Saint Augustin, traité 34 sur saint Jean :
Cette inaltérable lumière, cette lumière de la sagesse, cachée derrière le nuage de la chair, s’adresse aux hommes et leur dit : « Je suis la lumière du monde : celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie ». Vois comme il détourne tes regards de tout objet matériel, pour te rappeler à la considération d’un objet de nature toute différente. Il ne lui suffit pas de dire : « Celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière » ; car il ajoute : « de la vie », comme l’avait dit auparavant le Psalmiste : « Parce qu’en vous est la source de la vie ». Voyez donc, mes frères, quel accord se trouve entre les paroles du Sauveur et celles du Roi-Prophète : dans le psaume, il est aussi bien question de la lumière que de la source de la vie, et Jésus-Christ nous parle de la lumière de la vie. Dans notre manière d’apprécier les objets matériels, autre est la lumière, autre est une source : se servir de celle-ci, c’est le propre de notre gorge ; nos yeux doivent percevoir celle-là : quand nous avons soif, nous nous mettons en quête d’une fontaine ; nous nous munissons d’une lumière, si nous nous trouvons dans les ténèbres ; et si nous éprouvons, pendant la nuit, le besoin de boire, nous allumons un flambeau pour nous diriger plus sûrement vers la fontaine. Lorsqu’il s’agit de Dieu, il n’en est pas ainsi : en lui, ce qui est lumière, est en même temps source vive ; celui dont les rayons brillent à tes yeux pour t’éclairer, t’offre aussi d’abondantes eaux pour te rafraîchir.
Vous voyez, mes frères, si vous avez des yeux intérieurs, vous voyez à quelle lumière le Seigneur fait allusion quand il dit : « Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres ». Suis l’astre du jour, et voyons si tu ne marcheras pas dans les ténèbres. Voilà qu’il se lève et s’avance vers toi ; il dirige sa course vers l’Occident : pour toi, tu veux marcher peut-être vers l’Orient. Si tu ne suis pas une route toute différente, tout opposée à celle qu’il suit lui-même, il est indubitable qu’à marcher dans le même sens, tu feras fausse route, et qu’au lieu d’aller à l’Orient, tu iras à l’Occident. Sur terre, tu te tromperas en le prenant pour guide ; il en sera de même du navigateur qui réglera sur lui sa course à travers l’Océan. Si, au contraire, tu as formé le dessein de te diriger dans le même sens que le soleil, et d’aller, comme lui, vers l’Occident, il nous sera facile de voir, après son coucher, si tu ne marches pas dans les ténèbres. Remarque-le, en effet : il te quittera lors même que tu ne voudrais pas le quitter ; il te laissera en arrière, pour fournir sa course et obéir aux ordres de celui à qui il est forcément soumis.
Quoiqu’il n’apparût point aux yeux de tous, à cause du nuage de sa chair qui leur voilait ses rayons, Notre-Seigneur Jésus-Christ éclairait toutes choses par la puissance de sa sagesse. Ton Dieu est partout tout entier, et si tu ne te sépares point de lui, jamais ce soleil éternel ne se couchera pour toi. Aussi, dit-il, « celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie ». Ce qu’il a promis ne se réalisera, comme l’indiquent ses paroles, que dans l’avenir ; car il ne dit pas : Cet homme a la lumière de la vie, mais : « il aura la lumière de la vie ». Toutefois, il ne dit pas non plus : Celui qui me suivra, mais : « Celui qui me suit ». Ce que nous devons faire, il nous faut, d’après ses expressions, l’accomplir dès maintenant ; mais il nous donne à entendre que la récompense par lui promise à nos mérites ne nous sera accordée que plus tard. « Celui qui me suit aura la lumière de vie ». Aujourd’hui, on le suit : on jouira, plus tard, de la lumière : aujourd’hui, on le suit par la foi ; dans le siècle futur, on possédera la lumière en la voyant à découvert. « Pendant que nous habitons dans ce corps, nous marchons hors du Seigneur ; car nous n’allons vers lui que par la foi, et nous ne le voyons pas encore à découvert ». Quand le verrons-nous face à face ? Lorsque nous aurons la lumière de vie, lorsque nous serons parvenus à la vision intuitive, et que la nuit du temps présent se sera écoulée. De ce jour qui doit se lever plus tard, il a été dit : « Dès le matin, je paraîtrai en votre présence, et vous contemplerai ». Qu’est-ce à dire « Dès le matin ? » Quand la nuit de cette vie terrestre sera écoulée, lorsque nous n’aurons plus à redouter aucune tentation, après que nous aurons triomphé de ce lion qui tourne autour de nous pendant la nuit, en rugissant et en cherchant une victime qu’il puisse dévorer.