Quand Jésus demande à l’aveugle ce qu’il veut qu’il lui fasse, l’aveugle répond, dans les Bibles modernes : « Seigneur, que je recouvre la vue. » Et dans les Bibles encore plus modernes, celles qui s’expriment en français basique et ont donc supprimé du dictionnaire le verbe recouvrer (dont la soi-disant Bible de la liturgie, bien sûr) : « Seigneur, que je retrouve la vue. »
Dans la liturgie latine, la Vulgate dit : « Dómine, ut vídeam. » Seigneur, que je voie.
En grec, le verbe est ἀναβλέπω : anablepo. De fait, le préfixe ana veut dire « de nouveau ». Que je voie de nouveau. Mais dans le grec de la koinè les préfixes ont assez souvent un sens affaibli, voire annihilé. Et c’est le cas ici. On ne sait pas si l’aveugle de saint Luc était aveugle de naissance, mais c’est bien le cas de l’aveugle de saint Jean. Or saint Jean utilise le même verbe anablepo. L’aveugle né ne peut pas voir « de nouveau ». Donc le verbe veut seulement dire « voir », et la Vulgate a (une fois de plus) raison.
L’évangile de ce dimanche commence par l’annonce de la Passion et de la Résurrection, aux apôtres qui n’y « comprennent rien ». Parce qu’ils sont aveugles. D’où le miracle : Jésus guérit un aveugle pour montrer aux apôtres qu’ils doivent guérir de leur cécité intérieure. Afin qu’ils « voient ».
Le répons des matines explicite cela, en faisant dire à l’aveugle : « Ut videam lumen ». Que je voie la lumière.
℟. Cæcus sedébat secus viam, transeúnte Dómino, et clamávit ad eum: et ait illi Dóminus: * Quid vis ut fáciam tibi? * Dómine, ut vídeam lumen.
℣. Stans autem Jesus, jussit illum duci ad se, et cum appropinquásset, interrogávit eum, dicens. * Quid vis ut fáciam tibi ?
℣. Glória Patri, et Fílio, * et Spirítui Sancto.
℟. Dómine, ut vídeam lumen.
Un aveugle était assis le long du chemin, au passage du Seigneur ; il cria vers lui et le Seigneur lui dit : Que veux-tu que je te fasse ? - Seigneur, que je voie la lumière. Et Jésus s’arrêtant ordonna qu’on le lui amenât, et comme l’aveugle approchait, il l'interrogea disant. Que veux-tu que je te fasse ? Gloire au Père, au Fils, et au Saint-Esprit. Seigneur, que je voie la lumière.
Le missel du Barroux commente :
« Première annonce de la Passion et de la Résurrection : tout notre Carême sera une montée à Jérusalem, où doit être immolé le véritable Agneau pascal. Comme les apôtres, nous avons du mal à comprendre un tel amour. Aussi, avec l’aveugle, demandons à Jésus d’ouvrir nos yeux à la lumière de la foi, et de nous délivrer de la captivité du péché et de l’erreur. »
La lumière, dans la liturgie du carême, ce sera d’abord la lumière du baptême. Les pères grecs en étaient venus à appeler le baptême du seul mot d’« illumination ».
Le missel du Barroux dit encore :
« Après les basiliques de saint Laurent et de saint Paul, c’est celle de saint Pierre qui nous accueille aujourd’hui, en attendant d’inaugurer solennellement le Carême dimanche prochain dans la basilique du Saint-Sauveur (Saint-Jean-de-Latran). A cette progression dans la dignité des basiliques répond la progression des leçons de l’évangile de ces trois dimanches : appel, enseignement, illumination : les trois étapes que doivent franchir les candidats au Baptême. »
Illuminés par le baptême, nous voyons la lumière dans l’hostie consommée, comme le chante la liturgie byzantine juste après la communion :
Nous avons vu la vraie lumière, nous avons reçu l’Esprit céleste, nous avons trouvé la vraie foi. Nous adorons la Trinité indivisible, car c’est elle qui nous a sauvés.