Ex more docti mýstico
Servémus hoc ieiúnium,
Deno diérum círculo
Ducto quater notíssimo.
Instruits par une tradition mystérieuse,
gardons avec soin ce jeûne
célèbre qui parcourt le cercle
de quarante journées.
Lex et prophétæ prímitus
Hoc prætulérunt, póstmodum
Christus sacrávit, ómnium
Rex atque factor témporum.
La Loi, d’avance, et les Prophètes
en ont jadis montré le sens ;
le Christ enfin l’a consacré,
lui, des temps le Maître et le Roi.
Telles sont les deux premières strophes de l’hymne des matines au temps du carême. Le Christ a consacré les 40 jours de jeûne en jeûnant lui-même 40 jours et 40 nuits. C’était l’évangile de dimanche dernier. Ce mercredi des quatre temps, les deux lectures avant l’évangile nous présentent « la Loi », c’est-à-dire Moïse, et « les Prophètes », c’est-à-dire Elie, préfigurant le Christ en jeûnant eux aussi 40 jours sur la montagne.
Et dimanche prochain (dès samedi, en fait) nous retrouverons Moïse et Elie entourant le Christ, sur une autre montagne, celle de la Transfiguration. Raccourci de toute l’histoire sainte, de l’Exode à la Passion et à la Résurrection. « Ils parlaient de sa “sortie” qu’il allait accomplir à Jérusalem », précise saint Luc. En grec exodos… En latin excessus, un mot qui désigne aussi la mort.
Or dans l’évangile de ce jour Jésus répond à ceux qui lui demandent un signe qu’il ne leur sera pas donné d’autre signe que celui de Jonas. Ce n’est qu’un aspect de cet évangile composite, mais l’aspect le plus important, parce qu’il est prophétie de la mort et de la résurrection du Christ au bout de chemin de carême, et cela est souligné par les antiennes des deux cantiques des laudes et des vêpres.
Au Benedictus :
Generátio hæc prava et pervérsa signum quærit : et signum non dábitur ei, nisi signum Jonæ prophétæ.
Cette génération dépravée et perverse demande un signe : et il ne lui sera pas donné de signe, sinon celui de Jonas.
Au Magnificat :
Sicut fuit Jonas in ventre ceti tribus diébus et tribus nóctibus, ita erit Fílius hóminis in corde terræ.
De même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, de même le Fils de l’Homme sera dans le sein de la terre.
On remarque que les adjectifs qualifiant cette génération : « prava et perversa » (dépravée et perverse) ne sont pas ceux de la Vulgate (mala et adultera : mauvaise et adultère). Ni des anciennes versions latines, qui disent en général comme la Vulgate : c’est la traduction normale des deux mots grecs.
L’expression renvoie au psaume 77, qui fustige une « génération dépravée et exaspérante » (Vulgate). Le verbe grec traduit en latin par « exasperans » peut aussi se traduire par « rebelle », ou par « amer ». Ainsi saint Augustin avait-il dans son psautier : « generatio prava et amaricans » : participe présent : qui rend amer parce qu’elle est amère. Un mot rare que saint Augustin aime bien et utilise volontiers, pour évoquer les eaux amères de l’Exode (en lien précisément avec une rébellion du peuple) ou la mer (à la fin des Confessions). Du coup, quand il cite le passage de l'évangile sur le signe de Jonas, dans son commentaire du psaume 65, puis dans son commentaire du psaume 85, ce n'est pas l'expression rapportée par saint Matthieu qu'il emploie, mais celle du psaume 77 : « generatio prava et amaricans »…