Dom Guéranger avait fait profession monastique à Rome, en l’église Saint-Paul hors les murs, en la fête de sainte Anne de 1837, devant la relique qui s’y trouve : le bras de la grand-mère de Dieu et des Bretons. Toute sa vie l’abbé de Solesmes eut une grande dévotion pour sainte Anne. Il composa un propre de la « Congrégation de France », imprimé en 1856, où figurait un office de sainte Anne, avec plusieurs pièces reprises d’anciens formulaires, dont l’hymne Claræ diei gaudiis qu’on trouvera ci-dessous. Mais cet office-là ne fut pas accepté par la Congrégation des rites. Plus tard, l’évêque de Vannes, Mgr Jean-Marie Bécel, qui rétablissait nombre de fêtes d’anciens saints bretons et faisait construire la basilique de Sainte-Anne d’Auray, demanda à dom Guéranger un office de sainte Anne pour son diocèse, où se trouve Sainte-Anne d’Auray. Dom Guéranger se mit à la tâche et composa un très bel office, à partir de diverses sources, achevé en janvier 1872, trois ans avant sa mort.
Pour l’hymne des premières vêpres et des matines, il reprit une hymne du XVIIe siècle, qu’on trouve notamment dans le livre de « Prières ecclésiastiques » de Bossuet puis dans divers livres d’heures du XVIIIe siècle. En dehors de l’audacieuse substitution de « parens Britannia » à « parens Ecclesia », la modification la plus importante est celle qui concerne la dernière strophe (avant la doxologie), puisqu’elle devient… deux strophes. Et que le nouveau texte chante de façon appuyée l’Immaculée Conception, dogme pour lequel dom Guéranger avait bataillé et écrit un livre entier. Ces vers-là sont une claire signature et rendent vaines les spéculations d’Ulysse Chevalier selon qui le remaniement de l’hymne serait du chanoine Schliebusch (qui était le bras droit de l’évêque pour les réformes liturgiques) ; lequel Schliebusch avait d’ailleurs formellement démenti ces allégations et souligné que tout l’office était de dom Guéranger - de toute façon dom Guéranger lui-même a réglé la question puisqu'il écrivait dans son journal le 23 janvier 1872 : « J'ai envoyé à Lorient un office que l'on m'a demandé en l'honneur de sainte Anne comme Patronne des Bretons. »
Mais cette hymne du XVIIe siècle était elle-même une reprise d’une hymne qui existait au XIIIe siècle, tout à fait charmante, mais qui ne pouvait qu’être rejetée par les puristes après la Renaissance, parce qu’elle était rimée au lieu de suivre la métrique classique…
Voici donc d’abord l’hymne du propre de Vannes, suivie de l’hymne du XVIIe siècle, et de l’hymne médiévale. On notera que celle-ci se trouve dans l’office de sainte Anne qui fait partie des offices ajoutés au bréviaire mozarabe par le cardinal Jiménez en 1502.
Lucis beatæ gaudiis,
Gestit parens Britannia,
Annamque Judææ decus
Matrem Mariæ concinit.
Lumière bienheureuse, dont les joies
font tressaillir la Mère Bretagne.
En ce jour elle chante Anne, l’honneur de la Judée,
la Mère de Marie.
Regum piorum sanguini
Jungens Sacerdotes avos,
Illustris Anna splendidis
Vincit genus virtutibus.
Joignant au sang des saints Rois
celui de ses aïeux les Pontifes,
Anne surpasse par l’éclat des vertus
l’illustration d’une telle race.
Cœlo favente nexuit
Vincli jugalis fœdera,
Alvoque sancta condidit
Sidus perenne virginum.
Sous le regard du ciel,
elle contracte une alliance bénie ;
dans sa chair sainte prend vie
l’astre immortel des vierges.
O mira cœli gratia !
Annæ parentis in sinu
Concepta virgo conterit
Sævi draconis verticem.
Merveille de la céleste grâce !
Au sein la céleste d’Anne sa mère,
la vierge écrase en sa conception
la tête du dragon cruel.
Tanto salutis pignore
Jam sperat humanum genus :
Orbi redempto prævia
Pacem columba nuntiat.
Nantie d’un tel gage de salut,
la race humaine espère enfin :
au monde racheté la colombe
annonce la paix qui la suit.
Sit laus Patri, sit Filio,
Tibique Sancte Spiritus.
Annam pie colentibus
Confer perennem gratiam.
Amen.
Soit louange au Père, ainsi qu’au Fils,
et à vous, Esprit-Saint !
Aux pieux clients d’Anne
donnez la grâce éternelle.
Amen.
Avec la traduction bretonne, trouvée dans Barr-Heol de mars 1978 (numérisé par le diocèse de Quimper).
L'hymne du XVIIe siècle:
Claræ diei gaudiis
Gestit parens Ecclesia
Annamque Judææ decus
Matrem Mariæ concinit.
Regum piorum sanguini
Jungens sacerdotes avos
Ilustris Anna splendidis
Vincit genus virtutibus.
Cœlo favente contrahit
Thori fidelis vinculum
Effœta dudum corpore
Prolem beatam concipit.
Audit monentis Angeli
Felix parens oraculum
Castoque format pectore
Perenne sidus virginum.
Deo Patri sit gloria
Ejusque soli Filio
Cum Spiritu Paraclito
Et nunc et in perpetuum. Amen.
Avant le XVIIe siècle:
Clara diei gaudia
Moduletur Ecclesia
In Anna Dei famula
Pangens cœli miracula.
Anna Regum progenies,
Et Sacerdotum series
Stirpem illustrem Patribus
Suis ornavit actibus.
Nupta cœli judicio
Fideli matrimonio
Fructum concepit cœlicum
Juxta verbum Angelicum.
Infœcunda pro tempore
Et prope marcescens corpore
Decreto Patris luminum
Parit Reginam Virginum.
Obtentu Matris filiæ
Mariae plenæ gratiæ
Nobis auctorem omnium
Fac habere propitium.
Sit laus Paterno lumini,
Sit Filio, sit Flamini,
Qui nos per Annæ meritum
Cœli traducat aditum. Amen.
(Photo: l'autel de sainte Anne, en la basilique de Sainte-Anne d'Auray, avec la statue dorée qui contient un fragment de la statue originelle, brûlée à la Révolution française.)
Commentaires
Petite coquille : il s'agit de Mgr Bécel et non Bécé, évêque de Vannes de 1866 à 1897. Fait rare, il est originaire du diocèse où il fut évêque (natif de Beignon, près de Guer. Sa nomination dans son diocèse d'origine est probablement due à son amitié avec la princesse Baciocchi, cousine de Napoléon III.
L'adaptation en breton vannetais de l'hymne est issue du "livr pédenneu overenn ha gospéreu eskopti Guéned" de 1927 Livre de prières, de messe et de vêpres du diocèse de Vannes en latin et breton paru en 1927. La traduction (assez libre) en breton des hymnes des vêpres (pour le sanctoral et le temporal est l'oeuvre de l'abbé Matelin (Mathurin) Le Priellec (1869-1945) chanoine titulaire de la cathédrale de Vannes.