Si nous désirons être vraiment sages et contempler la sagesse même, reconnaissons humblement que nous ne sommes que des insensés. Renonçons à une sagesse dangereuse, apprenons une folie digne de louanges. C’est pour nous y engager qu’il est écrit : « Dieu a choisi ce qui est insensé selon le monde pour confondre les sages ». C’est pour cela encore qu’il a été dit : « Si quelqu’un d’entre vous paraît sage selon ce siècle, qu’il devienne fou pour être sage ». C’est pour cela enfin que les paroles de l’Évangile nous attestent que Zachée, ne pouvant voir à cause de la foule, monta sur un sycomore afin de contempler le Seigneur à son passage. Le mot sycomore signifie, en effet, figuier fou.
Zachée, qui était très petit de taille, monta donc sur un sycomore et vit le Seigneur ; car ceux qui choisissent humblement ce que le monde taxe de folie, contemplent avec clarté la sagesse de Dieu. La foule empêche notre petitesse de voir le Seigneur parce que le tumulte des sollicitudes du siècle accable l’infirmité de l’esprit humain, de telle sorte qu’il ne peut porter ses regards vers la lumière de la vérité. Mais nous montons sagement sur le sycomore, si nous gardons avec soin en notre esprit cette folie que nous conseillent les préceptes divins. Qu’y a-t-il en ce monde de plus insensé que de ne pas chercher à recouvrer les biens que l’on a perdus ; d’abandonner ce qu’on possède à ceux qui le ravissent ; de ne pas rendre injure pour injure, mais au contraire de n’opposer que la patience à un surcroît d’outrages ?
Le Seigneur nous ordonne, en quelque sorte, de monter sur le sycomore, quand il nous dit : « Ne redemandez point votre bien à celui qui vous le ravit », et aussi : « A quiconque vous frappe sur une joue, présentez encore l’autre ». Du haut du sycomore on aperçoit le Seigneur qui passe ; car, grâce à cette sage folie, on voit la sagesse de Dieu, non point encore d’une manière complète et durable, mais par la lumière de la contemplation, et comme en passant. Au contraire ceux qui paraissent sages à leurs propres yeux ne le sauraient apercevoir, car, arrêtés par la foule de leurs orgueilleuses pensées, ils n’ont pas encore trouvé le sycomore pour contempler le Seigneur.
Saint Grégoire le Grand, Morales sur Job, livre 27, ch. 21, lecture des matines avant 1960.