Si l'on pèse bien, en effet, les arguments sur lesquels se fonde le culte du Cœur transpercé de Jésus, il est évident pour tout le monde qu'il ne s'agit pas là d'une dévotion quelconque qu'il est loisible à chacun de sous estimer et de dédaigner, mais d'un hommage religieux apte entre tous à conduire à la perfection chrétienne. Car si la dévotion, selon la traditionnelle définition théologique proposée par S. Thomas, « n'est rien d'autre, semble-t-il, qu'une volonté de se donner avec empressement à ce qui regarde le service de Dieu », peut on concevoir un service de Dieu plus convenable et plus nécessaire, plus noble aussi et plus doux, que celui qui prétend servir son amour ? Y a-t-il aux yeux de Dieu rien de plus agréable et de plus précieux que ce service voué à la divine charité, et ce par un motif d'amour ? Car tout service spontanément offert est un don, et l'amour « est le premier de tous, celui par lequel tous les autres dons gratuits sont octroyés ». Il faut donc faire le plus grand cas de cette dévotion, grâce à laquelle l'homme honore et aime Dieu davantage et se dédie plus facilement et plus aisément à la divine charité ; dévotion que notre Rédempteur a daigné proposer et recommander lui même au peuple chrétien, et que les Souverains Pontifes ont défendu dans des documents mémorables et qu’ils ont couvert de grands éloges. Il serait téméraire et dommageable et ce serait offenser Dieu lui même que de faire peu de cas de cet insigne bienfait donné par Jésus Christ à son Église.
Ceci étant, il est hors de doute que les fidèles qui rendent hommage au Sacré-Cœur du Rédempteur satisfont par là au très grave devoir qu’ils ont de servir Dieu, en même temps que de se consacrer totalement à leur Créateur et Rédempteur, eux mêmes et tout ce qui est leur - sentiments intimes ou activités – et d’obéir ainsi au divin commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton intelligence et de toute ta vigueur ». Ils ont en outre la ferme certitude d'être poussés à honorer Dieu non pas d’abord par intérêt personnel concernant le corps ou l'âme, la vie présente ou la vie éternelle, mais bien à raison de la bonté de Dieu lui même, auquel ils s'efforcent de rendre hommage en en répondant à son amour, en l'adorant et en lui témoignant la reconnaissance qu’ils lui doivent. Entendu autrement le culte du Sacré-Cœur de Jésus ne répondrait pas au caractère authentique de la religion chrétienne, car l'homme n'aurait plus alors principalement en vue par cet hommage l'amour divin ; et il arrive parfois qu'on doive, à juste titre, reprocher un amour et un souci excessifs de soi-même à ceux qui comprennent mal cette très noble dévotion ou ne la mettent pas convenablement en pratique. Que tous se persuadent donc bien que, dans la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, ce n'est pas aux œuvres extérieures de piété que revient la première place ; et l'essentiel n'est pas dans les bienfaits à obtenir : car si le Christ Seigneur a voulu les garantir par des promesses privées, c'est afin de pousser les hommes à remplir avec plus de ferveur les grands devoirs de la religion catholique, à savoir l'amour et l'expiation, et à pourvoir également au mieux, par là même, à leur avantage spirituel.
Pie XII, encyclique Haurietis aquas, 62-63.