Pendant longtemps je ne me suis pas demandé pourquoi Pie XII avait supprimé la plupart des vigiles. Pour la bonne raison que je suivais mon bréviaire et que celui-ci avait été imprimé juste avant les réformes de Pie XII. Quand j’ai appris que Pie XII avait supprimé les vigiles, je me suis dit que c’était pour supprimer une série de désagréables jours de jeûne. Mais ça ne tient pas. Parce que j’ai découvert aussi que, hormis quelques hurluberlus prenant au sérieux l’Evangile, la liturgie, les pères de l’Eglise et la plupart des saints, il y avait belle lurette qu’on ne jeûnait plus dans l’Eglise latine (je précise bien : latine).
Or nulle part je ne vois la raison pour laquelle Pie XII a supprimé les vigiles, et donc une série de messes particulières, et de lectures de pères.
Puis j’ai pensé à Mgr Léon Gromier, chanoine de Saint-Pierre de Rome, consulteur de la Sacrée Congrégation des rites, qui avait écrit un texte très critique sur le décret de « simplification des rubriques ».
Voici ce qu’il disait :
On aimerait savoir pourquoi S. Laurent conserve sa vigile, tandis que les apôtres perdent la leur. La vigile de S. Laurent a bien sa messe propre, mais la vigile de plusieurs apôtres avait aussi la sienne. S. Laurent avait bien une octave, mais il ne l'a plus.
Hormis ces vigiles, auxquelles s'ajoutent les deux privilégiées de Noël et de la Pentecôte, toutes les autres, générales ou particulières, sont supprimées.
Ces vigiles ne compliquaient pas beaucoup la liturgie. La plupart de leurs messes ne manquaient pas d'intérêt.
Les vigiles communes qui tombent un dimanche ne sont pas anticipées au samedi; elles sont omises.
L'anticipation des vigiles était fondée sur le jeûne, qui est exclu par le dimanche. La vigile disparaîtra avec le souvenir du jeûne.
La vigile disparaîtra avec le souvenir du jeûne. C’est le souvenir même du jeûne qu’il faut supprimer. C’est pourquoi en 1969 on a supprimé la mention du jeûne de toutes les oraisons du carême. Il fallait en supprimer jusqu’au souvenir…
Voici ce que dit dom Pius Parsch de ce jour :
“Le Seigneur a magnifiquement glorifié ses saints et il les exauce quand ils crient vers lui.” La Vigile d’une fête est moins, actuellement, une nuit de veille qu’un jour de pénitence et de purification ; une purification de la demeure de l’âme pour la grande fête. Les vigiles sont des jours tout indiqués pour la confession. Précisément la vigile d’aujourd’hui a un caractère plus strict aux yeux du peuple à cause du jeûne. Si nous voulions attribuer à la vigile d’aujourd’hui une formule liturgique, nous choisirions probablement la première partie du Confiteor : En présence du chœur de tous les saints, je confesse mes péchés : mea culpa, mea maxima culpa !
Commentaires
Sans doute que la suppression des vigiles avaient pour but de faire ressortir celle de Pâques, mère des vigiles. De même on ne dit plus le gloria qu'aux fêtes de 2eme classe, pour le faire ressortir. C'est l'argument souvent avancé. (je pense qu'il ne vaut rien). Quant au jeûne, je ne nie pas que les Orientaux le pratiquent, mais il me semble que chez eux, il consiste seulement à ne rien manger avant midi. Bonne fête à tous les lecteurs chrétiens de ce blog!
De fait, l'obligation du jeûne de la vigile de la Toussaint était laissée à la décision des Ordinaires depuis 1949.
En France, entre 1951 et 1957, ce jeûne redevint obligatoire en remplacement de celui de la vigile de l'Assomption.
Quant au jeûne du Carême, on peut dire qu'il n'a pas survécu à la Seconde Guerre Mondiale (Indult de 1941 prorogé en 1946), ce qui est somme toute assez proche de la suppression "liturgique" dont vous parlez : 25-30 ans.
Je ne sais pas vous, mais eu égard à l'Ecriture (Mt 17,20 et Mc 9,28 en particulier) et à toute la tradition ascétique qui veut que le jeûne soit une arme puissante contre l'Ennemi, je pense que le relèvement de la sainte Eglise dépend aussi du rétablissement d'un jeûne sérieux.
Je connais votre légalisme. Mais j'employais le mot "jeûne" dans son sens courant: ne pas manger et ne pas boire, et non dans le sens qu'il avait pris peu à peu dans la législation catholique latine, qui était honteusement fictif, depuis très longtemps (et c'est pour effacer cette honte qu'on a effacé jusqu'au souvenir du jeûne). Car ce n'est évidemment pas jeûner que prendre le matin une "collation", à midi un repas et le soir une "collation". C'est ce que font beaucoup de gens toute l'année, et ils seraient bien étonné d'apprendre qu'ils "jeûnent". Et quand on vous demande d'être à jeun pour une prise de sang, on ne vous demande pas d'avoir pris une "collation".
Le vrai jeûne implique d'avoir faim et soif, pendant au moins quelques heures. Ce qui est une pénitence très concrète, qui fait en même temps prendre conscience que je dois avoir faim et soif de Dieu (tel est aussi le jeûne eucharistique, lui aussi disparu, puisque ce que l'on ose encore appeler ainsi est le fait de terminer son croissant avant d'entrer dans l'église).
Je crois en effet comme vous (comme le cardinal Sarah, aussi, par exemple - mais moi je serais bien incapable de jeûner complètement pendant trois jours...) que le relèvement de l'Eglise passe par le rétablissement du jeûne.
J'aurais mieux fait de me taire en me disant, en d'autres lieux, "légaliste"... Cela s'appliquait d'abord et surtout la lettre de 'Summorum Pontificum' qui exigeait la 'recognitio' du Saint-Siège pour les lectures en langue du peuple (art. 6). Or, la seule version française qui ait cette 'recognitio' est la 'Bible de la Liturgie'....
Pour revenir au jeûne, certes, il est quasiment mort au XX° siècle, dans l'Eglise latine, et j'abonde tout à fait dans votre sens (un Normand - même du Cotentin - est moins radical dans son expression qu'un Breton - même du Morbihan !). Toutefois, me revient un souvenir de ma jeunesse monastique qui redonne un peu de considération à ce jeûne pourtant très atténué.
Dans le monastère où j’étais, un Père avait reçu de l’évêque du diocèse le ministère d’exorciste. Lorsqu’il exerçait, il arrivait qu’il demande les prières de la communauté au chapitre du soir et plusieurs fois, il nous a assuré que le démon redoutait les privations de nourriture. Or, dans ce monastère pourtant 'tradi', lesdites privations – jeûnes dits réguliers sauf le mercredi des cendres et le vendredi saint – consistaient en une collation matin et soir et un vrai repas à midi, où, c'est vrai, était prévue, en Carême, une privation en accord avec le supérieur (dessert, vin, etc)... Eh bien ,ce petit reste - je n'ai pas le souvenir d'avoir jamais eu faim - effrayait quand même le démon !
Où le Cardinal Sarah parle-t-il du jeûne ?
Dans "Dieu ou rien", il raconte comment il avait pris l'habitude, en Afrique, de jeûner trois jours de suite (sans rien manger ni boire) en faisant une sorte de retraite, seul, au désert (c'est-à-dire dans la brousse). Il explique que cela a été très important pour sa vie spirituelle, et l'on croit comprendre qu'il le fait toujours. Il y fait encore allusion dans "La force du silence".