Pour ce jour, le cardinal Schuster cite, « en l’honneur de la sainte Vierge, ce magnifique poème qui, dans les manuscrits, porte le titre suivant : Andreae oratoris, de Maria Virgine, ad Rusticianam carmen. Rusticiana est la femme de Severinus Boethius (Boèce) ». (On ne sait rien de cet André l’orateur, ou André Orateur, et il n’est pas sûr que cette Rusticiana fût la femme de Boèce… D’autre part ces vers sont beaucoup plus dogmatiques que poétiques, comme un résumé des grands conciles.)
Virgo parens hac luce Deum virumque creavit,
Gnara puerperii, nescia conjugii.
La Vierge-Mère a donné le jour à l’Homme-Dieu ; elle a connu l’enfantement, ignoré le mariage.
Obtulit haec jussis uterum, docuitque futuros
Sola capax Christi quod queat esse fides.
Aux ordres divins elle a prêté son sein, enseignant à la postérité que seule la foi peut posséder le Christ.
Credidit et tumuit, Verbum pro semine sumpsit,
Sepserunt magnum parvula membra Dominum.
Elle a cru et conçu, ensemencée du Verbe : ses membres chétifs ont contenu le Seigneur très grand.
Fit fabricator opus, servi rex induit artus,
Mortalemque domum vivificator habet.
Le Créateur se fait créature, le Roi prend le corps d’un serviteur, et dans une demeure mortelle réside l’Auteur de la vie.
Ipse sator semenque, sui matrisque creator ;
Filius ipse hominis, qui pater est hominum.
Il est semeur et semence, son auteur et celui de sa Mère ; Fils de l’homme, Lui, Père des hommes.
Affulsit partus, lucem lux nostra petivit,
Hospitii linquens hostia clausa sui.
A sa naissance glorieuse, notre lumière est venue au jour, laissant portes closes son asile.
Virginis et Matris, servatur gloria consors,
Mater dans hominem, noscere Virgo Deum.
Vierge et Mère, ces deux gloires demeurent associées : Mère, elle enfante l’Homme ; Vierge, elle connaît Dieu.
Unius colitur duplex substantia Nati :
Vir Deus, haec duo sunt unus, utrumque tamen.
Dans l’unique Fils, nous adorons deux natures : homme, Dieu, ces deux n’en font qu’un, les deux sont cependant vrais.
Spiritus huic Genitorque suus sine fine cohaerent,
Triplicitas simplex, simplicitasque triplex.
Son Esprit et son Père lui sont unis à jamais, Trinité simple et trine simplicité.
Bis genitus, sine Matre opifex, sine Patre redemptor,
Amplus utrisque modis, amplior unde minor.
Deux fois engendré, comme Créateur sans mère, comme Rédempteur sans père, de part et d’autre il est grand, d’autant plus grand qu’il s’abaisse.
Sic voluit nasci, domuit qui crimina mundi,
Et mortem jussit mortuus ipse mori.
Ainsi voulut naître le vainqueur des crimes de ce monde, qui, mourant, contraignit la mort à mourir.
Nostras ille suo tueatur numine vitas,
Protegat ille tuum, Rusticiana, genus.
Que, par sa puissance, il protège nos vies. Qu’il protège, ô Rusticiana, votre race.
(Mosaïque de Sainte-Marie-Majeure, qui est Sainte-Marie aux Neiges.)
Commentaires
Il vaudrait mieux traduire qu'elle a connu l'enfantement, ignorante du mariage, ou sans être mariée. Encore le mot "conception" conviendrait-il mieux ici, dogmatiquement, que ce "puerperii", qui semble laisser le grand saint Joseph au bord du chemin.
Je suppose que vous voulez aussi corriger l'introït des fêtes de la Sainte Vierge (et de ce jour): Salve sancta parens puerpera Regem, et, tant qu'à faire, la liturgie byzantine: Salut, épouse sans époux... Toi qui n'as pas connu le mariage...
Pour l'introït que vous citez, il ne contredit pas ce que j'ai écrit : je ne conteste pas que la Très Sainte Vierge ait enfanté un Roi, mais plutôt qu'elle l'ai fait sans être mariée. Pour la liturgie byzantine, il faudrait prendre le grec, mais la tournure est elliptique. En français, connaître peut vouloir dire connaître charnellement.
qu'elle l'ait fait...
Au fond, ma remarque était surtout une question, soulignant l'ambigüité de la première strophe du poème que vous citez. Si la Vierge Marie est l'épouse du Saint-Esprit, faut-il considérer son mariage avec saint Joseph comme une pure convention ou faut-il certainement reconnaître sa validité sacramentelle, même s'il n'a jamais été consommé ? Je tends pour la seconde alternative, mais je ne suis pas très profond théologien. Si je me trompe, corrigez-moi.
Il est vrai, et je m'arrêterai là, que le latin conjugium peut désigner l'acte sexuel, ce qui dès lors arrange tout.