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Etourdies ?!

L’évangile de la fête de sainte Catherine est celui qu’on appelle traditionnellement l’évangile des vierges sages et des vierges folles.

Comme c’est celui du premier commun des vierges martyres et du premier commun des vierges non martyres, il revient souvent au cours de l’année. Dans la traduction officielle des années 1960, il est question de vierges « étourdies » et de vierges « prudentes ». Cela me fait bondir (intérieurement) à chaque fois. Comment peut-on penser une seconde que ces vierges se voient interdire l’accès au paradis parce qu’elles ont été « étourdies » ? Qui peut être sauvé si ne peut être sauvé un étourdi ?

Les mots grecs sont φρόνιμοι (phronimi) et μωραὶ (morai). Comme, dans le même évangile de saint Matthieu, l’homme sensé qui construit sa maison sur le roc, et l’insensé qui la construit sur le sable.

Tel est le sens obvie de ces mots. Il y a d’un côté des vierges sages, « prudentes » si l’on veut, mais au sens (premier) d’avisées, sensées (celui du latin prudentes), et non de prévoyantes. Et de l’autre des vierges folles, insensées (en latin fatuae, qui ne veut jamais dire « étourdies »).

Car il faut être fou, insensé, pour aller à la damnation éternelle. Pas « étourdi ».

Cette dérive insensée de la traduction de la parabole se trouve déjà dans la Bible Pirot-Clamer, que certains considèrent comme traditionnelle. C’est la traduction du P. Denis Buzy (1934). Non seulement il traduit par « étourdies », mais il affirme que la parabole devrait s’appeler la « parabole des dix jeunes filles », car le fait qu’elles soient ou non vierges n’a aucune importance. Et c’est pourquoi dans la traduction « liturgique » officielle de l’Eglise de France actuelle, il s’agit de « dix jeunes filles », cinq étant « insouciantes », et cinq « prévoyantes ».

Le P. Buzy prenait le soin de nous expliquer aussi que les nombres sont sans importance : c’est juste que 10 est un « nombre rond qui se laisse facilement partager en deux groupes ». Sic.

Quel est alors le sens de la parabole ? Eh bien tout simplement que ceux qui seront prêts à la venue du Christ entreront dans le Royaume, et que ceux qui ne sont pas prêts en seront exclus…

Bref, il n’en reste quasiment rien. Sinon cette absurdité de fidèles exclus du Royaume parce qu’ils ont été étourdis.

Jusqu’à quand va-t-on ainsi défigurer la Sainte Ecriture ?

Petit rappel résumé de l’exégèse traditionnelle. Il y des groupes de cinq vierges parce que 5 est le nombre des sens corporels : le toucher, l’odorat, l’ouïe, le goût, la vue. Celui qui garde vierges ses cinq sens est celui qui ne se laisse pas aller aux tentations sensuelles et se garde des péchés qu’elles induisent. Mais il ne suffit pas de garder vierges ses sens. Il faut encore avoir de l’huile dans sa lampe : la charité. Car si je n’ai pas la charité je ne suis rien (1 Corinthiens 13, 1-3).

Commentaires

  • Merci beaucoup cher Monsieur de nous rappeler cette exégèse traditionnelle si simple si pure si belle ...

  • Merci aussi pour ces explications claires.

  • Un grand merci, commentaire intéressant. Je ne savais pas que l'huile représentait la charité. Détail très important. Cette charité dont on ne fait pas facilement preuve...

  • Je ne pense pas que l'herméneutique, quelle qu'elle soit, puisse prétendre épuiser la richesse de ce texte. On peut aussi rappeler que dix est un symbole de totalité, que les vierges représentent les âmes, que l'huile des vierges folles s'épuise comme les honneurs et les louanges humaines...
    Rimbaud lui-même propose une relecture très originale de la parabole dans Une saison en enfer, relecture qui a inspiré Claudel.

  • Le nombre dix correspond, au sens littéral, à la coutume de l'Antiquité d'avoir 10 gens d'honneur (respectivement 5 hommes et 5 vierges; ici dans la parabole évangélique 10 demoiselles d'honneur). Jadis, on adjoignait à l’époux de jeunes gens d’honneur parés, et à l’épouse des demoiselles d’honneur, portant devant eux comme torches nuptiales des branches de pin, le plus souvent des branches d’aubépine.
    Les époux préféraient, pour la nuit de noces, les torches (tæda ou spina) et flambeaux (fax) aux lampes à huile (lucerna), parce que les premiers résistent aux coups de vent, tandis que les dernières s’éteignent sur-le-champ. Cependant, celles-ci s’appellent proprement lampadaire (lampas), parce qu’il est fait mention d’huile, et elles sont destinées à être portées par les vierges, tandis que les torches sont pour les hommes (Virgile : Bucoliques, églogue 8, v. 29 & Énéide, IV, 15 & 339 ; Martial, XII, 42, v. 3 ; Catulle : Épigrammes, LXI : « Épithalame de Manlius et Julia », v. 8 & 122 ; Pline : Histoire naturelle, XVI, 30).
    Le cortège antique serait donc normalement composé de cinq hommes portant des branches de pin ou d’aubépine allumés et de cinq vierges ayant une lampe à huile à la main ; toutefois, dans la parabole évangélique sont mis en scène seulement dix vierges munies de lampes à huile, en raison du symbolisme : pour signifier l’huile de la grâce spirituelle, point n’est besoin de branches d’arbre enflammées.

  • l'existence de garçons et de demoiselles d'honneur n'a pas disparu, même si de nos jours ils servent plutôt à faire la quête et si on a de plus en plus tendance à faire jouer leur rôle à des enfants

  • Merci beaucoup, cher Monsieur Daoudal pour votre analyse et vos commentaires toujours judicieux. Merci aussi pour citer aussi souvent que possible les textes grecs et éventuellement latin.

    Moi aussi cette nouvelle traduction de l'AELF m'a fait sursauter. Au nom de quoi évacuer une traduction fidèle qui avait fait ses preuves ? Pour se rapprocher d'un peuple que l'on veut ignare ? Pour, une fois de plus, se conformer à l'esprit du temps ?
    Bien sûr les termes étourdies et prudente m'ont fort perturbé par leur fadeur, leur insignifiance dans ce contexte, choix qui exprime peut-être un volonté de ne pas choquer le peuple (ce qui est du populisme.

    Mais ce qui m'a dérangé le plus est de remplacer « vierges » par « jeune filles ». Dans notre temps d'hédonisme tous azimuts la virginité n'est plus comprise comme une valeur ; elles est au contraire méprisée et ridiculisée. Particulièrement, me semble-t-il, dans une optique protestante où le mariage n'est pas un sacrement et où même dans certains milieux la virginité de la Vierge Marie est remise en cause. Virginité mariale remise en cause en particulier avec l'interprétation « des frères du Christ ».
    Je pense que c'est surtout le terme de « vierges » que des évêques mondains à la suite de François ont voulu faire disparaître. Cela participe à une remise en cause de la morale sexuelle traditionnelle de l’Église.

  • La virginité est un état physiologique qui peut renvoyer à un état moral d'innocence et de pureté, mais je ne vois pas comment on pourrait soutenir que c'est le cas dans cette parabole. Chaque parole du Christ est importante dans l'Evangile, mais s'il y a ici plus qu'une référence à la tradition des mariages hébraïques, si l'on tient à ce que la virginité symbolise un état moral, l'interprétation doit alors éclairer cet oxymore de vierge folle autrement que par une comparaison avec la virginité de Marie. Car assurément la très sainte Vierge est très au-dessus des vierges folles, et même des vierges sages, qui elles aussi ont un peu dormi.

  • On pourrait soutenir que la virginité, ici, est négative. Ce serait la simplicité, la bêtise des âmes humaines comparées à la splendeur divine.
    Je connaissais une prof assez courageuse, qui s'est retrouvée dans un collège de banlieue. Un grand métèque de troisième lui demande, le premier jour : "Tu suces ?" "Non, je fais pas les puceaux." Après, elle a eu la paix.

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