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Saint Jérôme

Lettre à Eustochia (traduction Benoît Matougues, 1838)

A juger des choses par les apparences, la lettre, les bracelets et les pigeons que vous m'avez envoyés, sont des présents de peu de valeur; mais l'affection avec laquelle vous me les avez faits, leur donne tout leur prix et me les rend importants. Cependant, comme Dieu défendait, dans l'ancienne loi, d'offrir du miel dans les sacrifices qu'on lui offrait, aussi avez-vous su l'art de mélanger, pour ainsi dire, vos présents, et de mêler l'amertume à vos douceurs. Les choses les plus agréables et les plus douces, selon Dieu, paraissent fades et insipides, à moins qu'on n'ait soin de les relever par les traits de quelque vérité un peu piquante. L'amertume est l'assaisonnement de la Pâque de Jésus-Christ; mais comme nous célébrons aujourd'hui la fête de saint Pierre, il est juste de passer cette journée un peu plus agréablement que les autres, de manière néanmoins à ne pas trop nous écarter de nos pratiques ordinaires, et à mêler toujours à nos réjouissances quelque trait de l'Écriture sainte.

Nous lisons dans les livres saints que le Seigneur mit des bracelets aux bras de Jérusalem, que Jérémie donna une lettre à Baruch, et que le Saint-Esprit descendit sous la forme d'une colombe. Pour rendre cette lettre plus piquante et vous rappeler celle que je vous ai écrite autrefois, prenez garde, je vous prie, d'abandonner la pratique des bonnes œuvres, qui sont vos véritables ornements et qui doivent vous tenir lieu de bracelets; craignez de déchirer « la lettre qui est écrite dans votre cœur, » de même qu'un roi impie arracha celle que Jérémie  avait donnée à Baruch ; craignez enfin que le prophète Osée ne vous dise comme à Ephraïm « Vous êtes devenue semblable à une colombe sans intelligence. »

Votre style, me direz-vous, est un peu trop mordant , et je ne m'attendais pas à recevoir une semblable lettre un jour de fête. Vous vous l'êtes attirée, cette lettre, par l'amertume que vous avez mêlée aux présents que vous m'avez envoyés; je veux aujourd'hui vous rendre la pareille, et mêler un peu d'aigreur à mes compliments. Mais afin de vous ôter l'idée que j'ai dessein de diminuer le prix de vos présents, je vous remercie aussi du panier de cerises que vous m'avez envoyé; elles m'ont paru si fraîches et si vermeilles, que j'ai cru que Lucullus ne faisait que de les apporter; (car ce fut lui qui, après avoir conquis le Pont et l'Arménie, apporta le premier de Cerasonte à Rome cette sorte de fruit, qui a pris son nom du pays où il croit). Puisque l'Écriture sainte nous parle « d’un panier plein de figues » et qu'elle ne dit rien des cerises, j'appliquerai à celles-ci ce qu'elle dit de celles-là. Je désire donc que vous soyez comme ces figues que Jérémie vit devant le temple de Dieu, et dont le Seigneur disait

« Celles qui sont bonnes sont très bonnes. » En effet, le Sauveur ne veut rien de médiocre, il prend ses délices dans une âme toute de feu; il ne rebute pas même celle qui est toute de glace, mais il nous assure dans l'Apocalypse, qu'il rejette les âmes tièdes et languissantes. Nous devons donc avoir soin de passer la fête que nous célébrons aujourd'hui, non pas dans les festins, mais dans une joie toute spirituelle ; car ce serait une chose indigne de vouloir honorer par la bonne chère un martyr qui s'est rendu agréable à Dieu par ses jeûnes. Mangez en sorte que vous puissiez vous appliquer à l'oraison et à la lecture immédiatement après le repas; et si quelqu'un n'approuve pas votre conduite en cela, dites-lui avec l'apôtre saint Paul : « Si je voulais encore plaire aux hommes, je ne serais pas servante de Jésus-Christ. »

Commentaires

  • C'est "Eustochium", le prénom féminin. Pas "Eustochia".
    Voyez dans la correspondance générale de S. Jérôme (meilleure édition bilingue aux Belles Lettres, 8 tomes).

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