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2e dimanche de la Passion, dimanche des Rameaux

Deux extraits du troisième sermon du bienheureux Guerric d’Igny pour le dimanche des Rameaux.

Si donc, ainsi que j'avais commencé à le dire, on considère à la fois la marche et la passion de Jésus-Christ, on le voit d'un côté, glorieux et élevé, de l'autre humble et couvert de chagrins. Dans la procession, on le voit entouré d'honneur comme un roi, dans la passion, puni comme un malfaiteur. Là, le triomphe et la pompe l'entourent, ici il n'y a ni éclat ni beauté. Joie des hommes et objet de l'enthousiasme populaire, il est d'un autre côté l'opprobre des humains et le rebut de la populace. Ici on l’acclame : « Hosanna au Fils de David, béni soit celui qui vient, roi d'Israël (Matth. XXI, 9), » là, on hurle : « Il est digne de mort (Joan. XIX, 7), » et on lui reproche d'avoir voulu se faire passer pour roi d'Israël. Ici, on marche à sa rencontre en tenant des rameaux à la main, là, on lui donne des coups de poing à la figure et on frappe sa tête d'un roseau. Entouré d'hommages d'une part, il est rassasié d'opprobres d'une autre. Ici, à l'envi, on couvre son chemin des vêtements d'autrui, là il est dépouillé même des siens. Ici, il est accueilli à Jérusalem comme un roi juste, comme un libérateur, là il est chassé comme un criminel et un séducteur convaincu. D'un côté, il est assis sur un âne, entouré d'hommages, d'un autre, il est suspendu au bois de la croix, battu de verges, tout percé de plaies et abandonné des siens.

Il y a ici mieux que Job, (Job. V,) puisque Dieu a soudainement et grandement changé pour lui tout en mal. « Vous avez entendu parler de la patience de Job, » dit l'apôtre saint Jacques (Jac. V, 11), « vous avez vu la fin du Seigneur. » C'est comme si cet apôtre disait : la patience de Job dura jusqu'à ce que les richesses qu'il avait perdues lui fussent rendues, les souffrances du Seigneur sont allées jusqu'à la fin de sa vie. Job souffrit patiemment d'être privé de ses biens, mais bientôt il en reçut le double dans son pays : Jésus-Christ quitta ce monde rempli de misères et abreuvé d'amertumes. C'est pourquoi il y a ici mieux que Job, précipité une fois et soudain d'une félicité qui paraissait souveraine, atteignit au terme de son extrême et terrible infortune. « Et j'ai souffert tous ces maux, » dit-il « sans que mes mains aient commis l'iniquité, lorsque j'adressais de pieuses prières au Seigneur (Job. XVI, 18) », même pour mes ennemis, afin qu’il leur pardonnent.

(…)

5. Aussi, mes frères, afin de suivre sans nous blesser notre chef, soit dans la bonne soit dans la mauvaise fortune, considérons-le dans ce cortège entouré d'honneurs, et, dans sa passion, soumis aux souffrances et aux opprobres, sans changer jamais au fond dans un si grand changement de choses, bien qu'il ait changé son visage devant Abimélech, c'est-à-dire le royaume des Juifs. L'Écriture dit de cette immobilité d'âme : « L'homme saint demeure dans la sagesse comme le soleil, car le sot change comme la lune (Eccl. XXVII, 12). » Un autre passage dit du changement de son visage : « La sagesse de l'homme luit sur sa face, et le fort changera ses traits (Eccl. VIII, 1). »

Toujours et à grands traits, ô Seigneur Jésus, la sagesse éclate sur votre visage, quelque changé qu'il paraisse, soit glorieux, soit humilié : la lumière éternelle en fait jaillir ses lueurs. Plaise au ciel que la lumière de votre visage luise sur nous ! soit dans les événements heureux, soit dans les malheurs, que votre visage soit modeste, serein et tout épanoui de lumière intérieure qui vient du cœur : joyeux et agréable pour les justes, bon et clément pour les pénitents. Contemplez, mes frères, le visage de ce roi très calme. « La vie est dans l'hilarité du visage du roi, » s'écrie l'Écriture (Prov. XVI, 15), « et sa clémence est comme la pluie de l'arrière-saison. » Il regarde notre premier père qu'il venait de façonner, et, bientôt animé, Adam respire le souffle de vie (Gen. 1) : « Il regarda Pierre, et bientôt, Pierre, touché de componction, respire et reçoit son pardon (Luc. XXII, 61). » En effet, dès que le Seigneur eût jeté les yeux sur saint Pierre, Pierre reçut la pluie de l'arrière-saison, les larmes après le péché, larmes tombées de la clémence d'un visage très-bon.

La lueur de votre visage, ô lumière éternelle, au témoignage de Job, ne tombe pas sur la terre (Job. XXIX, 24). Quel rapport y a-t-il, en effet, entre la lumière et les ténèbres (II Cor. VI, 14) ? Que bien plutôt les âmes des fidèles reçoivent ses rayons, et qu'ils réjouissent ceux dont la conscience est bonne et guérissent ceux qui l'ont blessée. Oui, le visage de Jésus triomphant, tel qu'il faut le considérer dans cette procession, est joie et allégresse : le visage de Jésus mourant, tel qu'il le faut considérer en sa passion, est remède et salut. « Ceux qui vous craignent me verront, dit-il, et se réjouiront (Psal. CXVIII, 74) : » ceux qui souffrent me verront et seront guéris, comme le furent ceux qui, après avoir été piqués des serpents, regardèrent le serpent attaché au bois. Pour vous, joie et salut de tous, monté sur un âne ou suspendu sur le bois, que les vœux de tous vous bénissent, afin que vous contemplant assis sur votre trône, ils vous louent aux siècles des siècles, vous, à qui soit la louange et l'honneur dans tous les siècles des siècles. Amen.

Commentaires

  • « La vie est dans l'hilarité du visage du roi, » s'écrie l'Écriture (Prov. XVI, 15), « et sa clémence est comme la pluie de l'arrière-saison. » : "In hilaritate vultus regis vita, et clementia ejus quasi imber serotinus."
    Ma Bible de Jérusalem donne :
    "Dans la lumière du visage royal est la vie ; telle une pluie printanière est sa bienveillance."
    "Lumière" est assez mauvais, et "pluie printanière" ne fait pas sens : le traducteur Google donne "une douche tard dans la nuit". Je suppose qu'on pourrait traduire imber serotinus par "la pluie qu'on n'espérait plus", car il me semble que la clémence royale crée un effet de surprise.

  • "Hilarité du village du roi" : notre curé était tout joyeux à la fin de la messe des Rameaux, content de ses paroissiens, de ses lecteurs et de la liturgie. Il y a un arc-en-ciel d'émotions pour cette grande fête. Le reniement de Pierre nous fait pleurer et nous éblouit en même temps par son annonciation et par son devenir. Je résiste rarement au Bon Larron dans l'Evangile selon saint Luc, qui n'était pas celui de cette année : "Même les brigands crucifiés avec lui l'outrageaient de la sorte" écrit saint Matthieu : il y a contradiction avec saint Luc, non ? Mais le Christ est venu aussi pour porter la contradiction : vous dites que c'est comme ça ? Eh bien, c'est le contraire, juste parce que c'est vous qui le dites... Les sépulcres blanchis, l'esprit derrière la lettre.
    L'Ascension m'a toujours fait l'effet d'une commémoration beaucoup plus lourde, triste, et même sinistre.
    Curieusement, d'ailleurs, beaucoup de gens qui ne mettent les pieds à l'église que deux ou trois fois par an viennent pour les Rameaux, alors qu'il faut rester debout pendant vingt à trente minutes et que la messe dure facilement une heure trente. Il faudrait durcir la liturgie : si on demandait aux fidèles de porter un silice et de se flageller pendant la consécration, convertirait-on les types qui se déguisent en chiens en d'autres occasions ?

  • Merci pour ce joli sermon sur l'équanimité notamment, et aussi (comme vous l'aviez soulignée à l'époque de la coviderie) sur l'importance du visage dans les saintes écritures. Sainte montée vers Pâques!

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