L’hymne des matines au temps pascal date d’au moins le VIIe siècle puisque saint Bède (672-735) le cite comme exemple de poésie liturgique où le rythme se fonde sur les accents et non plus sur les mètres classiques. C’est d’ailleurs ce fait qui a valu à cet hymne d’être proprement massacré par Urbain VIII qui voulut le « corriger » et n’arriva qu’à la défigurer, plus encore que les autres. Il est devenu « Rex sempiterne cælitus », mais il semble que ces hymnes d’Urbain VIII ne se soient guère imposés en France avant l’adoption des livres romains au cours du XIXe siècle, et les livres monastiques ont toujours gardé la version originelle.
Voici Rex sempiterne Domine, chanté par les moniales de l’abbaye d’Ozon (1960).
J’en donne une traduction aussi littérale que possible. Le sommet de l’œuvre est la merveilleuse expression « Et nos Deo conjungeres Per carnis contubernium ». Jésus est venu pour nous unir à Dieu en venant vivre sous notre tente humaine. Contubernium, c’est le fait pour des soldats de vivre sous la même tente… Le mot a fini par signifier cohabitation, et union conjugale (mot qui est déjà dans le verbe précédent : conjungere).
Rex sempiterne, Domine,
Rerum Creator omnium,
Qui eras ante sæcula
Semper cum Patre Filius :
Roi éternel, Seigneur, Créateur de toutes choses, qui étais avant les siècles, Fils toujours avec le Père.
Qui mundi in primordio
Adam plasmasti hominem :
Cui tuæ imagini
Vultum dedisti similem :
Toi qui au commencement du monde as façonné l’homme Adam, à qui tu as donné un visage semblable à ton image.
Quem diabolus deceperat,
Hostis humani generis :
Cujus tu formam corporis
Assumere dignatus es :
Lui que trompa le diable, l’ennemi du genre humain, lui dont tu as daigné assumer la forme de son corps.
Ut hominem redimeres
Quem ante jam plasmaveras :
Et nos Deo conjungeres
Per carnis contubernium.
Afin de racheter l’homme que tu avais façonné auparavant, et nous unir à Dieu par la cohabitation dans la chair.
Quem editum ex Virgine
Pavescit omnis anima :
Per quem et nos resurgere
Devota mente credimus :
Toi qui enfanté de la Vierge nourrit toute âme, par qui nous croyons en esprit de piété que nous aussi nous ressusciterons.
Qui nobis in baptismate
Donasti indulgentiam,
qui tenebamur vinculis
Ligati conscientiæ :
Toi qui nous a donné l’indulgence dans le baptême, à nous qui étions tenus ligotés par les liens de la conscience.
Qui crucem propter hominem
Suscipere dignatus es :
Dedisti tuum Sanguinem,
Nostræ salutis pretium.
Toi qui a daigné porté la croix pour l’homme, tu as donné ton sang comme prix de notre salut.
Quæsumus, Auctor omnium,
In hoc Paschali gaudio,
Ab omni mortis impetu
Tuum defende populum.
Nous te demandons, Auteur de tout, dans cette joie pascale, défends ton peuple de tout assaut de mort.
Gloria tibi, Domine,
Qui surrexisti a mortuis,
Cum Patre et Sancto Spiritu,
In sempiterna sæcula. Amen.
Gloire à toi, Seigneur, qui es ressuscité des morts, avec le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles éternels. Amen.