Deuxième moitié du Xe siècle, musée diocésain de Milan.
Commentaire de ce que dit l’ange à Zacharie à propos de son futur fils Jean :
« Il sera rempli de l'Esprit saint dès le sein de sa mère. »
II n'est pas douteux que cette promesse de l'ange soit véridique, puisque S. Jean, avant de naître, habitant encore le sein de sa mère, a manifesté le bienfait de l'Esprit qu'il avait reçu. En effet, tandis que ni son père ni sa mère n'avait accompli auparavant aucune merveille, en tressaillant au sein de sa mère il a annoncé la venue du Seigneur. C'est ce que vous lisez : quand la Mère du Seigneur vint à Elisabeth, celle-ci lui dit : « Voici qu'au moment même où votre salut atteignait mes oreilles, l'enfant a tressailli dans mon sein » ; il n'avait pas encore l'esprit de vie, mais l'Esprit de grâce. Aussi bien nous avons pu constater ailleurs la réalité de la vie précédée par la grâce qui sanctifie, puisque le Seigneur a dit : « Avant de te former dans les entrailles, je te connaissais et, avant que tu ne sortes du sein, je t'ai sanctifié et t'ai établi prophète parmi les peuples » (Jér., I, 5). Autre est l'esprit de cette vie, autre celui de la grâce : celui-là prend son principe à la naissance, expire à la mort ; celui-ci n'est pas limité par les temps ou les âges, ni éteint par le trépas, ni éclos du sein maternel. Aussi bien sainte Marie remplie du Saint-Esprit a prophétisé, Elisée a ranimé le cadavre d'un homme mort au contact de son corps (II Rois, XIII, 21), et Samuel déjà mort n'a pas, au témoignage de l'Écriture, gardé le silence sur l'avenir (I Sam., XXVIII, 16 sqq.). « Et il sera rempli de l'Esprit Saint » : à qui possède l'Esprit de grâce rien ne manque, et celui qui reçoit l'Esprit Saint a la plénitude des plus grandes vertus.
Enfin, est-il dit, « il ramènera de nombreux enfants d'Israël au Seigneur leur Dieu ». Que S. Jean ait converti bien des cœurs, les attestations n'en manquent pas. Sur ce point nous avons l'appui des Écritures, prophétiques et évangéliques ; car « une voix crie dans le désert : préparez le chemin au Seigneur, redressez ses sentiers » (Is., XL, 3), et la recherche du baptême par les foules montre qu'il se produisit un mouvement considérable de conversions dans le peuple. Or, en croyant à Jean, on croyait au Christ : car ce n'est pas lui-même, mais le Seigneur que prêchait le Précurseur du Christ.
Aussi « il précédera la présence du Seigneur dans l'esprit et avec la vertu d'Élie ». Rapprochement heureux : car jamais il n'y a esprit sans vertu ni vertu sans esprit. Peut-être aussi « dans l'esprit et avec la vertu d'Élie » parce qu'Élie le saint a possédé une grande vertu et grâce : vertu pour détourner de l'impiété vers la foi l'âme des peuples, vertu d'abstinence et de patience, et esprit de prophétie. Élie était au désert, Jean au désert ; celui-là fut nourri par les corbeaux, celui-ci, dans les halliers, refoula tous les attraits du plaisir, préféra l'austérité et méprisa le luxe. L'un n'a pas cherché la faveur du roi Achab, l'autre a dédaigné celle d'Hérode. L'un a séparé les eaux du Jourdain, l'autre en a fait un bain sauveur. Celui-ci vit avec le Seigneur sur terre, celui-là apparaît avec le Seigneur dans la gloire. Celui-ci précède le premier avènement du Seigneur, celui-là le second. L'un a fait tomber la pluie sur la terre depuis trois ans desséchée, l'autre au bout de trois ans a baigné la terre de notre corps des eaux de la foi.
Vous me demanderez : quels sont ces trois ans ? « Voici, est-il dit, trois ans que je viens chercher des fruits sur ce figuier et je n'en trouve pas » (Lc, XIII, 7). Il fallait un nombre mystérieux pour donner le salut aux peuples : un an pour les patriarches — car enfin la récolte en hommes de cette année-là a été telle qu'il n'en fut jamais depuis sur terre — un autre pour Moïse et le reste des prophètes, le troisième à la venue du Seigneur et Sauveur : « Voici l'année favorable du Seigneur et le jour de la récompense » (Lc, IV, 19). De même le père de famille qui avait planté une vigne n'a pas envoyé qu'une fois recueillir les fruits, mais bien souvent : il a envoyé d'abord des serviteurs, une seconde fois d'autres serviteurs, en troisième lieu son Fils.
Jean est donc venu dans l'esprit et avec la vertu d'Élie, car l'un ne peut aller sans l'autre, comme nous le verrons encore dans la suite, quand il sera dit :« L'Esprit Saint viendra sur vous et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre » (Lc, I, 35).
Mais peut-être ce passage nous concerne-t-il et concerne-t-il les Apôtres. Car lorsqu'Élie partagea le courant (Il Rois, II, 14), le retour des eaux du fleuve vers leur source — selon le texte de l'Écriture : « Le Jourdain revint en arrière » (Ps. 113, 5) — signifiait les mystères à venir du bain sauveur, par lesquels les baptisés sont, comme des enfants, ramenés du mal à leur nature primordiale. Pourquoi encore le Seigneur lui-même a-t-il promis à ses Apôtres de leur accorder la vertu de l'Esprit ? « Vous recevrez, dit-il, la vertu par la venue en vous de l'Esprit Saint » (Act., 1,8), et, dans la suite « il se fit soudain un bruit venant du ciel, comme un souffle emporté avec grande puissance » (Act., II, 2) ; oui, grande puissance, car « c'est le souffle de ses lèvres qui a fait toute leur force » (Ps. 32, 6), et cette force est celle que les Apôtres ont reçue du Saint-Esprit.
Il est également vrai que S. Jean marchera devant le Seigneur, précurseur par sa naissance et précurseur par sa mort. Et peut-être ce mystère s'accomplit-il aujourd'hui encore dans notre vie présente. Il y a comme une vertu de Jean qui vient d'abord en notre âme, quand nous sommes près de croire au Christ, pour préparer à la foi les chemins de notre âme et faire de la piste tortueuse de cette vie les voies droites de notre pèlerinage, de peur que nous ne tombions dans quelque ravin d'erreur : ainsi toutes les vallées de notre âme pourront être comblées par des fruits de vertu, et toute élévation des dignités de ce monde se prosternera devant le Seigneur dans une humble crainte, sachant que rien ne peut être élevé de ce qui est fragile.