Jésus lui dit : Va, appelle ton mari, et viens ici. La femme répondit : Je n’ai pas de mari. Jésus lui dit : Tu as eu raison de dire : Je n’ai pas de mari ; car tu as eu cinq maris, et maintenant celui que tu as n’est pas ton mari ; en cela, tu dis vrai.
Sous l’emblème des cinq premiers maris, les cinq sens du corps sont désignés comme les époux de l’âme. Car à sa naissance, et avant d’avoir l’usage de son esprit et de sa raison, chaque homme n’a pour le régir que ses sens corporels. Ce qui tombe sous le sens de l’ouïe, de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher, voilà chez le petit enfant tout l’objet de ses répugnances ou de ses désirs. Ce qui flatte ses sens, il le recherche, il repousse ce qui les blesse; car ce qui les flatte est plaisir, ce qui les blesse est douleur. C’est donc sous l’influence de ces cinq sens comme d’autant de maris que l’âme vit d’abord, parce que c’est par eux qu’elle est régie.
Pourquoi leur donne-t-on le nom de maris ? Parce qu’ils sont légitimes. C’est Dieu qui les a formés, c’est Dieu qui les a donnés à l’âme. Elle est infirme tant qu’elle demeure sous la loi des sens et qu’elle agit sous l’autorité de ces cinq maris ; mais aussitôt que le temps est venu de délivrer la raison de leur influence, si l’âme se laisse diriger par une règle de conduite supérieure, et par les leçons de la sagesse, alors succèdent à l’empire et à l’influence des sens l’empire et l’influence d’un seul véritable et légitime mari, meilleur que les autres; et ce mari la gouverne mieux, la dirige, la cultive, la prépare dans le sens de l’éternité. Loin de nous imprimer une direction qui aboutisse à l’éternité, les sens ne nous portent que vers les choses du temps, soit pour nous les faire désirer, soit pour nous en inspirer le dégoût. Mais dès que l’entendement pénétré par la sagesse a pris le gouvernement de l’âme, il ne lui apprend plus uniquement à éviter les fossés et à suivre le chemin droit que les yeux indiquent à son âme débile, ou à écouter avec plaisir les sons mélodieux et à fermer les oreilles aux sons discordants, à se complaire aux odeurs agréables et à repousser les odeurs nauséabondes, à aimer le miel et à détester le vinaigre, à toucher avec plaisir ce qui est poli et à éprouver une sensation désagréable au contact des aspérités. Toutes ces connaissances, l’âme infirme en avait besoin. Dans quel sens l’entendement y ajoute-t-il sa direction ? Il vient discerner, non plus le blanc du noir, mais le juste de l’injuste, le bien du mal, l’utile de l’inutile, la chasteté de l’impudicité, l’une pour l’aimer, l’autre pour la fuir; la charité de la haine, la première pour y demeurer, la seconde pour s’en garantir.
Chez cette femme, les cinq premiers maris n’avaient pas encore cette sorte de successeur; car, où l’entendement ne succède pas aux sens, là règne l’erreur, elle domine en maître. En effet, dès qu’elle commence à devenir capable de raisonner, l’âme se laisse conduire par la sagesse ou par l’erreur. Or, l’erreur ne gouverne pas, elle conduit aux abîmes. Après avoir subi l’empire de ses sens, cette femme était donc encore en butte à l’erreur, et l’erreur la ballottait comme aurait fait un vent violent. Cette erreur n’était pas un mari légitime, mais un adultère; c’est pourquoi le Seigneur lui répond : « Tu as dit avec justesse : Je n’ai pas de mari, car tu as eu cinq maris ». Les cinq sens de ton corps ont été tes maîtres; tu es parvenue à l’âge de raison, mais non à la sagesse; tu es tombée dans l’erreur : aussi, « après ces cinq maris, celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ». Mais s’il n’était pas le mari, qu’était-il donc, sinon un adultère? « Appelle-le », non « l’adultère », mais « ton mari », afin de m’entendre selon l’Esprit, et non selon l’erreur qui te donnerait de moi de fausses idées. En effet, c’était de la part de cette femme une erreur de penser à l’eau du puits de Jacob, quand c’était du Saint-Esprit que lui parlait le Seigneur. Pourquoi se trompait-elle, sinon parce qu’elle vivait avec un adultère, au lieu de vivre avec son mari légitime? Débarrasse-toi donc de cet adultère qui te corrompt: « va, et appelle ton mari ». Appelle-le et reviens, et tu me comprendras.