Leva, Jerúsalem, óculos tuos, et vide poténtiam regis: ecce Salvátor venit sólvere te a vínculo.
Lève les yeux, Jérusalem, et vois la puissance du Roi : voici que le Sauveur vient te délivrer de tes liens.
L’antienne de Magnificat de ce jour, dans la version de l’antiphonale monasticum de 1934, légèrement différente de la version « romaine », et différente aussi de celle du nouvel antiphonale monasticum (2005), qui a notamment le si bémol (et même deux si bémols) alors que je croyais que la mode était de les supprimer, particulièrement dans ce cas de figure… (Trouvé sur Gregorian Books, naturellement.)
Commentaires
Un si bécarre serait une hérésie méritant le bûcher (bon, enfin, presque) sur une intonation aussi classique. Après, on peut discuter de la première note de "Jerusalem", Si bémol ou Do? En première analyse, le Si (bémol, donc) est plus naturel ici, dans la mesure où la mélodie ne marque nulle part le Do aigü comme corde modale.
Le mouvement sur "Jerusalem oculos" est magnifique. "Jerusalem" s'articule sur la corde modale du La, étage céleste, descend au Sol (d'attente), jusqu'à ce torculus dont on a l'impression qu'il remonte sur sa corde modale, tant qu'on peut le prendre pour un podatus ... pour s'en détacher à gregrets, en transit vers "oculos". Ce dernier mot s'articule sur le Fa, étage de contemplation, en retrait sur la vision glorieuse de la Jerusalem céleste du La. Ici encore, un Sol d'attente, suspensif, marquant son baroud d'honneur sur la virga, pour retomber sur ce qui paraît être une distrophae (?) se concluant finalement sur la corde modale Ré. Après la vision céleste, et l'étage contemplatif, retour sur terre, donc. On a levé les yeux au Ciel, puis on baisse le regard sur notre misère terrestre.
La deuxième incise s'articule clairement sur le Sol, degré d'attente dans ce mode, ici très orné. Attente du pouvoir du Roi, "regis", annoncé finalement comme posé sur la corde céleste du La, à la fin du récitatif d'attente. Le repos de l'incise dans la montée sur la corde céleste. C'est limineux.
La troisième incise monte du Ré (terrestre), transite sur le Fa (contemplatif) pour poser l'accent de Salvàtor sur le Sol d'attente. C'est bien Lui qu'on attend. Mais après cette vision, la mélodie ne s'articule plus qu'entre le Fa et le Ré. Lequel Ré affirme alors franchement son rôle modal, en s'appuyant sur le Do grave. Dialogue modal entre contemplation et réalité terrestre, donc, qui vient précisément "solvere te a vinculo", te délivrer de tes liens.
La maîtrise de la technique modale au service de la méditation sur le texte, c'est un art pleinement maîtrisé, sans ostentation mais splendide.
Et finalement... l'articulation au Do grave, plaçant le Ré en corde pleinement modale et non de simple repos, est une raison supplémentaire de ne pas faire sonner le Do aigü, qui n'a définitivement pas de rôle à jouer dans une telle pièce.
Deux-zéro pour les moines, donc.