C’est encore le Carême, car les quarante jours de pénitence ne sont pas expirés, mais la liturgie, tout en demeurant orientée vers la préparation des catéchumènes au Baptême, est dominée par la personne du Christ souffrant.
Il est le seul objet des chants de la messe. Plus encore, presque toujours c’est lui qui est en scène ; c’est lui qui parle, lui qui chante, nous livrant à travers la mélodie les sentiments qui furent les siens durant le terrible drame des derniers jours de sa vie.
Ce n’est pas tout. Le Christ ne fut pas seul dans sa Passion. Sa personnalité divine nous contenait tous. Il nous avait en lui, chacun distinctement présent, et, parce qu’il connaissait à l’avance les actes de notre volonté par lesquels nous nous donnerions à lui un jour pour continuer son sacrifice, il nous associait à toute son œuvre de Rédemption. C’est en cela que nous étions dans la Passion, c’est en cela que nous y sommes encore.
Quand l’Eglise la renouvelle devant nous liturgiquement, les mots et les chants dont elle se sert ont donc deux sens, ou mieux, leur sens est à la fois passé et présent, historique et actuel. Historique en ce qu’ils expriment ce que fut l’âme du Christ souffrant au moment où il souffrit ; actuel en ce que cette expression, par l’Eglise et la liturgie, nous arrive à travers les siècles, non comme un souvenir archaïque, mais comme une chose qui n’a pas cessé d’être, qui demeure vivante, qui s’étend seulement dans le temps avec le cours des âges, pour atteindre les hommes à mesure qu’ils viennent à l’existence, et pour être leur propre expression dans la Passion du Christ qu’ils continuent.
Voilà comment il faut les entendre, voilà comment il faut les chanter, si nous voulons comprendre ce qu’ils expriment et l’exprimer nous-mêmes.
Dom Ludovic Baron
Introït
Par les moines de Solesmes, 1952 ou 1953 (enregistrement restauré par Musicologie médiévale) :
Júdica me, Deus, et discérne causam meam de gente non sancta : ab homine iníquo et dolóso éripe me : quia tu es Deus meus et fortitúdo mea.
Emítte lucem tuam et veritátem tuam : ipsa me de duxérunt et adduxérunt in montem sanctum tuum et in tabernácula tua.
Ô Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle d’une nation qui n’est pas sainte : délivrez-moi de l’homme méchant et trompeur. Car vous êtes ma force, ô Dieu.
Envoyez votre lumière et votre vérité ; elles me conduiront et m’amèneront à votre montagne sainte et à vos tabernacles.