Les dernières lignes du Gémissement de la Colombe. Bellarmin vient d’évoquer le pouvoir des larmes, notamment quant à la conversion de saint Augustin.
Il nous reste seulement à faire voir quel en est le prix. Saint Grégoire pourra nous l’apprendre, et son témoignage seul, nous suffira. Il explique d’une manière qui convient très bien à notre sujet, le mystère des deux Autels du Temple de Jérusalem, l’un d’airain dans le Parvis, et l'autre d'or devant l’Arche dans le Tabernacle même. Le premier, dit ce saint Docteur, désignait les pénitens qui pleurent que par la crainte de la peine : le second marquait les parfaits, qui pleurent par le seul motif de l’amour de Dieu. mais entendons-le parler lui-même :
« Pourquoi pensez-vous, mes très chers frères, qu’on brûle les chairs dans le Parvis et les parfums dans le Tabernacle, si ce n’est pour signifier ce que nous voyons tous les jours, qu’il y a deux sortes de componction. La crainte fait pleurer les uns, l’amour les autres. Plusieurs se ressouvenant de leurs péchés, et appréhendant la punition, versent des larmes, détestent leur mauvaise vie, et par le feu de la componction consument les vices, dont ils ressentent encore les atteintes dans leur cœur. N’est-ce pas ceux-ci qui sont figurés par l’Autel d’airain, sur lequel on brûle les chairs, et n’est-ce pas eux qui sont toujours occupés à faire pénitence de leur vie charnelle et impure? Pour les autres qui ne savent ce que c'est que les vices de la chair, ou qui à force de pleurer et de gémir s’en étant défaits, brûlent du Divin amour, ils aspirent au doux repos de la céleste Patrie; ils voudraient jouir déjà de la Compagnie des Bienheureux, leur long pèlerinage sur la terre est pour eux une facheuse servitude; ils désirent ardemment de voir le Roi du Ciel dans sa gloire, et ils l’aiment si tendrement, que jour et nuit ils fondent en larmes. N’est-ce pas là ceux, dans le cœur desquels, ainsi que sur l’Autel d’or, on offre les doux parfums, qui sont les symboles des vertus Chrétiennes ? »
Tout ce discours est de saint Grégoire, et la conclusion qu’on en doit tirer, c'est qu’avec les larmes, dont nous parlons, nous faisons un sacrifice odoriférant devant Dieu, suivant ce mot du Psalmiste : C’est une victime agréable à Dieu qu’une âme toute pénétrée de douleur. Considérons donc les larmes de la pénitence comme un sacrifice d’agneaux et de bœufs que l’on brûle dans le parvis sur l’Autel d’airain; mais regardons celles qui proviennent de l’amour de Dieu, et du désir de le voir, comme un sacrifice de précieux parfums, que l’on offre dans le sanctuaire sur l’Autel d’or. Ce dernier est sans contredit le plus excellent et le plus parfait. Car quoique tout sacrifice doive plaire au Seigneur, puisque ce n’est qu’une solennelle reconnaissance de son domaine souverain, et de l’empire qu’il a sur toutes les choses créées; néanmoins parmi tous ceux de l’antiquité le plus innocent et le plus doux était celui que le seul Grand Prêtre offrait une fois l’année sur l’Autel d'or, dans l’endroit le plus saint du Temple, selon que l’Apôtre le déclare dans son Epitre aux Hébreux. Jugeons de là combien les larmes des pénitents sont agréables à Dieu, puisqu’on les compare à des sacrifices; et de quel prix sont celles des Saints, dont la source est le pur amour, puisqu’on les égale en mérite et en excellence au sacrifice le plus noble qui est celui de l’encens. Certainement si les hommes considéraient et comprenaient bien ceci, ils verraient que ceux qui pleurent sont heureux, et ils feraient sans comparaison plus d’état de ces larmes saintes, que de toutes les joies du monde.
Finissons par un passage du bienheureux Laurent Justinien, qui confirme tout ce que nous avons dit : Personne ne s’est présenté les larmes aux yeux devant le Seigneur, qu’il n’ait obtenu ce qu’il souhaitait, et personne ne l’a prié de quelque grâce, qu’il n’en ait été exaucé. Car c'est lui qui console ceux qui pleurent; c’est lui qui prend soin des affligés, qui forme et instruit les pénitents. O humble larme, vous êtes aussi puissante qu’une Reine; vous ne craignez point le Tribunal du souverain Juge; vous fermez la bouche à ceux qui accusent vos amis; rien ne vous empêche d’approcher de Dieu. si vous entrez seule et dénuée de tout, vous ne sortez point les mains vides. En un mot vous surmontez l’invincible, vous liez le Tout-puissant, vous attirez le Fils de la Vierge; vous ouvrez le Ciel; vous mettez les Démons en fuite. Vous êtes la nourriture des âmes, l’affermissement des sens, l’abolition des péchés, l’extinction des vices. Vous prévenez les vertus, vous accompagnez la grâce, vous purifiez les cœurs. On trouve dans vous le bonheur de la vie, la satisfaction de l’esprit, le recouvrement de l’innocence, la douceur d’une parfaite réconciliation, le calme d'une bonne conscience, et une ferme espérance de la béatitude éternelle. Que celui qui peut vous joindre à sa prière, s’estime heureux, parce qu’il en sortira plein de confiance et de joie. Ainsi soit-il.