Extrait du Dialogue de saint Justin avec le Juif Tryphon (vers 150-155), chapitre 113 :
Voyez quelle est votre conduite. Celui qui fut envoyé avec Caleb pour reconnaître la terre de Chanaan, et qui portait auparavant le nom d'Ausès, ainsi que je l'ai déjà dit, reçut de Moïse le nom de Jésus*. Vous ne demandez pas pour quelle raison vous passez sur ce point sans élever aucune discussion; vous ne faites aucune question sérieuse ; sous ce nom, vous ne voyez pas le Christ; vous lisez sans comprendre, et maintenant que vous entendez dire que Jésus est notre Christ, vous ne raisonnez pas en vous-mêmes, vous ne tirez pas cette conséquence que ce n'est pas en vain et sans raison que ce nom a été donné au compagnon de Caleb dont nous parlons. (…)
Seul de tous les chefs hébreux sortis d'Egypte, il conduisait dans la terre sainte les restes d'Israël. De même que ce fut lui, et non pas Moïse, qui mit le peuple de Dieu en possession de la terre promise, et la distribua d'après le sort entre tous ceux qui purent y entrer avec lui, de même Jésus convertira les restes dispersés de ce même peuple et leur distribuera la véritable terre sainte; mais avec quelle différence! Le fils de Navé ne put donner qu'un héritage passager; il n'était pas le Christ Dieu, le fils de Dieu ; mais le Christ, après la grande résurrection, nous donnera un héritage qui ne passera point.
Si le fils de Navé arrêta le soleil, ce ne fut qu'après avoir pris le nom de Jésus en échange du sien, et reçu sa puissance de l'Esprit même de Jésus. Déjà nous avons prouvé que c'est ce même Jésus qui apparut à Moïse, à Abraham et aux autres patriarches, et conversa avec eux lorsqu'il exécutait les ordres de son père ; qui, depuis, est venu sur la terre, s'est fait homme, est né d'une vierge et subsiste toujours. Après lui et par lui le Dieu créateur doit renouveler le ciel et la terre ; c'est le Christ qui, dans la nouvelle Jérusalem, sera l'éternelle lumière ; il est le véritable roi de Salem selon l'ordre de Melchisédech, et le prêtre éternel du Très-Haut.
Mais revenons à Jésus ; il est rapporté qu'il ordonna une seconde circoncision et qu'elle fut faite avec des couteaux de pierre : n'était-ce pas une prophétie de cette circoncision par laquelle le Christ nous retranche ou plutôt nous sépare des dieux de pierre et d'autres simulacres semblables ? Il est dit aussi qu’il réunit en un même lieu les Hébreux qui furent circoncis; n'était-ce pas encore une image de ce que fit le Christ, qui rassembla de toutes les parties du monde, en un même corps, ceux que le véritable couteau de pierre, c'est-à-dire ta parole, avait retranchés du monde idolâtre ? Car vous savez que la pierre est présentée comme la figure du Christ : similitude souvent employée par les prophètes; et sa parole est avec raison comparée à un couteau de pierre : par elle, en effet, tant d'hommes incirconcis et plongés dans l'erreur ont reçu la circoncision du cœur et non de la chair ! et c'est à cette circoncision que Dieu, par Jésus, exhortait ceux qui avaient reçu celle d'Abraham, lorsqu'il nous dit que ceux qui entrèrent dans la terre sainte reçurent de Jésus une seconde circoncision qui fut faite avec des couteaux de pierre.
* Dans la Septante (Justin écrit en grec), Josué est appelé Jésus, car il s’agit du même nom (même si Jésus – Yeshua – est la forme abrégée de Josué : Yehoshua). Il est fascinant de lire l’Exode et le livre de Josué en lisant chaque fois Jésus à la place de Josué, comme le fait le grec. Notamment aussi quand ce Jésus est le seul qui accompagne Moïse au sommet de la montagne, et qu’il demeure seul dans la Tente du témoignage, seule présence en dehors de celle de Dieu, en un lieu où personne ne peut demeurer…