On nous a lu aujourd’hui le passage des Actes des Apôtres où l’on rapporte que l’Apôtre Paul devint, de persécuteur des chrétiens, prédicateur du Christ. Le Christ, en effet, a renversé un persécuteur pour en faire un docteur de l’Église ; le frappant et le guérissant, lui donnant à la fois la mort et la vie. Agneau immolé par des loups, il change les loups en agneaux.
Dans la célèbre prophétie où nous voyons le patriarche Jacob bénir ses enfants (la main étendue sur ceux qui étaient présents et les yeux fixés sur l’avenir), se trouve prédit ce qui s’est accompli dans Paul. Paul était, comme il l’atteste lui-même, de la tribu de Benjamin. Or, lorsqu’en bénissant ses fils, Jacob fut arrivé à bénir Benjamin, il dit de lui : « Benjamin, loup ravisseur. » Quoi ? Sera-t-il toujours loup ravisseur ? Nullement ; mais « celui qui, le matin, ravit la proie, partage le soir les aliments. » Voilà ce qui s’est accompli dans l’Apôtre saint Paul, que cette prédiction concernait.
Considérons-le maintenant, si vous le voulez bien, ravisseur le matin, et partageant le soir les dépouilles. Matin et soir sont mis ici pour d’abord et ensuite. Nous entendrons donc ainsi cette proposition : il ravira d’abord, et ensuite il partagera les aliments.
Voyez le ravisseur : Saul, disent les Actes, ayant reçu les lettres des princes des prêtres, allait (à Damas) afin que partout où il trouverait des chrétiens, il les entraînât et les amenât aux prêtres pour être châtiés. Il allait, respirant et exhalant le meurtre ; c’est-à-dire, ravisseur le matin. Aussi quand Etienne, le premier martyr, fut lapidé pour le nom du Christ, Paul était-il très manifestement présent, et il assistait même au supplice d’Etienne avec des sentiments si hostiles que, pour lui, ce n’était pas assez de le lapider de ses propres mains : afin de se trouver en quelque sorte dans toutes les mains qui lançaient des pierres, il gardait les vêtements de tous les bourreaux, exerçant mieux sa fureur en les secondant tous, que s’il l’eût lapidé de ses propres mains.
Nous comprenons la première partie de la prophétie : « Il ravira le matin. » Voyons de quelle manière il partage les aliments le soir. Du ciel la voix du Christ le terrasse, il reçoit d’en haut l’ordre de ne plus sévir, et il tombe la face contre terre : il devait être abattu d’abord, puis relevé ; d’abord frappé, puis guéri : car le Christ n'aurait jamais vécu en lui, s'il n'était mort à son ancienne vie de péchés. Or, ainsi renversé, que lui est-il dit: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter? Il t'est dur de regimber contre l'aiguillon. — Qui êtes-vous, Seigneur? » reprend-il. Et la voix lui crie du ciel : « Je suis Jésus de Nazareth, que tu persécutes ». C'est la tête dont les membres étaient encore sur la terre, qui criait du haut du ciel. Aussi bien ne disait-elle pas : Pourquoi persécuter mes serviteurs? mais: « Pourquoi me persécuter? » — Ah ! « que voulez-vous que je fasse? » Déjà il se dispose à obéir, cet ardent persécuteur; déjà ce persécuteur devient prédicateur, ce loup se change en brebis, cet ennemi en défenseur. Il vient d'apprendre ce qu'il doit faire. S'il est devenu aveugle, si la lumière extérieure lui est soustraite pour quelque temps, c'est pour faire briller dans son cœur la lumière intérieure; la lumière est ravie au persécuteur, pour être rendue au prédicateur. Mais quand il ne voyait plus rien, il voyait Jésus. C'est ainsi que sa cécité était le symbole mystérieux des croyants. Celui en effet qui croit au Christ doit le contempler, sans tenir même compte de la créature; dans son cœur la créature doit déchoir toujours et le Créateur être goûté de plus en plus.
Saint Augustin, début du sermon 278