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Noël

Ἡ Παρθένος σήμερον, τὸν ὑπερούσιον τίκτει, καὶ ἡ γῆ τὸ Σπήλαιον, τῷ ἀπροσίτῳ προσάγει. Ἄγγελοι μετὰ Ποιμένων δοξολογοῦσι. Μάγοι δὲ μετὰ ἀστέρος ὁδοιποροῦσι· δι' ἡμᾶς γὰρ ἐγεννήθη, Παιδίον νέον, ὁ πρὸ αἰώνων Θεός.

La Vierge aujourd'hui met au monde le Supersubstantiel et la terre offre une grotte à l'Inaccessible. Les anges avec les bergers chantent sa gloire. Les mages avec l'étoile font route, car pour nous est né un Enfant nouveau-né, le Dieu d’avant les siècles.

Par Charilaos Taliadoros, professeur et éditeur de musique byzantine, chantre de l’église Sainte-Sophie (la cathédrale historique) de Thessalonique de 1952 à 2019, mort le 11 janvier dernier à l’âge de 95 ans. Il avait le titre d’« archonte protopsalte du saint archidiocèse de Constantinople ». L’icône de la vidéo est une fresque du monastère de la Peribleptos de Mistra en Grèce (XIVe siècle). On la voit mieux ici.

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Gostinopolye (sur la Volkhov, région de Saint-Pétersbourg), vers 1475.

L’icône de la Nativité illustre le kondakion de la fête (à lire et entendre ci-dessus), œuvre de Romain le Mélode (VIe siècle). Selon la tradition, il s’était endormi pendant les matines de Noël. La Mère de Dieu lui apparut en songe et lui fit manger un rouleau. Romain se réveilla au moment même où il devait dire le kondakion, et il chanta celui-ci, devant l’empereur, le patriarche et le peuple médusés, d’autant que son chant était céleste alors qu’il avait toujours eu une très mauvaise voix.

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Au centre de l’icône traditionnelle de la Nativité il y a un trou noir. La création après la chute, dépourvue de toute lumière. C’est la grotte de la Nativité. Y descend la Lumière divine qui va régénérer le monde déchu. Le Christ vient « illuminer ceux qui étaient assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort ». La Lumière a d’abord un rayon unique, l’unité de Dieu, d’où sortent (éventuellement par l’étoile) souvent trois rayons, parce que c’est la lumière de la Sainte Trinité.

Dans ce trou noir il y a un enfant, enveloppé de langes qui seront aussi les linges funéraires, dans une mangeoire qui est en réalité un cercueil. Car la Nativité est la kénose du Verbe, il vient sur terre pour s’y anéantir, pour y mourir sur la Croix.

Un bœuf et un âne veillent sur le nouveau-né : c’est le tout début de la prophétie d’Isaïe : « Le bœuf connaît son possesseur, et l'âne l'étable de son maître ; mais Israël ne m'a pas connu, et mon peuple n'a pas eu d'intelligence. »

Juste en dessous de l’enfant Dieu il y a Marie, allongée sur sa couche, un grand coussin rouge. Elle est le plus grand personnage de l’icône, parce qu’elle est la protagoniste principale, la Mère de Dieu. Elle ne regarde pas l’enfant, mais selon la disposition des icônes elle paraît regarder Joseph, ou un berger, ou les sages-femmes, ou le spectateur. En bref elle regarde les hommes, d’un regard de profonde compassion. Mais souvent on a l’impression qu’elle ne regarde en fait personne : elle est absorbée dans le mystère de la kénose, qui est celui de la crucifixion.

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Mais c’est pour nous l’annonce du salut. En haut, les anges annoncent la Bonne Nouvelle. Ils sont plus ou moins nombreux selon les icônes. A droite l'ange qui s’est adressé aux bergers avant l'arrivée des autres. En fait ici il a déjà fait son office et il s’est détourné pour adorer l’Enfant (les mains cachées sous un linge expriment cette adoration). Souvent il y a deux bergers, un qui écoute l’ange, un autre qui joue du flutiau. Ici il n’y en a qu’un, qui embouche une grande trompette. (Ce n’est pas le seul exemple.) On pense au « Canite tuba » de la liturgie latine, « Sonnez de la trompette en Sion » (Joël 2,1, qui se poursuit ainsi : « publiez à grands cris sur la montagne sainte ; et que tous ceux qui habitent la terre soient confondus, parce que voilà le jour du Seigneur ; il est près de vous »). Mais ce verset ne semble pas utilisé dans la liturgie byzantine.

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A gauche, les mages. Habillés en « Persans ». Symbolisant les âges de la vie : un jeune, un d’âge mûr, un vieux. Souvent ils sont plus haut (plus loin), et caracolant à cheval. Parfois ils ont déjà devant l’Enfant, avec leurs dons. Dans les icônes plus tardives qui racontent toute l’histoire de la Nativité, on les voit arriver à gauche, et repartir à droite « par un autre chemin » après avoir été avertis en songe. L’Epiphanie byzantine étant uniquement la célébration du baptême du Christ, les mages sont célébrés le jour de Noël, et même par l’apolytikion, le premier tropaire de la divine liturgie :

Ἡ γέννησίς σου Χριστὲ ὁ Θεὸς ἡμῶν, ἀνέτειλε τῷ κόσμῳ, τὸ φῶς τὸ τῆς γνώσεως· ἐν αὐτῇ γὰρ οἱ τοῖς ἄστροις λατρεύοντες, ὑπὸ ἀστέρος ἐδιδάσκοντο, σὲ προσκυνεῖν, τὸν Ἥλιον τῆς δικαιοσύνης, καὶ σὲ γινώσκειν ἐξ ὕψους ἀνατολήν, Κύριε δόξα σοι.

Ta Naissance, ô Christ notre Dieu, a fait luire dans le monde la lumière de la connaissance. En elle, les adorateurs des astres apprirent d’un astre à t'adorer, Soleil de justice, et à te reconnaître comme l’Orient venu d'en haut. Seigneur, gloire à toi.

(Par Theodoros Vasilikos.)

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En bas à gauche, mais parfois à droite, saint Joseph face à un personnage bizarre. Joseph est clairement à part, pour montrer qu’il n’est pas le père de l’enfant. Il est en outre d’esprit morose, à cause de ce que lui dit le personnage, sorte de vieux berger hirsute qui pour certains est carrément le diable ; il s’agit en tout cas du doute, de la tentation du doute. Le personnage lui dit que tout cela n’est pas possible : une jeune fille ne peut pas mettre au monde un enfant, encore moins en restant aussi vierge après qu’avant. Joseph est ici le saint patron de ceux qui doutent (on pense à Bernanos : « Foi : vingt-quatre heures de doute... mais une minute d'espérance. »). La scène est aussi l’annonce de toutes les hérésies christologiques de l’histoire, toutes les mauvaises interprétations du mystère insondable qui accable Joseph. Auxquelles répond l’icône : Jésus vrai Dieu, un de la Trinité, et vrai homme.

Toutefois cette interprétation renvoie à Joseph avant la Nativité, et même avant l’apparition de l’ange lui disant que ce qui est né en elle est du Saint-Esprit (il n’y a pas de temps dans les icônes). Après le miracle de la Nativité, l’attitude de Joseph est celle de l’homme stupéfait devant le mystère incompréhensible. Comme le dit un tropaire des matines du dimanche : « Joseph est frappé de stupeur en contemplant ce qui surpasse la nature, et il se remémore la pluie sur la toison, dans le fait que tu conçoives sans semence, ô Mère de Dieu, et le buisson en feu qui ne se consume pas, la verge fleurie d’Aaron, et donnant son témoignage, celui qui t’avait dans sa pensée et sous sa garde criait aux prêtres : La Vierge a enfanté, et depuis l’enfantement elle reste vierge. » On pense aussi à ce tropaire des laudes du 22 décembre : « Ne t'afflige pas, Joseph, en observant mon ventre: car tu verras celui qui naîtra de moi et tu te réjouiras... »

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La scène en bas à droite (ou parfois à gauche) insiste, contre le docétisme qui est l’une des pires hérésies, sur le fait que Jésus est vraiment homme : des sages-femmes sont là, qui baignent le nouveau-né comme on baigne tout nouveau-né pour le nettoyer. L’épisode a sa source dans le Protévangile de Jacques. Ce merveilleux évangile apocryphe raconte que Joseph, après avoir conduit Marie dans la grotte, s’en va à la recherche d’une sage-femme. Et aussitôt en voilà une. Elle entre dans la grotte et assiste à la naissance. En fait elle ne voit rien qu’une lumière éblouissante, et l’enfant est déjà à la mamelle. Elle sort de la grotte et rencontre une collègue, Salomé, qui ne veut pas croire à cette histoire tant qu’elle n’aura pas vérifié que la Mère est toujours vierge. Salomé tend la main, et celle-ci se dessèche. Salomé se repend aussitôt de son sacrilège. Un ange lui dit de prendre l’enfant, ce qu’elle fait. Elle s’exclame : « Je l’adorerai, parce qu’est né un grand roi pour Israël. » Et sa main est guérie.

Ci-dessous une icône russe tardive qui raconte toute l’histoire de la Nativité, y compris les mages devant Hérode, le songe des mages et leur départ, le songe de Joseph, la fuite en Egypte et le massacre des saints Innocents, et même (selon le Protévangile de Jacques) la fuite d’Elisabeth allant cacher saint Jean Baptiste dans une grotte qui s’ouvre miraculeusement, et le meurtre de son mari Zacharie « entre le vestibule et l’autel », qui n’a pas voulu révéler où se trouve son fils.

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Commentaires

  • Au musée des Beaux-Arts de Lyon, nous avons ça, qui est assez génial. Saint Joseph a l'air un peu triste aussi, et l'on comprend pourquoi : sous le drap blanc de l'Enfant-Dieu, il y a un lit d'épines :
    "Saint Joseph, au nom de votre douleur, quand vous avez entendu annoncer que Jésus serait un signe de contradiction et que le cœur de Marie serait percé d'un glaive de douleur..." Marie est au courant, mais elle est à sa joie de mère. Le père anticipe :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Sainte_Famille_(Lorenzo_Costa)#/media/Fichier:Lorenzo_Costa_-_Nativity_-_WGA5430.jpg

  • Encore un post sublime... merci Monsieur et joyeux Noël !!

  • Magnifique !
    Merci beaucoup !
    Et Saint et joyeux Noël à vous cher Yves comme à tous vos liseurs!

  • Cher Roger,
    Qu'en pensez-vous ? Vous préférez John Wayne ou Cary Grant ? Hardy ou Laurel ? Ingrid Bergman ou Grace Kelly ? Tintin ou Astérix ?
    - Réponds, réponds, réponds vite ! Aaaah je ris, de me voir si belle en ce miroir ! Est-ce touuuuua, Maaaarguerite ? Réponds, réponds, réponds vite !
    - Allôôô ? J'écououte ?
    - Ah, c'est Coco qui s'est détaché tout seul de son perchoir pour venir m'écouter ! Les animaux ont un sens artistique prodigieux, n'est-ce pas, capitaine Plastock ?

  • Bravo. Magnifique publication. Merci

  • Ce "merveilleux évangile apocryphe" ou cet évangile apocryphe plein de merveilleux ?
    J'abomine pour ma part tous les Apocryphes. Leur seul intérêt est qu'ils manifestent a contrario, par leurs invraisemblances débiles, leur hypocrite nullité ou la raillerie sournoise qu'ils distillent, toute la vérité, la noblesse, la simplicité et la grandeur insigne des textes qu'ils imitent sans leur ressembler. Le Protévangile de Jacques, avec ses extravagances et ses anachronismes, tient, si ma mémoire est bonne, à nous figurer Marie, cette jeune fille très humble de Nazareth, comme une sorte de célébrité de ce bas-monde, un genre de star de la chansonnette braillarde peut-être, ou quelque épouse de président, dont la naissance passionnerait tout le clergé israélite, tandis que sa mystérieuse grossesse hors mariage incriminerait Joseph et mobiliserait le grand-prêtre pour un autodafé. En attendant les sages-femmes à la main brûlée. Complètement con !

  • Totalement absurde.

    Le protévangile de Jacques est merveilleux précisément parce qu'il n'est pas "délirant". Et sans lui vous n'avez ni sainte Anne ni saint Joachim. Ce que vous dites de Marie n'a strictement rien à voir. Vous devriez vous renseigner avant d'écrire des sottises.

  • J'ai eu tort de prononcer un jugement définitif, péremptoire et insultant sur des textes dont certains sont aujourd'hui la source la plus ancienne qui demeure pour nous d'une certaine tradition, même si cette tradition, pour être authentique, doit nécessairement leur être antérieure.
    Le diable porte pierre, bien que je ne sois jamais très sûr du sens de cet adage. Je veux dire qu'un texte peut contenir une part de vérité tout en ayant été rédigé avec des intentions mauvaises. Et je maintiens ce que j'ai dit des invraisemblances que contient le protévangile de Jacques, même si cet écrit n'a sans doute pas la perfidie des "évangiles" gnostiques.

  • Si l'on en croit la préface de Pierre-Gustave Brunet à son édition de 1848 des évangiles apocryphes, "les rêveries gnostiques sont maintenant sans danger", ce qui n'est pas très clairvoyant, même à l'époque.
    Le traducteur ajoute, cette fois à propos du protévangile de Jacques, que saint Justin et saint Clément d'Alexandrie "avaient parlé des fables qu'il renferme". Je n'ai pas retrouvé dans quels textes, mais je cherche...
    Je suis peut-être pudibond, mais l'auteur (qui se permet d'affirmer que la Très Sainte Vierge et saint Joseph ne sont pas mariés mais seulement fiancés à la naissance de Jésus), m'a choqué avec son histoire de sage-femme débarquant comme un cheveu sur la soupe pour vérifier si Marie a toujours son hymen après son accouchement... Quand bien même l'eût-elle perdu à cette occasion, en quoi cela remettrait-il en cause sa virginité ? Et puis, de quoi je me mêle ? Je ne voudrais pas paraître misogyne, mais je penche pour un bas-bleu, une auteuse, une autrice ou une écrivaine, pour avoir des préoccupations aussi platement terre-à-terre.
    Ce lien fournit une traduction, avec des notes relevant quelques incohérences :
    https://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Apocryphes/protevan.html#20

  • Merci ! Je n'avais jamais rien compris à cette icône, en particulier pourquoi saint Joseph faisait la tête. Je la regarderai désormais avec davantage de profit !

  • Je vais encore m'immiscer dans ce concert de louanges après avoir consulté en diagonale un écrit de Marie-Noëlle Gongourdeau, Regards sur l'enfant nouveau-né à Byzance. Exclusion du père et nécessité de purifier l'enfant après sa naissance, c'est ce que j'ai retenu. Cela explique peut-être mieux les ablutions des deux sages-femmes que le protévangile de Jacques, l'histoire de la main brûlée n'étant nullement illustrée ici.
    Contrairement aux autres contributeurs, je reste sur ma faim. En particulier, je ne comprends ni ces trois chiens (ou ce chien à trois têtes) avec saint Joseph, ni les deux animaux (un chien et un porc ?) auprès du musicien allongé qui souffle dans cette espèce de trompe.

  • On sait que saint Joseph n'est pas le père de Jésus comme on sait que la Très Sainte Vierge est une créature, mais dans un cas comme dans l'autre il me semble très orthodoxe de tirer du bon côté de la corde : Marie co-rédemptrice, la dormition plutôt que la mort de la Vierge... Et saint Joseph assumant complètement sa charge d'époux et la paternité du Sauveur. Il a un côté John Wayne, saint Joseph : le gars solide sur qui on peut toujours compter.

  • Les arbustes sont intéressants. Leur feuillage peut faire penser à celui des lauriers, qui donnent plutôt des fruits noirâtres. Les fruits rouges ou orange pourraient être des arbouses, qui poussent jusqu'en décembre, ou des cynorrhodons, ce qui expliquerait l'intérêt des chiens...
    Fascinante, cette icône... Passablement étrange, sinon ésotérique, mais fascinante...

  • Et les pierres, au sommet de la montagne, ont un agencement binaire qui évoque les Tables de la loi (ou la brioche de Noël).

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