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Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen

Ceux qui s'intéressent aux cantates de Bach trouveront ci-après l'article que j'ai écrit dans Daoudal Hebdo en 2010 sur les cantates que Jean-Sébastien Bach a composées pour ce dimanche.

Le mélomane qui ne s’intéresse pas à la liturgie ne peut que trouver fort étrange que Jean-Sébastien Bach intitule « Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen » (pleurs, plaintes, tourments, angoisses – et les mots suivants sont Angst und Not : peur et détresse) une cantate destinée au dimanche « Jubilate » (et il désignait explicitement ce dimanche sous le nom de Jubilate, car les luthériens avaient continué de désigner les dimanche selon le premier mot latin de l’introït).

Le choc est rude entre l’affliction totale du titre de la cantate et la jubilation de la liturgie. C’est naturellement l’évangile de ce dimanche qui donne l’explication, avec ce contraste, dans les paroles de Jésus, qui dit à deux reprises : vous pleurerez et vous serez dans la tristesse, mais votre affliction se changera en joie, quand vous me reverrez, et cette joie, personne ne pourra vous l’ôter.

Cette antithèse ne pouvait qu’inspirer un compositeur baroque. Et, de fait, la cantate BWV 12 est restée l’une des plus célèbres de Bach, bien qu’elle fût une des toutes premières (à Weimar). Le chœur est par lui-même célèbre par son ahurissante structure : il s’agit d’une passacaille où la basse joue 12 fois la même descente chromatique, tandis que les voix en mouvement ascendant et descendant s’entrecroisent, symbole de la Croix chez Bach (et il reprit ensuite ce chœur pour en faire le Crucifixus de la Messe en si).
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(Günther Ramin,  Leipzig, 1947)

Cette cantate est typique du piétisme luthérien qui régnait à l’époque en Allemagne. La spiritualité était centrée sur l’individu, sur ma petite personne déchue, pleine de péchés, promise à la mort. Le sommet, si l’on peut dire, de cette orientation, chez Bach, ce sont les quatre cantates qu’il composa pour le 16e dimanche après la Trinité, dont la liturgie correspond à celle du 15e dimanche après la Pentecôte dans notre calendrier : l’évangile est celui de la résurrection du fils de la veuve de Naïm, et les quatre cantates ne parlent que de la mort, de ma mort, de ce qu’implique la mort pour mon corps et pour mon âme… Ce qui est à l’exact opposé du texte de saint Augustin que l’Eglise nous donne à lire en ce jour.

Le dimanche Jubilate permet donc de jouer sur le contraste. Mais Bach ne le fait pas vraiment dans la cantate BWV 12. Il s’agit plutôt d’une montée vers la joie, d’abord presque imperceptible (dans le récitatif), avant de s’épanouir dans l’air de ténor qui demande d’avoir confiance parce qu’après la pluie « fleurit la moisson ». Et cet air est accompagné par la trompette qui joue la mélodie du choral « Jésus demeure ma joie ». On note que c’est seulement la confiance (dans le Christ) qui peut permettre de surmonter les peines de cette vie. Cela aussi est un thème récurrent du piétisme.

Plus tard, à Leipzig, dans sa cantate BWV 103 (« Ihr werdet weinen und heulen » : vous pleurerez et vous vous lamenterez), Bach joue à fond le contraste entre la tristesse et la joie.
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(Günther Ramin, Leipzig, 1951)

Le chœur d’entrée, sur les paroles mêmes du Christ, est d’emblée une page pleine de joie, où les pleurs et les lamentations sont vite englouties dans une joie en quasi éclats de rire. On remarque toutefois une flûte piccolo ambiguë, qui reviendra dans l’air d’alto pour rappeler qu’elle est pour Bach un instrument funèbre. Mais la cantate se termine, dans un air avec trompette, par le triomphe de la joie de voir de nouveau le Christ. En fait c’est cette cantate (au moins aussi belle que la BWV 12) qui exprime l’antithèse de l’évangile.

Bach en composera ensuite une autre, (« Wir müssen durch viel Trübsal » : c’est par beaucoup de tribulations, BWV 146), où l’antithèse est en fait résolue par le désir du ciel et le détachement de la terre, « méprisable Sodome ». Elle se termine par un merveilleux duo ténor-basse, chantant la joie assurée dont je (toujours « je ») jouirai lorsque les tribulations passagères de cette vie auront cessé.

On constate que le thème central de ces cantates, en fait, est la phrase (de Paul et Barnabé, dans les Actes des apôtres) qui est mise en évidence dans chacune d’elles : « Il faut passer par beaucoup de tribulations pour entrer dans le royaume de Dieu. » Ce qui modifie l’enseignement de l’évangile dans le sens du piétisme : la tristesse n’est pas tant de ne plus voir Jésus que d’être soumis aux tribulations du monde…

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