Cette Nativité est de Bicci di Lorenzo. Elle appartenait à un particulier de Cologne jusqu’au début de ce mois, et elle était prêtée au musée Wallraf-Richartz. Elle a été vendue le 6 décembre dernier chez Sotheby pour 368.750 £. On risque donc de ne plus pouvoir la voir.
Bicci di Lorenzo, de Florence, était un « traditionaliste » en peinture. En bref il peignait comme les artistes d’une ou deux générations précédentes, à cette époque de la Renaissance où le style changeait très vite. Ainsi cette Nativité, peinte au début des années 1430, est sans doute la dernière à faire clairement référence à l’icône byzantine de la Nativité qui servait de modèle aux peintres italiens jusqu’au siècle précédent. Il a supprimé le haut (les anges et les mages) et la scène du bain, mais il a gardé l’essentiel.
Il s’agit encore d’une peinture a tempera à l’œuf sur panneau de peuplier. Bicci a ajouté la sommaire cabane devenue courante dans les représentations de la Nativité, mais il a conservé la grotte à fond noir, l’enfant emmailloté de bandelettes funéraires et couché dans un cercueil, saint Joseph pensif et même triste (sans qu’on voie le diable en vieux berger qui lui a instillé le doute), et la Mère de Dieu qui ne regarde pas l’enfant. Dans les icônes – le plus souvent - elle est couchée et regarde le spectateur, avec ce regard qui a l’air de dire : ce que vous voyez ce n’est pas la naissance de mon enfant, c’est l’annonce du drame du vendredi saint quand je le déposerai au sépulcre, car c’est à ce prix que vous serez sauvé, et non par la guimauve et les paillettes. On peut remarquer aussi que les deux bergers ont exactement la posture des deux (à cinq) bergers sur les icônes.
(Bien sûr il ne s'agit que d'un aspect de l'inépuisable mystère de la Nativité, celui qui voit d'emblée la "kénose" jusqu'au bout. Mais c'est un aspect assez important pour que ce soit devenu le thème central de l'icône canonique.)
Rendez-vous dans une semaine si Dieu veut.
Commentaires
Merci pour cette présentation d'un tableau magnifique. On peut s'étonner que le musée de Cologne n'ait pas cherché à le conserver dans ses collections au terme de la durée du prêt.
Lorsqu'on prête attention aux regards de la Vierge Marie et de Saint Joseph, on constate qu'il convergent tous deux, non vers l'extérieur du tableau (sauf erreur), mais vers un point fixé au sol, à peu près à l'endroit où émerge cette curieuse excroissance verte puis plus sombre : une plante frayant son chemin entre les rocs (la vie triomphant de la mort?), ou bien un serpent (bien moins probable) ? Et l'habit du premier berger n'est-il pas celui d'un mineur franciscain?
Ce tableau est une splendeur!
C'est la pinacothèque du Vatican qui aurait dû l'acheter, en le présentant comme le joyau du musée, comme on présente La Joconde au Louvre et la Piéta de Michel Ange dans la Basilique.
Mais ce n'est pas la préoccupation d'une Eglise "pauvre"qui a perdu la notion de la beauté visible aussi bien que spirituelle et qui a oublié le récit du parfum précieux répandu sur les pieds du Christ.