Comme toute carmélite qui se respecte, sainte Thérèse n'avait aucun intérêt pour la liturgie. Il va de soi que lorsqu’on chante none, la lumière de l’après-midi qui décline, un peu avant 7 heures du matin, et qu’on chante les laudes, avec l’arrivée de la lumière du matin, vers 22 heures, et que c’est ainsi tous les jours de la vie religieuse, il vaut mieux ne pas y faire attention.
Lorsqu’en 1925 elle a été canonisée, il a fallu composer son office et sa messe. Il a fallu, parce que depuis trois ou quatre siècles on croyait qu’il fallait composer un office et une messe pour le nouveau saint, en cherchant ce qui pouvait le mieux le caractériser. D’où des chants inchantables et des oraisons à rallonge, alors que la tradition des pères était de chanter le commun en y ajoutant une oraison (qui ne raconte pas la vie du saint) et éventuellement quelques lectures des matines.
Les textes de la messe propre de sainte Thérèse tentent donc de faire un portrait de la sainte. De façon trop systématique comme d’habitude, mais on a pris soin de choisir quelques textes poétiques donc vraiment liturgiques, du Cantique des cantiques et de l’Ecclésiastique.
Pour l’introït, on a plaqué sur le texte du Cantique le chant de l’introït du mardi de la deuxième semaine de carême. C’est pas mal trouvé, puisque dans celui-ci l’orant cherche le visage de Dieu, et que dans celui-là Dieu cherche son épouse. Comme le texte pour sainte Thérèse est notablement plus long, il a fallu bricoler des rallonges, mais c’est plutôt bien fait.
Le graduel lui aussi est bien fait, mais c’est plus facile, puisque les graduels sont généralement des enchaînements de formules connues.
En revanche l’Alleluia est une véritable catastrophe. D’abord à cause du texte choisi, qui en fait un Alleluia au moins deux fois, voire trois plus long qu’un Alleluia classique. Le texte est magnifique, et les moines le connaissent bien puisqu’il est au début des cantiques du troisième nocturne des fêtes de la Sainte Vierge, mais il ne se prête pas du tout à une mélodie d’Alleluia. Le compositeur n’a rien trouvé de mieux que de mettre bout à bout deux mélodies existantes, qui n’ont de commun que le mode, avec un vague raccord pour allonger encore un peu la soupe. Et il a oublié de finir le deuxième par le jubilus de l'Alleluia, ce qui renforce encore le caractère artificiel de la chose…
En bref ce n’est pas une messe à chanter, mais à réciter. Ce qui pose quand même un problème chez nous depuis que sainte Thérèse est patronne secondaire de la France.
Voici le texte de l’Alleluia (Ecclésiastique 39,17-19), qu’il faut goûter en latin :
Allelúia, allelúia. Quasi rosa plantáta super rivos aquárum fructificate : quasi Libanus odórem suavitátis habete : florete, flores, quasi lílium, et date odórem, et frondete in grátiam, et collaudate cánticum, et benedicite Dóminum in opéribus suis. Allelúia.
Fructifiez comme la rose plantée sur les bords des eaux : comme le Liban répandez votre parfum suave : semblable au lys, faites éclore vos fleurs et exhalez vos parfums, ornez-vous de grâce, et chantez un cantique de louange, et bénissez le Seigneur pour la grandeur de ses œuvres.
(Comme dans d’autres textes de la Bible, le mot "Liban" est la transcription du mot grec grec libanos, lui-même transcrit de l’hébreu, qui veut dire : encens. En français on a parfois appelé l’encens « oliban », en gardant l’article défini du grec collé au mot, ce qui le distingue du nom du pays. Cela dit il n'est pas hors sujet de penser aux parfums du Liban, par exemple celui des « cèdres du Liban » dont il est question à plusieurs reprises dans l'Ecriture...)
Commentaires
"Comme toute carmélite qui se respecte, sainte Thérèse n'avait aucun intérêt pour la liturgie".
Je serais intéressé de savoir ce qui justifie ce jugement lapidaire et, apparemment, définitif...
Aucun intérêt particulier ou aucun intérêt tout court ? Carmélites = n'importe quoi liturgique ?
Précisez svp...
Il faudrait voir les Constitutions des Carmélites en vigueur à l'époque, mais je doute qu'elles demandent aux moniales de prendre des cours de latin. L'office divin était donc récité comme un pensum auquel on ne comprenait rien, mais qu'on savait plaire à Dieu.
Yves Daoudal vous répondra sûrement, mais vous pouvez déjà voir ses billets sur sainte Thérèse d'Avila.
Je vous renvoie à ceci:
http://yvesdaoudal.hautetfort.com/archive/2016/10/15/sainte-therese-et-la-liturgie-5860689.html
Et j'ajoute que sainte Thérése de Lisieux ne parle JAMAIS de la liturgie. Sur plus de 1.000 pages, elle signale trois fois une fête, et c'est une simple indication de calendrier. L’« index des mots clés », à la fin de ses œuvres complètes, contient plus de 350 mots et expressions. N’y figurent ni « office divin », ni « liturgie », ni même « messe ».
Ce qui n'empêche que c'est une grande sainte, mais cette indifférence totale à la liturgie, de la part de religieuses contemplatives, me sidère.
Le retour à la vérité des heures, prôné par Vatican II (SC 94) est bien tardif, même chez les bénédictins. Témoin cet horaire publié dans une brochure de présentation de l'abbaye de la Pierre-qui-Vire datant de 1950 :
Pages 33 et 34 :
LA JOURNÉE DES MOINES (1)
Entre 1 h. 45 et 2 h. 15 : lever, matines et laudes (2)
Vers 3 h. 45 et 4 h. 00 : coucher
6 h. 05 : Second lever
6 h. 25 : Prime à l'église, puis au chapitre. Commentaire de la Règle par le P. Abbé.
7 h. 05 : Oraison à l'église, messes privées.
8 h. 15 : Petit déjeuner et travail en cellule.
9 h. 00 : Tierce, Messe conventuelle (chantée), Sexte
10 h. 15 : Travail en cellule.
12 h. 30 : Fin du travail.
12 h. 35 : None.
13 h. 00 : Dîner, puis temps libre, en cellule ou dans le parc.
14 h. 30 : Lecture spirituelle en privé, en commun pour les clercs et novices.
15 h. 00 : Vêpres (3), suivies du travail manuel.
16 h. 30 : Travail en cellule ou dans l'emploi, classes (4).
18 h. 45 : Oraison à l'église.
19 h. 15 : Souper, puis temps libre.
20 h. 00 : Chapitre, Complies.
21 h. 00 : Couvre-feu.
Notes explicatives (2017) :
1. En 1950, la France avait toute l'année une heure d'avance sur le temps moyen adopté en 1911, soit celui de Greenwich. C'était ce qu'on appelait l'heure "allemande". Depuis 1976 (puis 1996 pour octobre), d'avril à octobre, il y a deux heures d'avance, ce qui met la France à l'heure moyenne de Saint-Pétersbourg (Russie) ou d'Alexandrie (Egypte)...
2. Avant 1960, lorsque l'office était dit au chœur, on devait dire laudes après matines. On ne pouvait les séparer que dans la récitation "privée", c'est-à-dire solitaire.
3. Avant 1960 (ou 1955 ?), pendant le Carême, on devait dire les Vêpres avant le repas, qui depuis longtemps était anticipé à midi. C'était en quelque sorte l'inversion de la règle antique qui voulait qu'on rompe le jeûne après les vêpres, règle dont saint Thomas d'Aquin justifiait l'adoucissement (S. Th. IIa-IIae, q. 147, a. 7).
4. L'abbaye avait un "alumnat", c'est-à-dire un collège de garçons, dont certains entraient ensuite au Noviciat..
J'ajoute une note à l'activité de 8 h. 15 :
En 1950, le jeûne eucharistique était strict : ni nourriture ni boisson depuis minuit. S'il était prévu un petit déjeuner à 8 h. et 1/4, c'est sans doute que seul le célébrant de la messe conventuelle y communiait...
"Inversion" ? Mais non, c'est le respect de la règle qui veut qu'on dise vêpres avant de rompre le jeûne. Donc on dit vêpres à midi. C'est complètement hypocrite, et ça m'a stupéfié de le voir écrit dans mon bréviaire quand je l'ai découvert, mais je considère aujourd'hui que c'était une façon aussi de rendre hommage à la tradition et sans aucune doute de faire un acte d'humilité en se disant que nous ne sommes plus capables comme les anciens d'attendre l'heure des vêpres. Mais on garde l'ordonnancement, en attendant peut-être des jours meilleurs où les moines retarderont peu à peu cette heure des vêpres du carême...
Il en est de même pour les collectes du carême, qui presque toutes évoquent le jeûne alors qu'il y a très longtemps que le "jeûne" du carême n'est en rien un jeûne. C'était chaque année un rappel de ce qu'est le vrai carême. Pour faire honte à notre paresse. Mais lors de la révolution liturgique on a décrété que comme ça ne correspondait pas à la réalité il fallait supprimer la mention du jeûne. Donc dénaturer le carême...
A propos de la messe dans votre emploi du temps : il est précisé que les messes privées sont célébrées avant le petit-déjeuner.
Je parlais de la messe conventuelle.
Au Barroux, par ex., les novices et clercs (et les convers lorsqu'ils y assistent) communient à la messe conventuelle, car la loi du jeûne a été très adoucie...
A la Pierre-qui-Vire de 1950, c'était sans doute seulement le célébrant.
Oui, inversion, parce que la règle antique était non pas de dire vêpres avant de rompre le jeûne, mais de rompre le jeûne après avoir dit vêpres, nuance... Dans le premier cas c'est le repas qui commande, dans le second, c'est l'heure, à son heure (!), qui commande...
Merci pour ces explications très intéressantes.
21 h. 00 : Couvre-feu.
Entre 1 h. 45 et 2 h. 15 : lever, matines et laudes
Cela nous fait à peine 5 heures de sommeil. Pourtant de nombreuses études montrent que le manque de sommeil va causer d’énormes soucis de santé sur le long terme ; augmentation des risques de diabète et d’obésité, perturbation des hormones qui régulent l’appétit, déséquilibre énergétique, vieillissement prématuré… Graves conséquences, sur les prises de décisions, troubles amnésiques et attentionnels...
Un conditionnement est toujours obtenu par un emploi du temps très rempli, une nourriture pauvre et déséquilibrée, une privation de sommeil, une perte de la notion du temps, du jour et de la nuit, par la pratique de chants lancinants, tambourinés à un rythme proche des battements de coeur... Cet état chronique de fatigue ne permet plus à l'adepte d'être en mesure d'analyser les situations dans lesquelles il se trouve et de les critiquer.
@Chantal
Les Chartreux ont un sommeil encore plus court, se lèvent à minuit, ne mangent jamais de viande (cela devrait réjouir les écolos-végétariens). Ils vivent presque tous centenaires, sont très rarement malades, ne sont pas obèses et du point de vue intellectuel , ils sont optimum.
C'est évident qu'un non religieux courant toute la journée, stressé, harcelé au travail, va avoir les problèmes que vous signalez s'il dort mal. Il ne s'agit pas de dormir beaucoup, il s'agit de dormir BIEN. Et ce n'est pas les problèmes de digestion qui empêchent les religieux de dormir. Vous extrapolez des opinions médicales du monde à des gens qui vivent hors des préoccupations du monde, bien que dans le monde. Vous avez tout faux.
Vers 3 h. 45 et 4 h. 00 : coucher
6 h. 05 : Second lever
Soit 7h de sommeil environ au total. On peut aussi imaginer qu'un petit somme était permis durant les temps de repos en cellule. Et j'ai du mal à me représenter le chant grégorien comme "tembouriné"...
Merci Davski d'avoir corrigé !
Car vous avez raison, il faut rajouter 2 heures. Ce qui correspond à un autre cycle de sommeil. Mais 7 heures qui ne sont pas d'affilés, est-ce vraiment suffisant ? Pour ma part, il me faut mes 9 heures.
A Chantal :
Dom Gérard Calvet, qui a connu cet horaire durant sa jeunesse monastique (de 1949 à 1963 environ), n'a pas cru bon l'adopter lorsqu'il fonda la communauté de Bédoin (1970) transférée ensuite au Barroux (vers 1981). En particulier pour le sommeil de nuit.
En effet, plutôt que de couper ce sommeil en deux périodes, il a préféré suivre les cisterciens qui se levaient à 3 h. et 1/4. Avec une extinction des feux à 20 h. 30, cela fait presque sept heures de sommeil d'affilée. Et entre la vaisselle et None, i. e. entre 13 h. 15 et 13 h. 55 (je parle des horaires en vigueur en 1996...), on peut, au Barroux, se reposer. Ça donne en tout une durée raisonnable de sommeil...
Beaucoup de dirigeants ne dorment que 4 heures, de Napoléon à Macron en passant par Jean-Paul II...
Pour les pères du désert, dormir plus de 4 heures était une sorte d'obscénité...
Une raison de plus qui confirme que je n'avais pas la vocation d'être une moniale ! Car sans mes 9 heures de sommeil, je perds mes facultés. Comme déjà j'en ai peu.....
Un très très grand billet. Qui appelle un chat un chat. Avec toujours une hauteur de vue extraordinaire et une liberté de ton rare dans le milieu tradi. Tout n'était donc pas "parfait" avant.
merci Monsieur Daoudal.
Le désastre liturgique avait en effet de telles racines, insoupçonnables dans le contexte saint Pie V qui était protecteur de l'esprit, mais une fois abandonné, tout a éclaté.