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Vendredi de la sexagésime

La lecture des matines est celle du récit de la tour de Babel. Voici une brève homélie du P. Alexandre Siniakov, recteur du séminaire orthodoxe russe en France, prononcée en l’église Saint-Gervais de Paris le 18 janvier 2013 (semaine de l’unité des chrétiens).

Chers frères et sœurs, la tradition chrétienne orientale considère la tour de Babel comme un film négatif de l’Église : j’utilise ce terme dans le sens des photographes. C’est une image inversée de la Pentecôte. Cette interprétation du récit de la Genèse que nous venons d’entendre est chantée dans le kondakion du dimanche de la Pentecôte : « Quand il a confondu les langues humaines, le Seigneur a dispersé les nations. Mais quand il distribue les langues de feu, il invite tous les hommes à l’unité, pour qu’unanimement nous rendions gloire au très saint Esprit ».

Saint Maxime le Confesseur pense que la tragédie de la tour de Babel ne vient pas d’abord de l’orgueil et de l’individualisme humain. Ils sont les conséquences malheureuses d’un autre mal : une mauvaise conception de Dieu. Maxime est convaincu que la tour de Babel symbolise la multiplicité des représentations erronées de la divinité : « Les constructeurs de la tour se déplacèrent depuis l’Orient, du pays de la lumière, je veux dire de la connaissance unique et véritable de Dieu, et se rendirent au pays de Sennaar, nom que l’on traduit par ‘dents du blasphème’. Ils tombèrent dans des opinions multiples sur la divinité, et, disposant l’exposé de chaque opinion comme des briques, ils édifièrent, telle une tour, l’impiété aux dieux multiples. Il est normal alors que Dieu réduise à rien la confession née de la mauvaise harmonie des hommes égarés aux opinions innombrables » (Questions à Thalassios, 28).

Nous voudrions bien pouvoir affirmer que la tour de Babel est une image du passé, qu’elle a été définitivement révolue au moment de la Pentecôte. Mais, hélas, les chrétiens n’ont pas résisté à la tentation. Nous nous sommes divisés en défendant des opinions particulières ; nous nous sommes déchirés pour des expressions divergentes du mystère de la Trinité et de celui de l’incarnation du Fils de Dieu ; nous nous sommes battus pour des visions singulières de l’Église. Certes, l’Église du Christ est une et elle le sera toujours, parce que le Christ est un. Mais on ne peut pas en dire autant de l'ensemble des chrétiens, de tous ceux qui croient que Jésus est le Seigneur et le Sauveur du monde.

L’image de la tour de Babel a néanmoins une grande utilité : elle nous montre l’unité qui plaît à Dieu. Pour saint Maxime le Confesseur, le cœur de ce récit, c’est le pluriel de l’invitation divine : « Descendons et divisons leur langues ». Comme le célèbre « Faisons l’homme à notre image » (Gn 1, 26), il renvoie au mystère de la trinité des hypostases (ou personnes) de l’unique Dieu. La cause de la division des hommes est la multiplicité de leurs opinions sur Dieu, le polythéisme ; le remède contre cette division est le mystère de l’unité sans confusion des trois Personnes de l’unique Dieu. L’individualisme des hommes est dépassé dans la contemplation de la façon dont les trois Personnes divines partagent la même nature dans l’amour infini et la volonté unique. Le remède contre notre division, c’est notre assimilation à la Trinité. La voie de l’unité est celle de notre divinisation, de la ressemblance toujours croissante de l’image que nous sommes à notre Archétype. De même que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont trois hypostases distinctes, mais une seule nature, une seule essence, un seul Dieu, de même l’humanité est une seule nature, une seule essence, dans la multiplicité des personnes. Le mystère de la Trinité montre ce qu’est la véritable unité qui ne supprime pas les personnes ni leurs propriétés. Cette unité est celle de l’Église, corps vivant du Christ, où il n’y a ni de confusion de Babel ni de division qui a frappé les peuples de la terre. L’unique volonté et l’unique nature de la Trinité désignent l’aspect de l’unité de ceux qui croient dans le même Seigneur, unité qui ne supprime pas les spécificités des personnes, mais qui est fondée sur le renoncement libre à la volonté égoïste, sur le détachement de sa limitation individuelle qui permet de retrouver la nature commune.

C’est l’invitation que fait, à la lecture du récit de la tour de Babel, saint Maxime le Confesseur (qui fut personnellement un des liens les plus forts entre l’Orient et l’Occident chrétiens) : « Le fait de ne pas polémiquer est aimé de l’Esprit et cher à ceux qui aiment l’Esprit, recevons, en accord les uns avec les autres, la sainte Écriture qui introduit dans le mystère de la très sainte Trinité dans l’unité » (Questions à Thalassios, 28), mystère qui est capable de nous remettre sur la voie de l’unité dans la multiplicité.

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