément du type de centre que le LRH de Yale - et par extension la CPI - a dépeint comme un "camp de rééducation" pour les enfants ukrainiens pris en otage, il a trouvé un hôtel rempli de jeunes heureux recevant gratuitement des leçons de musique classique dans leur langue maternelle, le russe, de la part d'instructeurs de premier ordre.
Au camp de musique Donbas Express, situé juste à l'extérieur de Moscou, les jeunes ont dit à M. Loffredo qu'ils étaient reconnaissants d'avoir trouvé un refuge contre la campagne de bombardement et d'assiégement de l'armée ukrainienne qui durait depuis des années. En fuyant la guerre au Donbas, ces enfants ont échappé à un conflit militaire cauchemardesque pour lequel Yale et la CPI n'ont manifesté que peu ou pas d'intérêt.
Ci-après le témoignage intégral de Jeremy Loffredo.
Lorsque moi, Jeremy Loffredo, ai visité un camp de musique pour jeunes en Russie en novembre 2022, je ne savais pas que le gouvernement américain exploiterait bientôt des programmes altruistes tels que celui dont j'ai été témoin pour faire avancer une guerre politique.
À l'époque, j'étais en mission à Moscou pour Rebel News, mon ancien employeur, afin de réaliser des interviews de gens ordinaires dans la ville.
Après avoir rencontré quelqu'un dont la femme était influente sur la scène musicale russe, j'ai été invité, à 70 kilomètres au sud-ouest de Moscou, à visiter le type de programme décrit par les chercheurs financés par le département d'État comme un "camp de rééducation". C'est là, dans un hôtel de l'ère soviétique de la ville de Pokrovskoye, que j'ai pénétré dans l'une des soi-disant installations aujourd'hui au centre du mandat d'arrêt de la CPI à l'encontre de Poutine.
Au moment de ma visite, le gouvernement russe avait transformé l'hôtel en un camp de vacances improvisé pour les enfants originaires des républiques séparatistes de Donetsk et de Lougansk. Le centre que j'ai visité, baptisé "Donbas Express", avait pour mission de dispenser une formation classique aux enfants intéressés par les arts musicaux. Les parents qui souhaitaient protéger leur famille du conflit dans leur pays avaient inscrit leurs enfants au programme.
Petr Lundstrem, violoniste professionnel et enseignant au Donbas Express, m'a expliqué : "Grâce au soutien du Fonds présidentiel de l'État, nous avons pu faire venir 80 enfants des régions de Donetsk et de Lougansk. Ce sont de jeunes musiciens talentueux et ils sont ici pour 12 jours. Ils vivent ici et prennent des leçons avec des professeurs de musique exceptionnels. Ils organisent des concerts. Ils reçoivent une éducation.”
Malgré ses lacunes flagrantes et l'absence de corroboration sur le terrain, le rapport de Yale a mis le doigt sur une chose concernant l'expérience des enfants inscrits au Donbas Express : il est probable qu'ils gardent le secret sur leur participation au programme. Aux yeux des autorités ukrainiennes, le simple fait de se rendre en Russie - même pour des leçons de musique gratuites - équivaut à collaborer avec l'ennemi. Comme l'indique le rapport lui-même, "de nombreuses familles ukrainiennes ne veulent pas partager publiquement leur expérience [du camp ou de l'école] parce qu'elles craignent d'être considérées [par l'Ukraine] comme des collaborateurs de la Russie".
Au sujet des élèves impliqués dans Donbas Express, Petr Lundstrem a déclaré : "Pour que vous compreniez ce qui est fait à des enfants comme ceux-là en Ukraine... les enfants qui reçoivent une aide quelconque du peuple russe ou de l'État russe... ils seraient tout simplement tués."
Pendant une grande partie de leur vie, ces jeunes ont vécu quotidiennement sous la menace de la mort. Pendant les huit années qui ont précédé l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, la population ethniquement russe du Donbas a subi des bombardements réguliers de la part du gouvernement nationaliste de Kiev, soutenu par les États-Unis. Même avant février 2022, ce conflit avait fait des milliers de morts parmi les civils, y compris des enfants comme ceux que j'ai rencontrés au Donbas Express.
"Bien sûr, beaucoup [de jeunes inscrits à Donbas Express] ont été très affectés par ce conflit", a déclaré M. Lundstrem. "Beaucoup d'entre eux ont perdu leur maison. Certains d'entre eux ont perdu leurs parents et leurs amis. Dans la zone de conflit, ils ne peuvent pas poursuivre leurs études musicales professionnelles. À Donetsk, les institutions philharmoniques et d'enseignement général ne fonctionnent pas.
Bien que le rapport de Yale, financé par le département d'État, veuille faire croire aux Américains que l'ouverture par la Russie de camps tels que le Donbas Express s'apparente à des crimes de guerre, les étudiants que j'ai rencontrés sur place ne voulaient pas partir.
"Bien sûr, ils veulent tous que ce programme continue. Ils veulent rester et que cela continue encore et encore. Mais nous ne pouvons faire que ces petites choses. Nous recommencerons peut-être à l'avenir", m'a dit M. Lundstrem.
J'ai parlé à deux étudiants de Donbas Express face à la caméra. Chacun d'entre eux a exprimé sa gratitude à l'égard du programme.
"Je suis ici sur invitation, sur une invitation généreuse", a déclaré un étudiant de Donetsk. "Je n'aurais jamais pensé pouvoir venir à Moscou. J'ai aidé à donner des concerts, ce qui est utile pour l'enrichissement spirituel et la purification de l'âme. Et je suis ici pour développer mes talents de musicien".
"Ici, nous poursuivons nos études musicales en dépit de ce qui se passe autour de nous, car cela nous soulage", m'a dit un autre jeune du Donbas.
Comme tous les autres élèves du programme, ces musiciens en herbe ont grandi dans une région en rébellion ouverte contre un gouvernement ukrainien qui a interdit leur confession religieuse orthodoxe russe, cherché à proscrire la langue russe et attaqué violemment la population d'origine russe du pays.
La plupart, sinon la totalité, des étudiants inscrits au Donbas Express s'identifient à la nation russe, selon leur professeur. Ils ont ce chant [patriotique], "Ma patrie revient", commente M. Lundstrem. Ces 80 enfants la criaient tous. Ils hurlaient tout simplement ce chant.
Mais l'enseignant a insisté sur le fait que "nous n'organisons pas [le Donbas Express] pour des raisons politiques. Nous ne sommes pas là pour dire, par exemple, La Russie pour toujours ! Nous sommes ici pour aider ces enfants. Mais bien sûr, nous sommes russes".
Les sympathies politiques et l'origine ethnique russe des enfants qui ont voyagé de l'est de l'Ukraine vers des programmes tels que le Donbas Express ne sont mentionnées qu'en passant dans le rapport de Yale.
Traduction d’un extrait d’un article fleuve de Grayzone.
Commentaires
Décidément, les autorités états-uniennes constitue une fameuse bande de pourris.
Mais alors... pas du menu fretin, des pourris de compétitions.