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« Aleteia » s’écrit n’importe comment et écrit n’importe quoi

Lorsque le site Aleteia a été lancé, en 2012, le nom m’a fait bondir mais je n’ai rien dit parce que l’entreprise paraissait aller plutôt dans le bon sens.

Il n’empêche qu’appeler un site « Vérité » en grec, et faire volontairement une faute au milieu du mot est une tache sur l’entreprise elle-même. Vérité, en grec, s’écrit ἀλήθεια, alètheia (et se dit alithia), avec un θ, thêta (comme le th anglais), et non avec un τ (tau). Le pire est que le mot aleteia, avec un tau, existe : ἀλητεία, et qu’il veut dire : vie errante. Bref, ce « réseau catholique mondial de partage et d'échange sur la foi pour ceux qui cherchent la vérité » s’appelle en réalité « Vie errante »…

Lequel réseau vient de publier la traduction d’un article absurde, sur la soi-disant découverte d’un « document du VIe siècle, écrit en grec, le plus ancien exemple d'utilisation de la liturgie eucharistique comme charme protecteur, et qui constitue un témoignage des pratiques des premiers chrétiens ».

Il suffit de lire cette phrase pour comprendre que c’est n’importe quoi. Au VIe siècle on ne peut pas parler de « premiers chrétiens ». Rappelons quand même qu’au VIe siècle il y a déjà eu une soixantaine de papes et que le siècle se termine avec le glorieux pontificat de saint Grégoire le Grand, qui n’est pas vraiment un des « premiers chrétiens » puisque son œuvre intègre les acquis des nombreux pères de l’Eglise qui l’ont précédé…

Pour en rester à l’Egypte, puisqu’il s’agit d’un papyrus, on dira seulement qu’il date de deux siècles après saint Athanase qui était le 20e patriarche d’Alexandrie, et trois siècles après Origène, qui était le directeur du didascalée, l’université catholique d’Alexandrie…

Bref on n’est pas du tout chez les premiers chrétiens, mais dans la chrétienté égyptienne installée depuis des siècles. Ce qui rend tout simplement grotesque l’idée qu’il puisse s’agit d’un grigri innovateur qui aurait remplacé des formules magiques païennes par des formules chrétiennes, ce qui est pourtant affirmé dans l’article sans la moindre nuance :

« Cela montre,  affirme l'historienne,  comment les premiers chrétiens adoptèrent la tradition  païenne - d’abord égyptienne puis gréco-romaine ensuite -  de porter des prières aux dieux au sein d'une amulette, celle-ci étant perçue comme une sorte de charme, un objet porte-bonheur protégeant celui qui la porte contre les dangers. »

Un autre « spécialiste » commente : « Un tel document indique que la connaissance de la Bible a été transmise beaucoup plus par oral à travers des passages choisis, par la liturgie, les prières et amulettes, que par un livre complet. » Il ne se rend même pas compte qu’au VIe siècle il y a partout dans la chrétienté des manuscrits de la Septante, des vieilles versions latines, et de la Vulgate qui a été établie au moins un siècle et demi auparavant (mais oui) par saint Jérôme.

Au finale de ce festival de bêtises, il reste un texte superbe, manifestement liturgique, conçu comme le sont nombre de répons, c’est-à-dire utilisant divers passages de l’Ecriture plus ou moins modifiés pour créer un nouveau texte (corrigé selon les indications du commentaire ci-dessous) :

« Craignez vous tous qui régnez sur la terre. Nations et peuples, sachez que le Christ est notre Dieu. Car il parla et ils commencèrent à être, il commanda et ils furent créés ; il mit chaque chose sous nos pieds et nous délivra de la volonté de nos ennemis. Notre Dieu prépara pour le peuple une table sainte dans le désert et donna à manger la manne de la nouvelle alliance : le corps immortel du Seigneur et le sang que le Christ versa pour nous en rémission de nos péchés. »

On reconnaît notamment l’expression que l’on trouve à la fois dans le psaume 32 et dans le psaume 148 : « il dit et ils devinrent, il commanda et ils furent créés » ; l’expression du psaume 8 disant que Dieu a « tout mis sous ses pieds » (les pieds de l’homme) ; l’expression du psaume 77 sur Dieu qui « prépare une table dans le désert » et donne « la manne à manger » ; une manifeste allusion, dès le début, au psaume 2 (verset 10) ; l’expression de Matthieu 26, 27-28 sur « le sang de la nouvelle alliance qui sera versé pour beaucoup en rémission des péchés ». On remarque aussi que « sachez que le Christ est notre Dieu » est un verset du psaume 99 où le mot Seigneur (en hébreu YHWH) a été remplacé par Christ. Les autres expressions font référence de façon plus générale à divers psaumes, et le tout montre que l’auteur de ce texte avait une connaissance intime du psautier – comme l’avait tout moine de son temps, et qu’il savait y butiner pour concevoir un texte liturgique, ce qui est nettement plus rare… Bref cela ne m’étonnerait pas qu’on découvre qu’il s’agit d’un texte d’un père de l’Eglise, noté sur un bout de papyrus par un fidèle qui l’avait trouvé remarquable.

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Commentaires

  • Monsieur,
    À vos remarques pertinentes permettez-moi de venir ajouter un complément. La traduction française fournie par le site
    « Aleteia » s'éloigne sur plusieurs points du texte anglais de Mme Roberta Mazza, lequel reflète l'original grec. Ainsi, au tout début, il convient d'écrire « Craignez vous tous qui régnez sur la terre » ; plus bas, « Notre Dieu prépara pour le peuple - τω λαω - dans le désert une table sacrée - τραπεζαν αγια(ν) - et donna à manger la manne de la nouvelle alliance ».
    Cordialement,
    François Trouillet

  • Merci pour ces précisions. J'ai trouvé le texte anglais, et je veux bien vous faire confiance qu'il reflète le texte grec, mais avez-vous le texte grec? Ça m'intéresserait pour voir le degré de correspondance avec les psaumes de la Septante. Merci.

    (Oui, le texte est sur le papyrus. Mais je suis incapable de déchiffrer ce grec-là.)

  • Vous avez déjà modifié votre texte initial en fonction des remarques de François Trouillet ?

    [Note liminaire en forme d’indulgence : notez quand même que le mot « aletheia » est déjà fortement utilisé comme nom de sites…]

    Bon, “ce grec-là”, on va essayer, sans grand espoir ; un début d’esquisse – j’avoue que parfois, je “force” un peu, en fonction de la traduction anglaise, fidèle, elle… – :

    01 … … …
    02 … … …
    03 … εθνοι ϗ λαοι οτι χ̄ς̄ … … …
    04 αυτος γαρ ειπεν ϗ … … …
    05 … … …
    06 … … …
    07 … … …
    08 + τραπεζαν αγια … ο θεος ημων
    09 εν ερημω τω λαω … … …
    10 … … …
    11 … … …
    12 και το αιμα του χυ ἐχυννομενον …
    13 ημων … αμαρτιων +

    [Le papyrus dit bien « το αιμα του χυ », comme « τὸ αἷμά μου » de Mt 26, 28…]

    Bon, je fatigue, puis i’ fô b’en ménager le suspens, et puis, le texte grec doit déjà être sur le terNet, non ?…

    Sinon… qu’avez-vous-t-il à dire pour votre défense, amis de la Gnose, si « le Christ est notre Dieu », « Notre Dieu » qui « prépara pour le peuple etc. » est « le Christ » qui « est notre Dieu », dont « le sang (que le Christ versa) » coule ; mais qui est ce « Seigneur » – apparemment distinct… – dont « le corps » est « immortel » ? Christ = Dieu ≠ Seigneur.

  • Pénible, l’informatique ! lire :

    12 και το αιμα του χυ ἐ≺κ≻χυννομενον …

  • Après un pillage en règle de la Septante, et beaucoup par rétroversion de la traduction anglaise – très bonne –, un complément :

    01 … … …
    02 [………………………………] … … … (επι την γη)ν
    03 γνωτε εθνο(?) ϗ λαοι οτι χ̄ς̄ εστι … ημ[ων]
    04 αυτος γαρ ειπεν ϗ εγ[ε]νηθησαν αυτος
    05 ενετειλατο ϗ εκτι[σθ]ησαν υπεταξεν παν
    06 τας υπο τους ποδας ημων ϗ ερησατο ημας
    07 απο βουλης των εχθρων ημων +
    08 + τραπεζαν αγια ετοιμασαι ο θεος ημων
    09 εν ερημω τω λαω και μαννα εδωκε
    10 … … …
    11 … … …
    12 και το αιμα του χυ εχεννομενον υπερ
    13 ημων εις αφυσιν αμαρτιων +

    |L’« εθνοι » barbaresque de la ligne 3, je ne sais plus ; le « ι » final ressemble beaucoup à un « / »… Est-ce un « ς » ? « γνωτε εθνο(ς) ϗ λαοι οτι… », singulier + pluriel ?]

    En moins “ce grec-là”, en plus lisible, correction des coquilles du copiste faite (et, bien entendu, en y ajoutant les miennes à moi…) :

    01 … … …
    02 [………………………………] … … … (ἐπὶ τὴν γῆ)ν
    03 γνῶτε ἔθν(η) καὶ λαοὶ ὅτι Χριστὸς ἐστὶ≺ν≻ (ὁ θεὸς) ἡμῶν.
    04 Αὐτὸς γὰρ εἶπεν, καὶ ἐγενήθησαν, αὐτὸς
    05 ἐνετείλατο, καὶ ἐκτίσθησαν. (Ps 148, 5) Ὑπέταξεν πάν-
    06 τας ὑπὸ τοὺς πόδας ἡμῶν (Ps 46, 4) καὶ ἐρρύσατο ἡμᾶς
    07 ἀπὸ βουλῆς τῶν ἐχθρῶν ἡμῶν. +
    08 + Τράπεζαν ἁγία≺ν≻ ἑτοιμάσαι ὁ θεὸς ἡμῶν
    09 ἐν ἐρήμῳ τῷ λαῷ (Ps 77, 19, 20) καὶ μαννα ἔδωκε≺ν≻ (Ps 77, 24)
    10 … … …
    11 … … …
    12 καὶ τὸ αἷμα τοῦ Χριστοῦ ἐ≺κ≻χυννόμενον ὑπὲρ
    13 ἡμῶν εἰς ἄφεσιν ἁμαρτιῶν. +

    Les lignes 1 et  2, et surtout le magma des lignes 10 et 11 (et 10½ ! le copiste a surchargé après oubli ?), je verrai ça quand je serai vieux. Parce que… :

    [Annonce : Vends ou échange paire d’yeux peu servis mais très usés contre jeune femme blonde gironde qui me fera la lecture.]

    Je corrige l’équation Christ = Dieu ≠ Seigneur en Christ = notre dieu (¹) ≠ Seigneur.


    1. Le nôtre, pas celui des Zarabes, des Zaztèques, des Zesquimaux – les Zesquimaux géants, alias les Gromyko – ; un dieu parmi tant d’autres, mais c’est bien précisé deux fois, c’est « ὁ θεὸς ἡμῶν », “notre dieu”. Ces précisions me vaudront sûrement une dispersion façon puzzle de ces “commentaires”.

  • Ah ! je vois que mes “commentaires” font double emploi.

  • Pardonnez-moi, je ne comprends pas du tout ce que vous voulez dire. L'expression "Notre Dieu" se trouve 16 fois dans les psaumes, souvent ailleurs, et très souvent dans la liturgie. Seigneur est le mot qui traduit YHWH et le Christ est Dieu, étant Dieu il est Seigneur: Notre Dieu et Notre Seigneur... Donc il y a = partout.

  • Voici ce que je crois pouvoir lire :

    01 φο]βηθητε παν[τες

    02 ……………………………………………………………γης (?)

    03 γνωτε εθνοι (!) και λαοι οτι χς εστιν ο θς ημ[ων]

    04 αυτος γαρ ειπεν και εγενηθησαν αυτος

    05 ενετειλατο και εκτισθησαν …………………

    06 γαρ υπο τους ποδας ημων και ……………ημας

    07 απο βουλης των εχθρων ημων +

    08 + τραπεζαν αγια ετοιμασατο θεος ημων

    09 εν ερημω τω λαω και μαννα εδωκεν

    10 φαγειν ……………………………………… και χριστου

    11 δεσποτου αθανατον σωμα

    12 και το αιμα του χυ εχε(υ !)ννομενον υπερ

    13 ημων εις αφυ(ε !)σιν αμαρτιων +

    Mme Mazza, qui a eu le papyrus sous les yeux, doit être en mesure de remplir les blancs qui restent ! On devrait lui faire confiance a priori pour la traduction anglaise qu'elle a donnée. Elle a annoncé la publication du document dans la revue allemande "Zeitschrift für Epigraphik und Papyrologie" : sans doute faudra-t-il attendre jusque là pour avoir un texte grec plus complet.

    F. T.

  • Merci.

  • Tout à fait d'accord pour la lecture ερησατο (06) = ἐρρύσατο : déjà à cette époque-là, en effet, les lettres η et υ se lisaient l'une et l'autre /i/.

    À adopter également la transcription ὑπέταξεν (05) : en réalité le texte porte υπεδαξεν : confusion fréquente entre les sons /d/ et /t/ dans le grec d'Égypte.

    En 05-06, παντας paraît exact, ce qui implique de remplacer "everything" par "everybody" dans la traduction anglaise.

    En revanche, il faut lire ετοιμασας (08) et non ετοιμασαι ou, pire, ετοιμασατο, que j'avais suggéré précédemment par erreur.

    F. T.

  • Je suis très honoré que ce décryptage ait lieu sur mon blog.

    Il est curieux qu'il y ait υπεδαξεν si ensuite il y a παντας, puisque ce mot se prononçait partout πανδας, comme notamment les participes se terminant ainsi. Mais il n'est pas étonnant qu'il n'y ait pas de logique, ou plutôt de système, dans cette orthographe.

  • On ne compte pas les « fautes d'orthographe » relevées sur les papyrus grecs d'Égypte, principalement les documents à caractère privé. Elles sont dues surtout à l'évolution de la prononciation, que l'écriture n'a pas suivie. Une autre cause en est le bilinguisme grec/égyptien : ainsi, les nombreuses interférences entre δ et τ - mais aussi entre γ et κ - s'expliquent par l'absence de consonnes occlusives sonores (/b/, /d/, /g/) dans la langue égyptienne ancienne. À titre d'exemple, sur un papyrus conservé à l'université de Yale et daté de 204 après J.-C. on lit la forme δαξομεθα (= ταξόμεθα).
    F. T.

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