Au cours de ces années, lors du passage culturel et social entre le XVIe et le XVIIe siècle, commencèrent à se dessiner les prémisses de la future culture contemporaine, caractérisée par une scission indue entre foi et raison, qui a produit parmi ses effets négatifs la marginalisation de Dieu, avec l'illusion d'une possible et totale autonomie de l'homme qui choisit de vivre "comme si Dieu n'existait pas". C'est la crise de la pensée moderne, que j'ai eu plusieurs fois l'occasion de souligner et qui débouche souvent sur des formes de relativisme. Jean Léonardi eut l'intuition du véritable remède pour ces maux spirituels et il la synthétisa dans l'expression: "le Christ avant tout", le Christ au centre du cœur, au centre de l'histoire et de l'univers. Et l'humanité a un besoin extrême du Christ - affirmait-il avec force - , car Il est notre "mesure". Il n'y a pas de milieu qui ne puisse être touché par sa force; il n'y a pas de maux qui ne trouvent en Lui un remède, il n'y a pas de problème qui ne se résolvent en Lui. "Ou le Christ ou rien"! Voilà sa recette pour chaque type de réforme spirituelle et sociale.
Il existe un autre aspect de la spiritualité de saint Jean Léonardi qu'il me plaît de souligner. En diverses circonstances, il réaffirma que la rencontre vivante avec le Christ se réalise dans son Eglise, sainte mais fragile, enracinée dans l'histoire et dans son devenir parfois obscur, où le blé et l'ivraie croissent ensemble (cf. Mt 13, 30), mais toutefois toujours Sacrement de salut. Ayant clairement conscience du fait que l'Eglise est le champ de Dieu (cf. Mt 13, 24), il ne se scandalisa pas de ses faiblesses humaines. Pour faire obstacle à l'ivraie, il choisit d'être le bon grain: c'est-à-dire qu'il décida d'aimer le Christ dans l'Eglise et de contribuer à la rendre toujours davantage un signe transparent de sa personne. Avec un grand réalisme, il vit l'Eglise, sa fragilité humaine, mais également sa manière d'être "champ de Dieu", instrument de Dieu pour le salut de l'humanité. Pas seulement. Par amour du Christ, il travailla avec zèle pour purifier l'Eglise, pour la rendre plus belle et sainte. Il comprit que toute réforme doit être faite dans l'Eglise et jamais contre l'Eglise. En cela, saint Jean Léonardi a vraiment été extraordinaire et son exemple reste toujours actuel. Chaque réforme concerne assurément les structures, mais elle doit tout d'abord toucher le cœur des croyants. Seuls les saints, les hommes et les femmes qui se laissent guider par l'Esprit divin, prêts à accomplir des choix radicaux et courageux à la lumière de l'Evangile, renouvellent l'Eglise et contribuent, de manière déterminante, à construire un monde meilleur.
Chers frères et sœurs, l'existence de saint Jean Léonardi fut toujours illuminée par la splendeur de la "Sainte Face" de Jésus, conservée et vénérée dans la cathédrale de Lucques, devenue le symbole éloquent et la synthèse indiscutable de la foi qui l'animait. Conquis par le Christ comme l'apôtre Paul, il indiqua à ses disciples, et il continue de nous indiquer à tous, l'idéal christocentrique pour lequel "il faut se dépouiller de chaque intérêt personnel et ne voir que le service de Dieu", en ayant "devant les yeux de l'esprit uniquement l'honneur, le service et la gloire du Christ Jésus crucifié".
La "Sainte Face" de la cathédrale Saint-Martin de Lucques, c'est-à-dire le "Crucifix de la Sainte Face", appelé ainsi parce que selon la légende il fut sculpté par Nicodème d'après le visage du Christ apparu sur le voile de Véronique (et il arriva sur un vaisseau fantôme).
Commentaires
Bonjour,
Merci beaucoup pour ce très bon texte du Pape Benoît XVI.
Le seul point sur lequel je me permets d'être en légère divergence est celui-ci : à mon sens, c'est dès le passage culturel et social entre le XVe et le XVIe siècle que " commencèrent à se dessiner les prémisses de la future culture contemporaine, caractérisée par une scission indue entre foi et raison, qui a produit parmi ses effets négatifs la marginalisation de Dieu, avec l'illusion d'une possible et totale autonomie de l'homme qui choisit de vivre "comme si Dieu n'existait pas" ".
Je pense ici à l'influence de Luther, en religion, et à celle de Machiavel, en politique, et je ne pense pas avoir besoin d'argumenter outre mesure sur ce que ces deux personnes ont initié, et qui a débouché sur l'individualisme, le relativisme, le sécularisme, le subjectivisme, la raison d'Etat, l'utilitarisme, et la volonté de puissance en politique ou en religion.
Face à biens des catégories, comportements, motivations, situations, mortifères ou suicidaires, du culte du moi au tout à l'ego, le narcissisme revendicatif et incriminateur étant la maladie morale des cultures et sociétés démocratiques postmodernistes (dans l'acception tocquevilienne du terme), le remède est effectivement situé avant tout en Jésus-Christ, et non avant tout dans telle conversion axiologique de l'Eglise ou dans telle conversion écologique du monde.
Bonne journée.
A Z