Le commentaire de l’évangile de saint Matthieu par saint Jérôme est toujours lapidaire. Celui qu’il fait de l’évangile de ce dimanche est même tellement elliptique qu’il en est mystérieux, et c’est pourtant celui que l’Eglise a choisi comme lecture des matines.
Le huitième miracle est celui qu’un chef, qui ne veut pas être exclu du mystère de la vraie circoncision, demande à Jésus pour la résurrection de sa fille. Mais voici qu’une femme, affligée d’une perte de sang, se glisse à travers le cortège et est guérie en huitième lieu, de sorte que la fille du chef, déplacée de ce rang, n’a plus que le neuvième, conformément au mot du Psalmiste : « L’Éthiopie s’empressera de tendre ses mains vers Dieu ». Et à celui de l’Apôtre : lorsque « la plénitude des Gentils sera entrée, alors tout Israël sera sauvé ».
« Et voilà qu’une femme affligée d’une perte de sang depuis douze ans, s’approcha de lui par derrière, et toucha la frange de son vêtement. » Nous lisons dans l’Évangile selon saint Luc que la fille du prince de la synagogue avait douze ans. Cette femme, je veux dire le peuple gentil, commence donc à être malade au temps même où le peuple juif naissait à la foi. Car un vice ne ressort que par le contraste des vertus.
Or, ce n’est point à l’intérieur d’une maison, ni dans la ville même (en pareil cas le séjour des villes était interdit par la loi) que cette femme, affligée d’une perte de sang, s’approche du Sauveur, mais pendant qu’il était en marche pour s’y rendre ; de sorte qu’en allant vers une personne, il en guérissait une autre. Les Apôtres ont fait aussi de même, comme ils le déclarent : « C’était à vous qu’il fallait d’abord annoncer la parole de Dieu ; mais puisque vous vous jugez indignes de la vie éternelle, voilà que nous nous tournons vers les Gentils. »
Le huitième miracle accompli par Jésus selon l’évangile de saint Matthieu devait être la résurrection de la fille du chef de la synagogue. Huitième, parce que le huit est le nombre de la résurrection le huitième jour, le nombre du Royaume, et que le chef de la synagogue ne voulait « pas être exclu du mystère de la vraie circoncision », celle du salut apporté par le Christ comme la circoncision charnelle était effectuée le huitième jour après la naissance. Mais la femme qui souffrait d’un flux de sang lui vole la huitième place, et la résurrection de l’enfant sera le neuvième miracle. Cette femme qui n’avait même pas le droit de séjourner en ville, qui était donc d’une certaine façon exclue du peule de Dieu, figure les païens, qui entrent dans l’Eglise avant les juifs, ainsi qu’il est prophétisé dans le très mystérieux psaume 67 : « L’Éthiopie s’empressera de tendre ses mains vers Dieu ». Dans la Bible, les Ethiopiens sont le type du peuple noir, donc chargé de péchés, le type des peuples païens dans les ténèbres, les plus éloignés de la lumière de Dieu. Mais c’est un Ethiopien que Philippe va rejoindre sur son char pour lui expliquer la prophétie d’Isaïe, et l’Ethiopie sera l’un des tout premiers royaumes chrétiens.
La fille du chef de la synagogue avait 12 ans, et la femme souffrait depuis 12 ans. Ces 12 ans sont tout le cours de l’histoire humaine. « Le peuple gentil commence donc à être malade au temps même où le peuple juif naissait à la foi. » Le peuple juif naît à la foi avec Abel, qui figure déjà l’Eglise (plusieurs pères, dont saint Augustin et saint Jean Damascène, évoquent « l’Eglise depuis Abel jusqu’au dernier élu »), tandis que Caïn est le premier païen. La fille du chef de la synagogue est ressuscitée à 12 ans parce que les juifs entreront dans l’Eglise à la fin du temps.