Le pauvre s’appelle Lazare. Le riche n’a pas de nom. Parce que le riche, c’est moi. Comme le souligne la liturgie, par l’antienne du Benedictus, le matin :
Fili, recordáre quia recepísti bona in vita tua, et Lázarus simíliter mala.
Fils, souviens-toi que pendant ta vie, tu as reçu les biens, de même que Lazare les maux.
Et par l’antienne du Magnificat, le soir :
Dives ille guttam aquæ pétiit, qui micas panis Lázaro negávit.
Ce riche demanda une goutte d’eau à Lazare, lui qui lui avait refusé quelques miettes de pains.
Cette assimilation au riche est accentuée par le « Fili ». Dans la parabole, c’est Abraham qui dit « mon fils » au riche. Dans la liturgie, c’est Dieu qui m’appelle son « fils », et qui m’avertit de ne pas continuer à vivre comme le riche de la parabole. Dans l’antienne du Magnificat il y a aussi une accentuation. Plus forte encore : le texte glose le texte évangélique pour dire que je refuse des miettes de pain à Lazare. Mais le riche n’a rien refusé, il a seulement ignoré le pauvre. C’est que, l’ignorer, c’est le mépriser, c’est le rejeter. Et c’est le riche qui, au final, sera rejeté. Dans l’enfer.
Et le pauvre s’appelle Lazare. Parce que le riche demande que celui-ci ressuscite pour aller avertir ses frères qu’ils doivent changer de vie. Et parce que les pharisiens se moquent de Jésus et ne cessent de lui demander des signes. Or Abraham ne va pas ressusciter Lazare, mais Jésus va bel et bien le faire : il va ressusciter Lazare, le frère de Marthe et Marie (qui, par symbolisme croisé, est riche, celui-là, un bon riche). Et par la résurrection de Lazare, il va prouver que le riche de la parabole a tort, et les pharisiens avec lui. Abraham dit au riche : « S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne croiront pas quand bien même quelqu'un ressusciterait des morts. » Or Lazare est effectivement ressuscité des morts. Et les pharisiens (et les grands prêtres), non seulement n’ont pas cru, mais ont condamné à mort celui qui venait de ressusciter un mort…