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L’exhortation apostolique "Evangelii gaudium"

On aurait pu penser qu’une exhortation apostolique de François serait plus brève que celles de ses prédécesseurs. Raté. L’inflation paraît être de rigueur. Verbum Domini de Benoît XVI était plus longue que Sacramentum caritatis, et Evangelii gaudium est nettement plus longue que Verbum Domini. Sans doute un record historique.

Or les exhortations apostoliques ne sont pas agréables à lire. Elles sentent le produit des bureaux romains, lourde matière dans laquelle le pape ajoute son propos et les propositions du synode qu’il a retenues. Il peut éventuellement faire ainsi lever la pâte et donner du bon pain, malgré les limites de l’exercice : ce fut le cas de Verbum Domini.

Ce n’est pas le cas d’Evangelii gaudium.

La bonne nouvelle est que ceux qui n’ont pas suivi jusqu’ici les homélies de François vont y trouver tous ses jingles, toutes ses formules toutes faites. C’est un véritable catalogue. Surtout dans le premier tiers du texte. Par la suite c’est plus épisodique (les bureaux n’ont pas encore tout intégré).

La mauvaise nouvelle est que ce si long texte est terriblement rébarbatif. En tout cas pour moi. Je n’y trouve aucun souffle spirituel, aucune élévation intellectuelle, aucune profondeur religieuse. Il y a là de nombreux développements psychologiques, d’une psychologie jésuite, sans doute, qui ne m’intéresse en aucune manière. Cela peut aller jusqu’à des développements abscons : « Il faut passer du nominalisme formel à l’objectivité harmonieuse. » Et l’on n’échappe pas à ce pénible côté donneur de leçons perpétuel, cette critique permanente tous azimuts de tous ceux qui ne correspondent pas au schéma du chrétien bergoglien. A la longue c’est vraiment pénible.

François avait annoncé son intention (ou on lui prêtait l’intention, je ne sais plus) d’écrire une encyclique sur les pauvres. Il y a déjà ici un long développement sur les pauvres et sur la pauvreté (avec bien sûr le jingle de « l’Eglise pauvre pour les pauvres », sans autre explication). Ce qui frappe est qu’il s’agit d’un discours uniquement social et moralisant, sans la moindre allusion au concept théologique de pauvreté dans la Bible et dans la spiritualité chrétienne. Il en sera presque de même dans le développement sur la paix. (Presque, parce qu’il y a quand même une allusion au fait que le Christ est notre paix.)

Ce qui est plus inquiétant, pour l’Eglise, est son annonce d’une « conversion de la papauté », qui reste floue, mais qui doit se réaliser par une « décentralisation » au profit des conférences épiscopales. Mais, dit-il, « n’a pas encore été suffisamment explicité un statut des conférences épiscopales qui les conçoive comme sujet d’attributions concrètes, y compris une certaine autorité doctrinale authentique ». Avec référence à Apostolos tuos, de Jean-Paul II, comme si Jean-Paul II avait déjà suggéré cela, alors que bien entendu c’est exactement le contraire. Jean-Paul II soulignait que les évêques « ne peuvent pas (…) limiter leur pouvoir sacré au bénéfice de la conférence épiscopale » et citait le code de droit canonique : « Ni la conférence ni son président ne peuvent agir au nom de tous les Évêques, à moins que tous et chacun des Évêques n'aient donné leur consentement. » Ce qui a été la position sans cesse réitérée par le cardinal Ratzinger préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi et par le pape Benoît XVI. Conformément au concile Vatican II. Donner une autorité doctrinale authentique à une conférence épiscopale, c’est-à-dire aux bureaux de cette conférence et à son noyau dirigeant, c’est carrément suicidaire pour la doctrine catholique. Mais pour enclencher le mouvement, on remarque tout au long de l’exhortation apostolique des citations de textes de conférences épiscopales du monde entier…

Ah si, il y a quelque chose de bien dans cette exhortation, c’est qu’enfin François explique (très brièvement, mais enfin on comprend) le « pélagianisme » des traditionalistes : c’est le « néo-pélagianisme autoréférentiel et prométhéen [sic] de ceux qui, en définitive, font confiance uniquement à leurs propres forces et se sentent supérieurs aux autres parce qu’ils observent des normes déterminées ou parce qu’ils sont inébranlablement fidèles à un certain style catholique justement propre au passé ».

Il paraît nécessaire que ceux qui sont fidèles à un « style » propre au passé se croient supérieurs aux autres. Car sinon on chercherait en vain les textes des communautés catholiques traditionnelles qui permettent un tel jugement. Une telle calomnie.

Peu après il fustige ceux qui ont « un soin ostentatoire de la liturgie », et juste après on a l’intertitre : « Non à la guerre entre nous »…

On note aussi, sans surprise, que l’évangélisation suppose le rejet de la culture dans laquelle la foi fut transmise en Occident. Comme si l’on pouvait séparer dans la doctrine catholique ce qui relève du « kérygme » de son substrat sapientiel. Comme si déjà saint Paul, et avant lui les auteurs des livres sapientiaux, étaient dépourvus de tous liens avec la sagesse grecque : Platon, les stoïciens. C’est croire, au fond, que les sauvages sont incapables de comprendre les pères de l’Eglise… Et du kérygme amoindri et aplati il ne reste donc qu’une phrase : « Jésus Christ t’aime, il a donné sa vie pour te sauver, et maintenant il est vivant à tes côtés chaque jour pour t’éclairer, pour te fortifier, pour te libérer. »

Ici, François est en contradiction frontale avec son prédécesseur, mais aussi avec la vérité et l’histoire de l’évangélisation. Qu’on pense simplement au goût qu’avaient les Africains pour le plain chant grégorien (avant qu’on le leur enlève, comme à tout le monde)…

D’autre part François se pose en adepte et propagandiste du cosmopolitisme, contre toute idée de défense de l’identité culturelle (du moins en Occident…) :

« J’exhorte les pays à une généreuse ouverture, qui, au lieu de craindre la destruction de l’identité locale, soit capable de créer de nouvelles synthèses culturelles. Comme elles sont belles les villes qui dépassent la méfiance malsaine et intègrent ceux qui sont différents, et qui font de cette intégration un nouveau facteur de développement ! Comme elles sont belles les villes qui, même dans leur architecture, sont remplies d’espaces qui regroupent, mettent en relation et favorisent la reconnaissance de l’autre ! »

Il serait si beau qu’il y ait une mosquée à quatre minarets sur le parvis de Notre-Dame de Paris, une pagode sur l’esplanade du Louvre, un souk sur la place de la Concorde et un bidonville sur les Champs-Elysées.

Parce que, sinon, « les citoyens (…) se transforment en un musée folklorique d’ermites renfermés, condamnés à répéter toujours les mêmes choses, incapables de se laisser interpeller par ce qui est différent, d’apprécier la beauté que Dieu répand hors de leurs frontières ».

C’est donc un « musée folklorique d’ermites renfermés », par exemple, que les Polonais qui, de leurs mains, sans moyens, ont magnifiquement reconstruit les vieilles villes de Gdansk et de Varsovie. Pour se racheter, il faudra qu’ils construisent une mosquée devant le château royal.

Pourquoi encore une mosquée ? A cause du couplet de François sur l’islam, et les immigrés musulmans que nous devons accueillir « avec affection et respect ». Il se termine ainsi : « Face aux épisodes de fondamentalisme violent qui nous inquiètent, l’affection envers les vrais croyants de l’Islam doit nous porter à éviter d’odieuses généralisations, parce que le véritable Islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence. » Fermez le ban. Et surtout fermez le Coran, vous risqueriez de prendre le pape en flagrant délit de (suicidaire) bobard…

 

Commentaires

  • Je me demande de plus en plus, si, hélas, François n'est pas fou....

  • Vu l'état de déliquescence et de dégénérescence du catholicisme à l'heure actuelle, il est clair que ces orientations ne vont rien arranger et accentuer au contraire la trahison presque universelle de la foi depuis Vatican II: recrutement des évêques dans la "ligne" Action catholique qui, c'est le moins qu'on puisse dire, mérite non des lauriers mais des réserves expresses; tout cela dans un jargon en effet "rébarbatif", qui n'a de chrétien que le nom, et qui montre à quel point les tristes pseudo-clercs, dans leur sotte logomachie tellement reconnaissable, ont avili le message et le visage du Christ, jusqu'à le rendre méconnaissable: oui, ils L'ont défiguré et aussi découronné, transformant son Eglise en ONG (et c'est pourtant François Zéro qui a utilisé cette expression, par conséquent il n'est nullement excusable). Assurément, tout cela peut durer encore un certain temps, mais non pas indéfiniment, avant que la coupe de la colère de Dieu se déverse sur les hommes.

  • Hier, j'ai été atterré par ce long texte indigeste, mal à l'aise à la lecture de plusieurs passages... Une fois de plus, cher Monsieur Daoudal vous mettez les bons mots sur les vrais problèmes.
    Merci !
    Je diffuse votre analyse.

  • Oui, merci à vous, M.Daoudal, pour attirer notre attention sur l'apostasie "qui se dit chrétienne"; apparemment, l'évêque-de-Rome est à peu près du niveau d'un Mgr Gaillot...qui serait devenu pape!

  • Vous mettez le doigt là où ça fait mal, M.Daoudal, lorsque vous évoquez la paix; la paix pour les hommes, pour tous les papes antérieurs, est la paix dans les relations Dieu-hommes, seule capable de conforter la paix entre les hommes. Le concept de paix est ici totalement sécularisé.

  • Vous mettez le doigt là où ça fait mal, M.Daoudal, lorsque vous évoquez la paix; la paix pour les hommes, pour tous les papes antérieurs, est la paix dans les relations Dieu-hommes, seule capable de conforter la paix entre les hommes. Le concept de paix est ici totalement sécularisé.

  • Texte impressionnant par sa lucidité dans l'analyse, merci.

  • Le "soin ostentatoire (!!!) de la liturgie", i-e le culte nécessaire rendu à Dieu sans lequel non seulement l'Eglise mais aussi la société s'écroule, une telle formulation est une insulte et véritable sacrilège qui attire la malédiction! Même Vatican II n'avait pas osé, lui qui parle de "fons et culmen Ecclesiae".
    "Musée folklorique d'ermites renfermés"!!!: la contemplation et l'adoration ont trouvé leur contempteur! La prière et ceux qui s'y vouent sans retour, vouée aux gémonies! vive l'activisme! C'est pire que ce que que j'aurais pu jamais imaginer: il faut se conformer au monde, qui lui-même rejette par tous ses pores le Christ! ou la confluence de l'Eglise (ce qu'il en reste) avec l'Antéchrist! Même la terminologie utilisée"musée", "folklore", est basse et méprisante, ce qui montre que le pape est le contempteur des formes les plus anciennes de la vie chrétienne: il les considère comme obsolètes!

  • Gdansk n'est que le nom polonais de la vieille ville allemande de Dantzig, vidée de ses habitants par l'Armée Rouge

  • Le problème, c'est que les critiques acerbes sont réservées aux fidèles. C'est l'esprit jésuite des "Exercices", c'est l'esprit jésuite anti-pharisiens. C'est un peu comme un père qui flagellerait ses enfants dans un esprit de propriété de sa progéniture. Il réserve la liberté religieuse aux incroyants, aux infidèles. C'est pourquoi il est toujours pénible à lire. Nous aussi avons droit à notre liberté et à la consolation ! Assez de coups de crosses ou plutôt de férule ! Liberté pour le peuple catholique !

  • Sur RCF ce matin quelqu'un se pâmait sur "enfin une véritable théologie de la libération!".
    Le jargon est moderniste à 100 %, mondialiste à 100 %.
    Ce qu'ils nous reprochent, c'est d'avoir des certitudes et les défendre. Quel mal à avoir pour certitudes ce que Jésus Lui-même nous a enseigné? Mais non, il faut douter, se rouler avec délices dans le doute, se pâmer devant les doutes des autres (surtout ne pas leur imposer nos "certitudes", à la rigueur, nos doutes s'ils n'ont pas déjà les mêmes), trouver encore plus de doutes, et puisque le doute porte pierre (sans jeu de mots), il faut tout contester, tout trouver à redire dans ce que faisait l'Eglise. C'est la contre-évangélisation, c'est le sabotage du travail des Apôtres. Luther doit se bidonner, s'il en a la possibilité...

  • La meilleure façon de garder le "moral" c'est de ne pas trop lire ce document et de continuer comme avant, enfin essaye au mieux de le faire, au jour le jour, avec nos messes et nos prières et la "liturgie d'antan" qui ne plait pas, mais toujours en sachant que nous ne pouvons rien sans la grâce de Dieu.
    (Les néo-pélagiens ne seraient-ce pas au contraire les modernistes qui pensent que le modernisme c'est cela la grâce? - Ah, non je n'ai rien compris!).

    Le pape a "ses idées fixes" sur certains sujet, c'est un homme, ce n'est pas un surhomme, et il faut faire avec. Par contre dans le texte l'on lit néanmoins un non bien tranché à l'ordination des femmes, c'est déjà cela!
    Chacun va prendre son petit bout de texte qui lui plait et s'en draper comme une cape de ses convictions: Bof, la cape se déchirera au vent et avec le temps, mais si les papes se succèdent avec plus ou moins de bonheur, l'Eglise du Christ restera.
    Gardons le moral!

  • Je me permettrai de contredire l'un ou l'autre commentateur, car j'ai beaucoup de mal à comprendre comment un conclave essentiellement "ratzingerien" aurait pu élire à la majorité des deux tiers un Mgr Gaillot venu d'Argentine. Je suggère de lire cet article en anglais (http://wdtprs.com/blog/2013/11/francis-has-succeeded-in-doing-what-no-pope-has-ever-done-divide-the-catholic-left/), en se demandant s'il n'y a pas là derrière une stratégie à long terme.

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