Le meurtre du roi de Chypre ayant fait passer l'influence administrative à ses assassins, Philippe de Maizières ne put se résoudre à demeurer dans l'île; il partit peu de jours après la mort de son maître, et se présenta devant le nouveau pape d'Avignon Grégoire XI, vers le mois de février 1371, revêtu du titre honorifique d'ambassadeur du jeune roi Pierre II.
Une nouvelle carrière s'ouvre alors devant lui. Bien différent de la plupart des pèlerins d'outre-mer, qui revenaient en Occident plus orgueilleux et plus incrédules, Philippe rapportait en France une foi sincère et surtout une passion naïve pour les cérémonies extérieures de l'Église. La liturgie chrétienne de Syrie admettait depuis longtemps la célébration d'une fête de la Sainte Vierge que la piété des Français, chose singulière, n'avait pas encore recueillie : c'était la présentation de Marie au temple. Philippe, ne gardant plus l'espoir de ranimer les croisades, voulut au moins doter sa patrie de cette nouvelle solennité. Dès la première audience qui lui fut accordée par le pape, il plaida la cause de la Vierge, il demanda l'admission d'un nouvel acte de dévotion envers elle, et il soumit à l'approbation du saint-père l'office complet de la présentation, écrit de sa propre main avec la musique notée. (…) Grégoire XI reçut la proposition de notre chancelier de Chypre avec une froideur inattendue ; il allégua le danger des innovations, la crainte du scandale. Philippe, surpris et peut-être humilié des objections, réduisit enfin ses prétentions, non plus à la sanction formelle mais à la tolérance de la fête ; et ce dernier point, il ne l'obtint qu'après une nouvelle résistance et de nouvelles importunités. En racontant sincèrement tous ces ennuis, Philippe justifie les scrupules du pape par le peu de confiance que méritait d'inspirer le solliciteur ; mais, dans le récit de tous les événements auxquels il avait pris part, on sait qu'il avait pour constante habitude de dissimuler ce qui pouvait intéresser sa propre gloire; voilà pourquoi nous sommes disposés à penser que, sans l'autorité de son nom, sans le secours de son éloquence, la présentation de la Vierge au temple n'eût jamais été célébrée en Occident.
Déterminé par les plus vives instances, Grégoire voulut bien soumettre l'office à l'examen d'un certain nombre de docteurs et de cardinaux : cette espèce de commission supprima dans le manuscrit de Philippe de Maizières plusieurs passages ; mais enfin elle déclara que rien dans la nouvelle liturgie n'était contraire aux dogmes de l'église, et le pape en toléra l'admission dans les paroisses dont les ministres croiraient ainsi mieux honorer la mère du Sauveur. Grâce à cette permission, les frères mineurs d'Avignon, le 21 novembre 1372, célébrèrent pour la première fois dans leur église les nocturnes, vêpres, matines, et enfin la messe de l'office apporté par Philippe de Maizières. On prononça pendant la messe, et ce fait mérite d'être remarqué, un sermon latin pour les clercs, et pendant les vêpres un sermon en langue vulgaire pour le peuple. (…)
Pour terminer l'histoire de l'introduction en France du nouvel office, nous dirons que longtemps après, en 1385, Philippe de Maizières, qui n'était pas satisfait de la simple tolérance pontificale de Grégoire, quitta son jardin des Célestins et se rendit à Avignon pour y plaider de nouveau la cause de la présentation de la Vierge. Il y fut mieux accueilli cette fois; aussi faut-il avouer que le moment était parfaitement choisi, Clément VII devant au clergé de France et aux conseillers de Charles V la confirmation de son élection longtemps soupçonnée d'être peu canonique. Il suffit de se souvenir des éloges accordés, dans le Salve sancta parens, à l'évêque d'Amiens Rolandi, pour deviner la part que Maizières avait prise à la résolution du roi. Clément VII entra donc parfaitement dans ses pieux sentiments. Il ne se borna plus à tolérer, il créa des indulgences pour ceux qui se montreraient les plus ardents à observer la fête de la présentation ; il ordonna qu'elle fût à jamais célébrée avec toute la pompe réclamée par Philippe.
Celui-ci tenait aussi beaucoup à la représentation d'une sorte de mystère analogue à la circonstance : le pape consentit à tout avec une bonne grâce qui ne se démentit pas. Ce fut encore dans l'église des frères mineurs d'Avignon que le sacré collège entendit une seconde fois le nouvel office. « Durant la messe, ajoute un témoin anonyme dans lequel il n'est pas difficile de reconnaître l'heureux Philippe de Maizières, il y eut une représentation de quinze petites filles, toutes âgées de trois ans ou de quatre, la plus gracieuse et la plus sage figurant Sainte Marie. Elles étaient toutes vêtues différemment; la Vierge, entourée de personnages bibliques comme Joachim, Anne et plusieurs anges, fut conduite à l'autel. Elle en monta rapidement les degrés, fut présentée au grand prêtre par ses parents, puis ramenée dans le chœur, au concert des voix de Joachim, d'Anne et des anges. Marie prit alors place au milieu des cardinaux, sur le siège le plus élevé, et ce fut là qu'elle attendit la fin de la messe. » L'enfant eut, suivant les apparences, besoin d'une patience assez grande ; car, à l'offertoire, maître Jean de Basle, docteur très-solennel et natif de Germanie, merveille de science et général des augustins, monta en chaire par l'ordre exprès du saint-père, et, bien qu'il n'eût pas eu trois jours entiers pour se préparer, il fut tellement secouru par la grâce de Notre-Dame, qu'au jugement unanime de la docte et vénérable assemblée, jamais, de leur temps, en cour romaine, on n'avait entendu mieux parler en l'honneur de la Sainte-Vierge.
Nouvelles recherches sur le véritable auteur du “Songe du vergier”, par Paulin Paris, Mémoires de l’Institut royal de France, Académie des inscriptions et belles lettres, tome quinzième, 1842.
Une page de l’office de la Présentation au Temple, de la main de Philippe de Maizières, BNF manuscrits latins 14454.
Commentaires
Heureux temps où les papes refusaient même les bonnes choses à cause du danger des innovations, et par crainte du scandale.
On dirait plutôt aujourd'hui qu'on adopte même les mauvaises par goût de la nouveauté et plaisir de confondre les affreux traditionalistes.
Vous avez raison, Philippe. Moi aussi, si j'eusse été à la place du pape, j'aurais beaucoup hésité avant d'adopter une fête orientale, sans aucun fondement historique, légendaire, provenant d'un évangile apocryphe. Mais il a été plus libéral que moi. Il l'a acceptée ad experimentum. Finalement cette belle fête s'est imposée d'elle-même. C'est providentiel.
Mais de la fête célébrée en Avignon puis un peu partout, il ne reste rien, que le nom et la collecte. Tout l'office (en dehors des lectures du deuxième nocturne) et toute la messe sont du commun de la Sainte Vierge. Saint Pie V l'avait supprimée, et Sixte V la rétablit... a minima.
Tout ce qui a pour but d'honorer la sainte Vierge est bon à prendre. Et peut être que l'on s'apercevra dans l'au-delà que nous ne sommes pas allés assez loin dans les hommages dus à la sainte Vierge. Mais comme elle est notre mère très humble, cela ne l'offusque pas et elle vient encore sur terre réveiller ses enfants assoupis. Et comme par hasard, les apparitions reconnues par l'Eglise dans les temps modernes l'ont été en majorité à des enfants innocents, des petits bergers. Rarement à des théologiens ou des docteurs.