La lecture des articles européistes de gauche peut être fort divertissante. Je ne peux pas m’empêcher de traduire celui qui a paru hier sur EUobserver sous la signature de Dejan Anastasijevic, en réponse à une tribune publiée sur le même site quelques jours plus tôt. Dejan Anastasijevic, qui est serbe, s’en prend au nouveau gouvernement croate. Et pour enfoncer le clou, il date son article de Belgrade, alors qu’il vit à Bruxelles. Je me permets d’agrémenter sa charge de quelques brefs et parfois nécessaires commentaires.
Je lis généralement EUobserver avec plaisir. Mais une récente tribune, intitulée Un Premier ministre qui a un esprit d’homme d’affaires pourrait transformer la Croatie, par Natko Vlahovic, un lobbyiste, m’a fait me demander si je n'avais pas mangé quelque chose de mauvais au déjeuner.
Il est d’une servilité envers le gouvernement croate à un degré que je n’avais jamais vu auparavant, même dans la presse des Balkans occidentaux. [Natko Vlahovic est très officiellement lobbyiste du gouvernement croate, et même le premier lobbyiste croate à Bruxelles, donc son texte présente sans surprise le nouveau gouvernement croate sous un jour favorable.]
Il est également faux à tellement de niveaux que j’ai du mal à savoir par où commencer.
Le nouveau Premier ministre croate, Tihomir Oreskovic, est peut-être un brave type et un chef d’entreprise compétent, mais il n’est plus qu’une marionnette, contrôlée par les deux vice-Premiers ministres, Tomislav Karamarko et Bozo Petrov.
Avant cette promotion, Oreskovic n’a passé que deux ans en Croatie (dans sa jeunesse). Il parle à peine la langue. [Il a en effet fait ses études et sa carrière au Canada, dans une entreprise pharmaceutique israélienne… ce qui peut aider à beaucoup de choses…]
Il a admis publiquement avoir rencontré la plupart de ses ministres après leur nomination, faite à partir d’une liste proposée par Karamarko-Petrov.
Alors, qui sont les maîtres d’Oreskovic ?
Commençons par Karamarko. C’est un ancien chef du service de renseignements de la Croatie, en un temps qui fut marqué par une surveillance massive des journalistes et par des violations des droits humains. [Mais Wikipedia n’en a pas le moindre souvenir, et il est curieux que le grand journaliste et redresseur de torts Dejan Anastasijevic ne l’ait pas ajouté… Karamarko a surtout été ministre de l’Intérieur.]
Après être devenu le chef du parti HDZ, le plus grand de Croatie, et l’avoir fait membre du PPE à Bruxelles, il l’a poussé à droite. [Ça ce n’est pas bien, mais à l’origine le HDZ était encore beaucoup plus à droite…]
Karamarko dit lui-même qu'il aspire à gouverner le pays à la manière du fondateur du HDZ, l’ancien président Franjo Tudjman, qui aurait fini à La Haye sous l’accusation de crimes de guerre s’il n’était pas mort avant [crimes de guerre contre les envahisseurs serbes, bien sûr, et on constate comment le grand démocrate Dejan Anastasijevic respecte la présomption d’innocence : il aurait « fini » à La Haye ? Le tribunal de La Haye prononce aussi des acquittements…].
Au cours de la récente campagne électorale du HDZ, Karamarko a également promis de poursuivre pénalement quiconque critique la conduite de la Croatie dans les guerres yougoslaves. « Tout le monde peut penser et dire ce qu'il veut entre ses quatre murs ou dans la cour, mais dans le domaine public, ce ne sera pas toléré », a-t-il dit.
Quant au parti de Petrov, Most [Le Pont], c’est un nouveau venu sur la scène.
C’est une équipe hétéroclite, surtout de politiciens de petites villes [des provinciaux, pour ne pas dire des bouseux], dont certains de gauche, certains de droite, et d'autres qui sont tout simplement des opportunistes.
Petrov est lui-même un ancien clerc catholique romain [catholique romain, dans la bouche d’un Serbe, c’est très mal, clerc, c’est pire. En fait, Petrov a envisagé de devenir franciscain quand il avait 14 ans…]. Il est fortement influencé par le cardinal Bozanic, qui est à peu près aussi loin à droite qu’un prélat catholique peut l’être [comme chacun le sait, tous les évêques catholiques sont non seulement de droite, mais généralement d’extrême droite].
[Bozo Petrov a commencé sa carrière politique en 2013 en devenant maire de Metkovic. Il a aussitôt supprimé la rémunération des conseillers municipaux, a divisé par 10 les dépenses de représentation, et par 8 les frais de voyages, et imposé une stricte transparence des comptes. En moins de deux ans il a fait passer la dette de la ville de 17,6 millions de kunas à 6,4 millions, et il a été désigné comme le meilleur maire de la région. D’où son succès sur le plan national.]
Le premier jour de sa présence au sein du gouvernement de coalition HDZ-Most, les locaux du ministère de la santé ont été aspergés d’eau bénite et un crucifix a été mis dans chaque bureau. Les autres locaux du gouvernement sont censés emboîter le pas. [Ça c’est vraiment horrible…]
Continuons. Le nouveau ministre de la culture, Zlatko Hasanbegovic, était membre du Mouvement de Libération croate (DBC), un groupe néo-nazi établi par Ante Pavelic, un vrai nazi, qui a fui en Argentine après la Seconde Guerre mondiale. Hasanbegovic a ensuite rejoint le parti d'extrême droite HCSP. [Zlatko Hasanbegovic est né en 1973, et il a été président des jeunes du HCSP à 17 ans – après avoir été chez les néo-nazis de Pavelic… Comme son nom l’indique il est Musulman, il est historien des communautés musulmanes de Croatie et de Bosnie, et il s’est fait connaître comme militant contre la dénaturation du mariage au sein du mouvement “Au nom de la famille”.]
Le ministre des Anciens Combattants, Mijo Crnoja, est de la même étoffe. Il veut supprimer le terme "anti-fasciste" de la Constitution de la Croatie, pour la raison que c’est un terme crypto-communiste. [Ben oui…]
Il a également appelé à la création d'un « registre des traîtres » afin d’éliminer quiconque, par la parole ou ses actes, « a œuvré contre les intérêts nationaux de la Croatie depuis 1990 ». Le projet a été retiré mardi (26 Janvier) après un tollé : plus de 7.000 personnes, dont Jadranka Kosor, un ancien premier ministre HDZ, se sont portés volontaires pour être inscrits comme «traîtres»*.
Le ministre de la santé, Dario Nakic, a été récemment limogé de son poste à l'hôpital après la mise au jour de détournements de fonds à grande échelle. [Dario Nakic, néphrologue réputé, était directeur de l’hôpital de Zadar, il a été limogé en 2012 pour des raisons politiques ; on lui a reproché diverses « irrégularités » dont plusieurs dataient d’avant son accession à la direction de l’hôpital, qui visaient à le faire fonctionner malgré l’insuffisance du financement, et n’ont jamais fait l’objet d’un procès ; il avait le soutien unanime du conseil d’administration de l’hôpital.]
Le ministre de la justice, Ante Sprlje, a moins de cinq ans d'expérience comme avocat. Il était, jusqu'en 2013, stagiaire dans un barreau provincial [encore un bouseux]. La liste est longue... [Mais on s’arrête là. Il n’y a rien à dire sur les 8 autres ministres ?]
La seule raison pour laquelle Oreskovic, le nouveau Premier ministre, a obtenu ce poste, c’est que le HDZ et le Most ne pouvaient pas se mettre d’accord, ils ont fait venir un outsider.
Oreskovic n'a aucune légitimité démocratique. Il n'a pas pris part à la campagne électorale. La plupart des gens ne savent pas qui il est.
Si une chose est claire, c’est qu'il aura une autonomie zéro. Mes amis en Croatie sont très inquiets. [Interdit de rire…]
Le gouvernement Karamarko-Petrov en Croatie est, en réalité, à peu près aussi pro-européen que le gouvernement Jaroslaw Kaczynski en Pologne, ou le gouvernement Viktor Orban en Hongrie. [En voilà une bonne nouvelle ! Mais en Pologne il y a un gouvernement Duda-Szydlo, comme le grand journaliste Dejan Anastasijevic le sait s’il a suivi l’actualité à Bruxelles et à Strasbourg.]
Je ne doute pas qu'ils s’entendront comme larrons en foire, parce que la Croatie est sur le point de devenir un nouveau membre du club de la démocratie non libérale de l'UE [allusion à l’expression “démocratie illibérale” de Viktor Orban].
[Le Monde vient tout juste de reprendre cet article, en le mettant à sa sauce, sous le titre : En Croatie, le retour des ultranationalistes.]
* Addendum. Le coup du registre des traitres a eu raison de Mijo Crnoja, qui a démissionné. Mais on lui reproche aussi d'avoir menti sur son lieu de résidence pour échapper aux impôts locaux.