L’évêque saint Mamert de Vienne avait eu la très curieuse idée d’organiser des processions pénitentielles les trois jours avant l’Ascension, à la suite de « calamités publiques », et d’accompagner ces processions d’un jeûne, ce qui était totalement incongru, puisque, comme l’avaient déjà souligné nombre de conciles (conformément à Matthieu 9, 14-15), on ne jeûne pas pendant le temps pascal. Néanmoins la chose se répandit dans toute la Gaule et même au-delà. Rome résista longtemps puis finit par admettre les dites processions (qui furent dites Litanies mineures pour les différencier des Litanies majeures du 25 avril), sans toutefois admettre le jeûne.
Comme la procession se termine normalement par la messe, celle-là a déteint sur celle-ci, et l’on a cru bon de donner également à la messe une allure pénitentielle : ainsi est-elle célébrée en violet (alors que l'office est toujours pleinement pascal).
La réforme de 1960 a même voulu accentuer la chose, en remplaçant l’alléluia traditionnel, célébrant l’éternelle miséricorde de Dieu, par le double alléluia de la « messe pour toute nécessité », dont le premier est très explicitement pénitentiel.
C’est un total contresens.
Notre liturgie est grégorienne même quand elle n’est pas chantée, en référence à saint Grégoire le Grand. Or saint Grégoire le Grand annonce ainsi une procession du 25 avril : « Nous irons à Saint-Pierre, suppliant le Seigneur par des hymnes et des cantiques spirituels afin que dans la célébration des Saints Mystères nous puissions rendre grâce à sa bonté, autant qu'il est en notre pouvoir, pour ses bienfaits passés et futurs. »
Or c’est la même messe qui fut reprise pour les Rogations. Donc une messe d’action de grâce, et non une messe pénitentielle, selon saint Grégoire. Or il suffit de jeter un coup d’œil sur les antiennes de cette messe pour constater qu’il en est bien ainsi. « Tous les textes de la messe », souligne dom Baron, « sont des paroles de reconnaissance ».
Et les mélodies – grégoriennes - sont bel et bien des mélodies pascales, et non de pénitence. Citons simplement ces quelques mots de dom Baron (L'expression du chant grégorien, tome 2) sur l’introït :
« Dès le premier mot, la voix, en se posant ferme sur la double note de exaudívit, met dans la sonorité claire de cette syllabe la joie de l'âme enfin satisfaite. Cette joie ne fait ensuite que se laisser aller très simplement à travers le balancement de témplo sáncto, la remontée de vócem, la tristropha et l'élan si délicat de l'Allelúia, vers les cadences en mi de súo, méam, Allelúia, si évocatrices de la tendresse émue dont sont baignés, au fond de l'âme, ces simples mots. Il y a plus de mouvement dans la deuxième phrase, voire une discrète exultation. » Etc.
Et il faut lire ce que dit dom Baron de l’alléluia pour comprendre à quel point la réforme de 1960 fut une erreur aggravant le contresens sur la messe des Rogations :
« L'action de grâces continue. Elle prend cette fois la forme d'un appel à la louange. (…) (La mélodie) est très apparentée au Confitémini du Samedi Saint ; à ce point que, en plusieurs endroits, ce sont les mêmes notes sur les mêmes mots, mais il y a aussi entre les deux de notables différences. Le Samedi Saint, l'Allelúia est discret, gradué, tout à fait adapté à l'éveil progressif de la joie pascale. Ici il n'y a pas à ménager de transition, la joie est là depuis le début de la messe ; recueillie, discrète dans l'Introït, elle prend tout de suite avec l'Allelúia une ardeur plus vive et même un certain éclat. »
Dans mon bréviaire bénédictin le premier jour des Rogations est (était) une férie majeure de deuxième classe, donc avec préséance sur la plupart des fêtes. Je constate que dans le missel de 1962 les fêtes de troisième classe priment les Rogations. Ainsi cette année saint Philippe Neri. Donc, là où il n'y a qu'une messe, c'est celle de la fête du saint. Et les Rogations passent à la trappe... Evidemment, dans la néo-“liturgie”, il n'y a plus rien du tout qui y ressemble. Pourtant c'est une nécessité de supplier Dieu de nous donner ce dont nous avons besoin, c'est une nécessité de lui rendre grâce, et la légitimité des Rogations en ce jour vient de ce qu'elles illustrent et mettent en pratique l'évangile d'hier.
Commentaires
Ce n'est une curieuse idée qu'en apparence
http://www.introibo.fr/Lundi-des-Rogations
http://www.introibo.fr/25-04-Litanies-Majeures
Et à ma connaissance il n'y a pas de jeûne prescrit, mais abstinence.
L'évêque est libre de choisir une autre date que les 3 jours avant l'Ascension.
Les stations prestigieuses Ste Marie Majeure, St Jean de Latran et St Pierre montrent l'importance de ces litanies mineures dans l'Eglise, antérieures aux litanies majeures à Rome.