L'empereur, qui avait eu occasion de connaître la prudence et l'habileté du père Laurent, à la manière dont il venait de remplir une mission délicate, songea à l'employer dans une affaire d'un genre tout différent et aussi difficile. Mahomet III, qui occupait alors le trône ottoman, s'étant avancé vers le Danube, annonçait le projet d'envahir la Hongrie. Rodolphe leva une armée et invita tous les princes de l'Allemagne, tant catholiques que protestants, à venir se joindre à lui pour la défense de la chrétienté. Mais il craignit que ses invitations, quelque pressantes qu'elles fussent, n'obtinssent pas tout le résultat qu'il désirait, et il leur envoya le père Laurent pour les déterminer. Le succès du saint religieux fut complet : tous les secours demandés furent envoyés avec célérité, et l'archiduc Mathias fut choisi pour généralissime de l'armée chrétienne.
Mais là ne devait point se terminer encore la mission du bienheureux Laurent : le Seigneur lui réservait un triomphe d'un autre genre. A la demande de Mathias, du nonce et de plusieurs des princes confédérés, le pape lui ordonna de se rendre à l'armée, afin de contribuer aux succès de la campagne, par ses conseils et par ses prières. Il obéit sans résistance. Sitôt qu'il fut arrivé, on rangea devant lui l'armée en bataille. Le saint religieux, la croix à la main, harangua les soldats et les assura formellement d'une victoire certaine; ensuite il les prépara au combat par la prière et par la pénitence. Le jour de l'engagement, le général ottoman présenta 80.000 hommes en bataille rangée ; le général des chrétiens n'en avait que 18.000. Frappés de cette différence, quelques officiers de l'empereur, même des plus intrépides, conseillaient d'agir avec prudence et de se retirer dans l'intérieur du pays. L'archiduc ayant appelé le père Laurent au conseil, celui-ci s'y rendit, prit connaissance de l'objet de la délibération, opina pour l'attaque, et, pour la seconde fois, il donna à l'assemblée l'assurance d'une victoire complète. Cette réponse ayant diminué les craintes, l'on résolut de commencer le combat sur-le-champ, et on rangea les soldats en bataille. Le père Laurent, à cheval, se plaça à la première ligne, revêtu de son habit religieux. Alors élevant un crucifix qu'il tenait à la main, il se tourna vers les troupes, et leur parla avec tant de force, qu'elles ne voulurent pas attendre l'attaque des Turcs. Sur-le-champ elles s'élancèrent contre l'ennemi avec une valeur incroyable. Les Turcs, de leur côté, les reçurent avec fermeté, et le choc fut terrible. Le père Laurent fut un moment entouré par les infidèles; mais les colonels Rosbourg et Altain, accourus pour le défendre, l'arrachèrent au péril et le conjurèrent de se retirer, lui disant que ce n'était pas là sa place. « Vous vous trompez, leur répondit-il à haute voix ; c'est ici que je dois être ; avançons, avançons, et la victoire est à nous ! » Les chrétiens recommencent la charge, et l'ennemi, frappé de terreur, s'enfuit dans toutes les directions.
Cette bataille se donna le 11 octobre 1611. Une seconde eu lieu le 14 du même mois, et fut suivie des mêmes succès. Les Turcs se retirèrent alors au delà du Danube, après avoir perdu 30.000 hommes. On ne saurait exprimer les sentiments d'admiration que le père Laurent avait inspirés aux généraux et aux soldats. Le duc de Mercœur, qui commandait sous l'archiduc, déclara que ce saint religieux avait plus fait lui seul dans cette guerre que toutes les troupes ensemble, et qu'après Dieu c'était à lui qu'il fallait attribuer les deux victoires remportées sur les ennemis du nom chrétien.
Lors de la cérémonie de la béatification du père Laurent, cet événement mémorable fut représenté dans un tableau placé au-dessus de la principale porte du Vatican. On y lisait en lettres d'or une inscription latine, dont voici la traduction : « L'Autriche se trouvant dans la plus grande détresse, le bienheureux Laurent de Brindes, la croix à la main, épouvante et met en fuite les ennemis du nom chrétien. »
Extrait de « Légende céleste, nouvelle histoire de la vie des saints, avec la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, celle de la Sainte Vierge, et le précis historique des fêtes de l’année, le tout d’après les documents les plus authentiques, par une société de littérateurs et d’ecclésiastiques, ouvrage revu par MM. les vicaires généraux et approuvé par Monseigneur l’archevêque de Paris », 1846.
La gravure ci-dessus a été réalisée d’après le tableau, comme en atteste l’inscription, mais je n’ai pas trouvé le tableau lui-même.
Euh… non, ce n’est pas pour cette raison-là que Jean XXIII a fait saint Laurent de Brindes docteur de l’Eglise et l’a inscrit au calendrier liturgique…
Et pourtant, c’est bien pour célébrer les 50 ans de saint Laurent docteur de l’Eglise qu’un site… indonésien a publié cette autre gravure :