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Saint Maurice et ses compagnons

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Le Greco, 1580.

La fête de saint Maurice et de ses compagnons martyrs est devenue une mémoire en 1694, quand fut inscrite au calendrier, en ce même jour, la fête de saint Thomas de Villeneuve. Voici la traduction du texte de la Passion anonyme, qui date vraisemblablement de la fin du Ve siècle, selon l’édition critique d’Eric Chevalley.

PASSION DES SAINTS QUI FURENT MARTYRISÉS À AGAUNE LE 22 SEPTEMBRE 286 (ou 287)

Dioclétien autrefois maître de l'Etat romain, après avoir été élevé à la domination du monde entier et se rendant compte que, partout, l'audace de quelques-uns agitait les provinces, associa à son pouvoir ou plutôt à son fardeau son compagnon d'armes de toujours, Hercule Maximien, qu'il nomma César. Il lui confia la mission de se rendre en Gaule combattre Amandus et Aelianus qui, en prenant le nom de Bagaudes, avaient fomenté une révolte servile.

Il renforça son armée en lui attribuant la Légion Thébaine, composée de soldats d'origine orientale. Cette légion, selon le modèle des anciens Romains, comptait six mille six cents hommes valeureux et instruits au métier des armes. Ces hommes avaient donc reçu la foi chrétienne dans la tradition orientale et, pour eux, leur engagement sacré était plus important que la bravoure et tous les exploits guerriers.

Maximien César était certes apte à la guerre de par son expérience du métier de soldat, mais sa toute particulière dévotion aux idoles et sa brutalité l'avaient amené à entacher d'une excessive cruauté la rigueur qui incombe au général en chef

Se rendant en toute hâte en Gaule, il parvint au pied des Alpes Pennines.

Au sortir d'un parcours escarpé et sauvage, qui franchit la route des Alpes voit subitement s'offrir à ses yeux la riante douceur d'une plaine régulière. A cet endroit, on a bâti une ville qui reçut le nom d'Octodure; tout alentour, s'étendent des prairies arrosées par des ruisseaux ou des champs fertiles et surtout, un peu plus loin, on aperçoit le cours du Rhône.

Une fois donc les Alpes franchies, Maximien César vint à Octodure et, dans l'intention d'y offrir un sacrifice à ses idoles, ordonna que l'armée s'y rassemblât; il avait notifié à ses hommes l'ordre abominable de prêter serment, sur les autels consacrés aux démons, de s'engager à combattre sans faillir la multitude des Bagaudes. Dès que la Légion Thébaine en eut connaissance, dépassant la ville d'Octodure, elle se rendit précipitamment en un lieu qui s'appelle Agaune, dans l'espoir que les douze milles la séparant d'Octodure lui éviteraient l'obligation de commettre un sacrilège.

A cet endroit, le cours du Rhône est tellement resserré par d'immenses rochers qu'il est impossible de passer sans emprunter des ponts de bois. Pourtant, de chaque côté, une plaine est délimitée par les rochers qui la surplombent; elle est certes modeste mais les sources qui l'arrosent la rendent agréable; c'est là qu'épuisés, les hommes de la Légion Thébaine s'arrêtèrent après les épreuves d'un si long trajet.

Tandis qu'il rassemblait tous les membres de son armée pour le serment mentionné plus haut, Maximien César comprit que la légion, comme nous l'avons dit, avait poursuivi plus avant. Aussitôt, gagné par une folle colère, il envoya ses gens afin qu'ils rappellent la légion à ses serments sacrilèges.

Dans cette unité, le primicier s'appelait Maurice, le porte-enseigne Exupère, le sénateur Candide. Ils exerçaient leur commandement sur leurs compagnons en donnant leurs ordres plutôt avec amour de l'équité qu'en usant de la terreur militaire. Ils demandent donc aux messagers ce dont, dans un mouvement de colère, César les avait chargés.

Ceux-ci dirent que tous les soldats avaient immolé des victimes, offert des sacrifices et prêté le serment prescrit par la cérémonie frénétique; César ordonnait que la légion revînt en toute hâte et obéît à l'exemple des autres soldats.

Alors les chefs thébains répondirent avec douceur qu'ils avaient dépassé Octodure parce que la rumeur déjà leur avait annoncé les cérémonies de sacrifice; il leur avait semblé juste que des chrétiens détournent leurs regards des autels des démons. Leur intention est d'honorer le Dieu vivant, de conserver jusqu'à leur dernier jour la foi qui leur avait été transmise dans la tradition orientale; ils sont prêts à affronter avec courage les combats, mais ils refusent de se rendre à Octodure pour y commettre des sacrilèges, comme César l'a ordonné.

De retour, ses gens annoncent à Maximien César que les intentions de la légion sont inébranlables et qu'elle se refuse à obtempérer aux ordres du général.

Dès que Maximien César entendit cela, enflammé par un excès de colère, il bondit de fureur: « Ainsi mes soldats méprisent les ordres de leur commandant et mes cérémonies sacrées ! Voilà une audace qui mérite la vengeance publique, quand bien même n'auraient-ils voulu narguer que la dignité du prince: au mépris de ma personne s'ajoute une offense au ciel et, avec moi, c'est la religion romaine que l'on dédaigne. Que cette soldatesque effrontée comprenne que je peux satisfaire non seulement ma vengeance mais aussi celle de mes dieux; qu'immédiatement une troupe constituée de mes hommes les plus fidèles se presse, qu'un sort fatal désigne pour la mort un homme sur dix, que ces rebelles apprennent, par l'exécution de leurs compagnons que le sort aura désignés d'abord, de quelle façon et avec quelle rigueur Maximien aura assouvi sa vengeance en son nom et celui de ses dieux ! »

Après ces paroles, l'ordre funeste est transmis à ses exécutants, on se précipite vers la légion, les cruels desseins sont dévoilés. Ceux que le hasard a désignés sont livrés à la mort; pleins de joie ils présentent leur tête aux bourreaux, ils ne luttent que pour parvenir en premier à cette fin glorieuse.

Après l'exécution de ce crime, la légion reçoit l'ordre de rejoindre Octodure. Alors Maurice, le primicier, tenu un peu à l'écart par les suppôts du tyran, réunit la légion et, de sa sainte bouche, lui adresse cette harangue: « Je vous félicite de votre courage, excellents compagnons, car grâce à votre attachement à notre foi, les ordres de César ne vous ont causé aucune frayeur; c'est plutôt avec joie, si j'ose dire, que vous avez vu que l'on conduisait vos compagnons à une
mort glorieuse. Comme j'ai eu peur que l'un d'eux ne tente de résister à cette bienheureuse mort, ce qui, sous prétexte de se défendre, est aisé pour des hommes en armes ! Déjà, pour nous détourner de cette tentation, l'exemple du Christ se présentait à moi, lui qui, de sa propre voix, a ordonné à l'Apôtre de remettre au fourreau l'épée qu'il avait dégainée, montrant que l'assurance de la foi en Christ est plus forte que toutes les armes. Ici même, c'est le Christ qui a retenu vos élans et vos mains de peur que quelqu'un, de ses mains de mortel, ne fasse obstacle au projet divin. Bien au contraire, parachevez avec un zèle inébranlable l'œuvre commencée dans la foi ! Jusqu'à présent la lecture des livres saints nous fournissait des exemples ; désormais des hommes nous ont donné un exemple que nous devons suivre. Voici, je suis entouré des corps de mes compagnons que les suppôts de malheur ont arrachés à mon côté, je suis couvert du sang répandu de ces saints et j'en porte les reliques sacrées sur mes propres vêtements et moi, j'hésite à les suivre dans la mort, eux qui nous ont donné un exemple que j'admire avec reconnaissance ? Et puis il est vain de s'inquiéter des ordres du général qui, de par sa condition de mortel, est mon égal. Si les ordres des puissants avaient quelque poids, le brasier du roi des Perses aurait eu un effet sur les corps des bienheureux jeunes gens et le Prophète, enfermé dans la fosse, n'aurait pu se rire des rugissements des lions. Je me souviens qu'autrefois, nous nous sommes engagés solennellement à défendre l'Etat au mépris de la vie et de ses espérances; alors déjà j'engageai le peu d'importance que j'accordais à mon corps et je promis une telle loyauté à des généraux, alors qu'aucun, à ce moment-là, ne me promettait le Royaume des cieux. Si nous avons pu prendre de tels engagements par respect de la discipline militaire, que devons-nous faire maintenant que le Christ s'engage envers nous ? Alors, très vaillants compagnons, soumettons les vies, qu'autrefois nous avons engagées, à la plus précieuse des épreuves, que notre volonté soit inébranlable, que, jusqu'au bout, notre foi reste intacte ! Déjà je les vois debout devant le tribunal du Christ ceux qui, tantôt, ont été mis à mort par les suppôts du tyran: ils connaissent la vraie gloire qui, au prix de la brièveté de cette vie, procure la vie éternelle. Remettons d'un seul cœur et d'une seule voix cette réponse aux gens de César: - Certes, César, nous sommes tes soldats et nous avons pris les armes de Rome pour la défense de l'Etat. Jamais nous n'avons abandonné le combat ou trahi notre devoir de soldats, jamais nous n'avons mérité l'accusation infamante de lâcheté. Nous obéirions également aux ordres que tu as donnés si, de par le respect des lois chrétiennes que l'on nous a inculqué, nous ne nous faisions un devoir d'éviter les cultes des démons et leurs autels toujours souillés de sang. Nous avons appris que tu avais décidé de forcer des chrétiens à se souiller en participant aux sacrifices, ou de les livrer à la mort. Ne va pas chercher plus longtemps des gens qui se dérobent, sache que nous sommes tous chrétiens. Le corps de chacun sera totalement en ton pouvoir mais tu n'auras pas la moindre prise sur nos âmes tournées vers le Christ qui leur donne sa force. »

Après avoir prononcé ces paroles, le saint homme reçoit l'approbation de la légion et ses serviteurs rapportent à César ce qu'ils ont entendu. Celui-ci, inflexible, ordonne qu'une seconde fois le hasard impitoyable fasse périr un homme sur dix. A peine a-t-il fini de parler que l'on se précipite vers la légion, les ordres cruels sont exécutés, aux survivants on commande de rejoindre Octodure.

Alors Exupère, qu'auparavant j'ai mentionné comme chef de file ou instructeur, saisit les enseignes de sa légion et encourage ses compagnons qui se trouvent autour de lui par ces paroles: « Excellents compagnons, vous me voyez bien tenir les enseignes qui président aux batailles de ce monde, mais ce n'est pas pour des exploits de ce genre, ni pour ces guerres-là que je veux exalter vos esprits et votre vaillance: nous devons, maintenant, choisir un autre genre de combat; ce n'est pas avec les armes que nous tenons que l'on peut gagner rapidement le Royaume des cieux. Nous avons besoin d'une force inébranlable; notre défense invincible est de conserver jusqu'aux derniers moments de notre vie la foi que nous avons promise à Dieu. Déjà Maurice vous a parlé de la gloire de nos compagnons qu'il apercevait par une grâce divine, à mon tour je vous promets à nouveau une victoire complète si vous accordez votre confiance au Christ. Que nos mains jettent ces armes avec les enseignes militaires. Le Christ veillera à ce que bientôt dans le Royaume des cieux même, comme il est promis, vous voyiez votre Exupère arborer d'autres enseignes. Que les suppôts de malheur s'en retournent et rapportent ces paroles au tyran sanguinaire: - Apprends, César, que la volonté de notre légion est invincible; nous jetons nos javelots: tes gens trouveront donc nos mains désarmées, mais nos cœurs fortifiés par la foi catholique. Tue ! Massacre ! Sans trembler nous offrons nos têtes aux bourreaux pour qu'ils les tranchent; nous nous réjouissons d'autant plus de cette épreuve que, désormais sur le chemin du ciel, nous n'avons que mépris pour toi et tes sacrilèges.»

De retour auprès de Maximien César, ses gens lui transmettent ce message de la légion. Celui-ci, sous prétexte que rien n'avait été obtenu en répétant la sanction criminelle, ordonne que l'armée se mette en route en toute hâte, commande que la légion soit encerclée et prescrit que pas un seul homme de cette si nombreuse armée de saints ne soit épargné.

La multitude des bourreaux arriva donc auprès de la bienheureuse légion, l'encercla; sans la moindre distinction, les hommes de tous âges sont massacrés, leurs corps bienheureux sont déchirés et par cette profession de foi dans la mort, ils remettent à Dieu leurs âmes.

Le carnage enfin achevé, le butin est divisé entre tous les bourreaux. En effet, Maximien avait permis que quiconque aurait égorgé un soldat de cette légion disposerait des dépouilles du mort. Ainsi, après avoir partagé le butin, la troupe victorieuse se prépara à prendre son repas et à festoyer.

Entre-temps un vétéran d'un très grand âge, épuisé par les ans, qui s'appelait Victor, suivant sa route, vint à passer par les lieux du massacre. Tandis que par respect pour son âge, on l'invitait à prendre part au repas, il se prit à demander quel était le motif de leur joie et comment ils pouvaient tant se réjouir de faire ripaille au milieu de si nombreux cadavres.

On lui répondit qu'une légion, par révérence pour la loi chrétienne, avait voulu dédaigner les cérémonies romaines, le culte des dieux tout comme les ordres du général, qu'elle avait été exécutée afin que le bon ordre habituel de la discipline militaire soit plus strictement respecté. Alors Victor, soupirant profondément, s'écrie plein de tristesse: « Pauvre de moi qui, après tant d'années de service, suis parvenu à cet âge malheureux sans mériter de servir dans cette légion; comme j'aurais pu terminer heureusement ma vie si, au milieu de ces hommes, j'avais bénéficié de cette mort glorieuse ! Si, bien qu'indigne, j'avais été leur compagnon, ou si par hasard ma route m'avait conduit ici à temps pour que le sang de mon vieux cœur se répande parmi les dépouilles de ces héros, je n'aurais pas hésité à exposer mon corps à la mort pourvu que je puisse participer à un si grand honneur. »

Comme il prononçait ces paroles, la troupe des impies l'entoura aussitôt et le pressa sur un ton menaçant de dire s'il était chrétien. Alors Victor, levant quelque peu les yeux au ciel, répondit ainsi à ceux qui le questionnaient: « A l'âge où vous me voyez, j'ai acquis une longue expérience de la vie. Tout ce qui arrive dans ce monde est ou bien créé par la passion des hommes ou bien mené par l'inconstance du monde ou bien corrompu par le hasard toujours changeant: quoi que nous voulions, souhaitions, sachions ou désirions, le monde entier est enfoui dans les ténèbres qui l'entourent, à moins que le Christ nous ait montré le chemin ou éclairé de sa lumière. Voici quelles sont les convictions de mon âme; que ne puis-je en rendre témoignage dans un dernier mouvement ! Si ma route m'avait conduit ici un peu avant le massacre de la légion, j'aurais préféré être leur compagnon dans la mort plutôt que partager votre festin et votre banquet. Pourtant, maintenant aussi, le Christ fera en sorte que, par une mort bienheureuse, vous ne permettiez pas que moi qui suis chrétien et aurai confessé ma foi, puisse m'en aller.» Il parlait encore quand il fut brutalement égorgé par les bourreaux pleins de fureur; ainsi le saint homme par une prompte confession mérita de devenir le compagnon des autres saints.

*

Victor est apparu le premier à Théodore, évêque du Valais; c'est lui qui indiqua l'endroit où reposait chaque saint . Une fois rassemblés, leurs corps furent déposés dans l'église du lieu où par de nombreux et divers miracles le Seigneur Christ notre Dieu manifeste sa puissance sacrée. On rapporte que faisaient partie de cette légion trois cent dix-huit martyrs qui reçurent la palme du martyre à Cologne; de tout temps on dit que leur chef était le bienheureux martyr Géréon. Toi, terre de Germanie, tu recouvres d'un riche tapis d'herbe leurs dépouilles rassemblées en un seul lieu, puisse une illustre Passion magnifier le sang qu'ils ont versé aux siècles des siècles. Amen

Commentaires

  • Le tableau de Greco était une commande de Philippe II pour son palais de l'Escorial et fut assez universellement considéré à l'époque (1682) comme une bouse d'esprit vaguement hérétique. Il éloigna le peintre de la cour espagnole et celui-ci se cantonna à Tolède.
    On préféra confier à un obscur peintre florentin le soin d'honorer la commande :
    https://www.pinterest.fr/pin/526006431461804434/
    Mais bon, même pour un admirateur aussi éperdu qu'inconditionnel de Greco, force est d'admettre que ce n'est pas le plus accessible de ses chefs-d’œuvre...

  • Euh... 1582...

  • Quel est le nom du peintre florentin ?
    Merci de nous renseigner

  • J'ai mis le lien...

  • C'est donc Romulo Cincinnato (quel pseudo ! ce Florentin éprouvait le besoin de se romaniser ! on ne peut guère faire plus !), On trouve une meilleure reproduction du Martyre de St Maurice à sa notice Wikipedia (anglaise). Le tableau a mal vieilli, devenu un peu charbonneux, il reprend la composition d'ensemble du Greco en la simplifiant et surtout en plaçant le Christ au centre du ciel. Comme si l'on reprochait au Greco, tout à ses anges aviateurs (spécialistes de la voltige), de l'avoir oublié...

  • Le mot n'a aucun sens et il est de toutes façons galvaudé, mais qielle modernité!

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