(Saint-Vital, Ravenne. Avec la couronne du martyre sous son nom. Promis, c'est pas moi qui ai ajouté le Z...)
Il est curieux que les saints prophètes soient mentionnés comme tels dans le martyrologe romain, souvent en premier lieu, comme aujourd’hui Isaïe, mais qu’ils ne fassent jamais l’objet d’une fête dans la liturgie latine. L’explication selon laquelle ils ne sont pas à proprement parler des saints chrétiens puisqu’ils vivaient avant le Christ (retenue par saint Bernard dans une lettre où il tente laborieusement d’expliquer pourquoi il y a néanmoins une fête des Maccabées) ne tient pas, puisqu’ils sont qualifiés de saints et de martyrs dans le catalogue romain des saints chrétiens.
Quoi qu’il en soit la brève notice sur Isaïe attire l’attention :
Hierosólymis sancti Isaiæ Prophétæ, qui, sub Manásse Rege, in duas sectus partes occúbuit, sepultúsque est sub quercu Rogel, juxta tránsitum aquárum.
A Jérusalem, le prophète saint Isaïe, qui sous le roi Manassès fut scié en deux, et enterré sous le chêne de Roguel, près d'un cours d'eau.
Il est question quatre fois de Roguel dans la Bible, mais il s’agit chaque fois de la fontaine de Roguel, non du chêne.
La première fois c’est dans le livre de Josué, lors du relevé de la frontière du pays qui échoit à la tribu de Juda : « Elle passe les eaux qui s'appellent fontaine du Soleil, et vient se terminer à la fontaine de Roguel. » (15,7)
Peu après (18,16), la même phrase revient quand il s’agit du relevé de la frontière du pays qui échoit à la tribu de Benjamin, contiguë à celle de Juda.
Ensuite la fontaine de Roguel est le lieu où les deux fils des grands-prêtres sont cachés pendant la fuite du roi David en attendant qu’on vienne leur dire ce qu’aura décidé l’usurpateur Absalom. (2 Rois 17,17).
On retrouve la fontaine de Roguel lors de la conjuration suivante, celle d’Adonias (3 Rois 1,9) : « Adonias ayant donc immolé des béliers, des veaux et toute sorte de victimes grasses auprès de la Pierre de Zohéleth, qui était près de la fontaine de Roguel, convia tous ses frères les fils du roi, et tous ceux de Juda qui étaient au service du roi. »
C’est donc là que fut enterré Isaïe. Mais ce n’est pas à un texte d’Isaïe que fait penser l’expression du martyrologe – l’arbre majestueux près d’un cours d’eau -, c’est à un texte de Jérémie qui est un des cantiques de la liturgie latine (17,7-8) :
Benedictus vir qui confidit in Domino,
et erit Dominus fiducia ejus.
Et erit quasi lignum quod transplantatur super aquas,
quod ad humorem mittit radices suas,
et non timebit cum venerit æstus :
et erit folium ejus viride,
et in tempore siccitatis non erit sollicitum,
nec aliquando desinet facere fructum.
Béni est l’homme qui se confie dans le Seigneur, et dont le Seigneur est l'espérance. Il sera comme un arbre transplanté près des eaux, qui étend ses racines vers l'humidité, et qui ne craint pas la chaleur lorsqu'elle est venue. Son feuillage sera toujours vert ; il ne sera point en peine au temps de la sécheresse, et il ne cessera jamais de porter du fruit.
Texte qui est très proche du premier psaume, lequel est plus proche du martyrologe encore puisqu’il parle plus précisément d’un cours d’eau :
(Beatus vir...) Et erit tamquam lignum quod plantatum est secus decursus aquarum,
quod fructum suum dabit in tempore suo :
et folium ejus non defluet ;
et omnia quæcumque faciet prosperabuntur.
(Béni l’homme…) Et il sera comme un arbre qui a été planté le long d’un cours d’eau, qui donnera son fruit en son temps, et ses feuilles ne tombent pas, et tout ce qu’il fera prospérera.
Commentaires
Il vous reste à nous expliquer pourquoi Isaïe est associé à la lettre N (Nu) plutôt qu'au Z (Zêta), comme ailleurs saint Luc est associé à H (Eta) :
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