Début d’une lettre de 384 où Damase demande à saint Jérôme des explications sur cinq points de l’Ecriture.
Damase à son fils très aimé Jérôme.
Tu dors, et voici longtemps que tu lis plutôt que tu n'écris. Les petits problèmes que je t'adresse vont te réveiller ; ainsi en ai-je décidé. Non pour t'interdire le devoir de la lecture - car c'est la nourriture quotidienne qui alimente et engraisse l'oraison -, mais pour que ta lecture porte ses fruits, si tu te mets à écrire.
Donc, hier encore, tu me renvoies mon commissionnaire, en affirmant que tu n’as plus aucune lettre, hormis celles que tu avais jadis dictées au désert, et qu’aussi avidement que possible j’ai lues et copiées ; mais tu promets spontanément qu’en dérobant à tes nuits des heures de travail, tu pourras dicter quelques pages à mon intention, si je le désire. Bien volontiers j’accepte, puisque tu l’offres, ce dont je voulais te prier, si tu avais dit non.
Il ne saurait y avoir, je crois, de sujet de conversation plus honorable pour nos entretiens que de causer entre nous des Écritures ; je veux dire : moi faisant les demandes et toi les réponses. Il n'est, à mon avis, rien de plus agréable ici-bas qu'une telle méthode de vie, car cette nourriture de l'âme surpasse en douceur toutes les gâteries. Combien douces à mon palais tes paroles, dit le prophète, plus douces que le miel à mes lèvres ! (Ps 118, 103). Si, en effet, comme le prétend le prince des orateurs [Cicéron], nous autres hommes différons des bêtes en ce que nous possédons la faculté du langage, de quelle louange n'est-il pas digne celui qui surpasse tous les autres, précisément en ce qui fonde la supériorité des hommes sur les animaux ?
Au travail donc, et explique-moi les difficultés ci-dessous en observant en ces deux points la juste proportion : que les problèmes ne soient pas résolus à moitié, mais que tes lettres soient courtes. (…)
Début de la réponse (pittoresque) de saint Jérôme.
Dès que j’ai reçu la lettre de Ta Sainteté, aussitôt j’ai mandé un sténographe et lui ai ordonné de recueillir mes paroles. Tandis qu’il se préparait pour sa tâche, ma pensée imaginait d’abord ce que ma voix allait exprimer. Au moment précis où ma langue et l’outil du secrétaire allaient se mettre en mouvement, soudain se présente un Juif, porteur d’assez nombreux rouleaux qu’il avait reçus de la Synagogue sous prétexte de les étudier. Aussitôt : « Voici, me dit-il, ce que tu avais demandé. » J’hésitais, je ne savais que faire ; il me pressa tellement et m’effraya si fort que, laissant tout en plan, j’ai volé au travail de copie. Et jusqu’à cette minute je m’y adonne.
Cependant, puisque hier tu as envoyé un diacre pour me dire que tu attends une lettre (à ton avis), un aide-mémoire (à mon sens), et que tu désires une brève réponse à des questions dont chacune requerrait un grand ouvrage, j’ai improvisé ceci à ton intention, n’omettant que deux petits problèmes, non pas que je ne puisse donner quelque solution à ceux-là aussi, mais parce que des hommes très éloquents, à savoir notre Tertullien et Novatien, en ont traité en latin ; d’autre part, si nous voulions apporter du nouveau, il faudrait une trop large dissertation. En tout cas j’attends tes ordres : veux-tu qu’en une lettre nécessairement brève je casse à ton intention les opinions diverses, ou bien que je compose un livre sur chacune ? Origène, en effet, au quatrième tome de ses traités d’exégèse sur l’épître de Paul aux Romains, a magnifiquement discouru sur la Circoncision et abondamment disserté sur les animaux purs et impurs dans le Lévitique ; si donc je ne pouvais rien trouver de moi-même, je n’aurais qu’à emprunter à ses sources. Enfin, pour parler très franchement, j’ai en mains un livre de Didyme sur le Saint-Esprit ; je souhaite le traduire et te le dédier. Ainsi tu cesseras d’estimer que je ne fais que dormir, puisque lire sans écrire c’est dormir, à ton avis.
Donnant donc la préférence aux problèmes dont tu as fait suivre ta lettre, j’y ai ajouté ce que j’en pense. Je te demande pardon et de ma hâte et de mes délais. De ma hâte, puisque, dans une seule et courte veillée, j’ai prétendu dicter un texte qui eût exigé bien des jours. De mon retard puisque, retenu par une autre tâche, je n’ai pas répondu immédiatement à tes questions. (…)
Traduction Jérôme Labourt, Les Belles Lettres, 2002.
Commentaires
Ça, c'est avoir du tempérament!
Il faudra un jour publier les courriels qu'échangent probablement le "pape" et les Docteurs de notre temps, qui ne dorment pas non plus. On attend avec gourmandise la correspondance entre Frankie et James Martin sur des sujets tels que la création de monastères-lupanars pour transsexuels, ou le martyre quotidien des sodomites dans l'Occident homophobe.
"Oh là, Jimmy les Pendantes, tu roupilles ? Il y a huit jours que j'attends ta baveuse sur la meilleure stratégie pour faire accepter le principe du mariage homo à la Fraternité Saint Pie X ! On se réveille, ma louloute !"
Cela fait deux fois que je parle ici de baveuse au lieu de bafouille. Je rectifie, bien que, dans le cas de James Martin s.j., je puisse me targuer d'avoir inventé un néologisme qui lui va comme un gant.
Excellent et délectable. Quel est le titre de cet ouvrage? Merci.
C'est le tome II de la Correspondance de saint Jérôme, Les Belles Lettres, 2002 (première édition 1951). Il y a 8 tomes et c'est passionnant.