Il faut remarquer d'abord que ce psaume (89) a pour titre, et dans le texte hébreu et dans la version des Septante Prière de Moïse, l'homme de Dieu, qualité convenant parfaitement à ce saint homme qui pouvait dire: « J'ai vu Dieu face à face, et mon âme a été sauvée », qui nous a appris la création de l'homme et de toutes les choses invisibles, l'histoire de tout ce qui s'est fait dans les siècles passés, et qui enfin nous a donné non seulement les cinq premiers livres de l'Ecriture sainte, savoir : la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome, mais encore onze psaumes, depuis le quatre-vingt-neuvième qui commence par ces paroles: « Seigneur, vous avez été notre refuge » jusqu'au quatre-vingt-dix-neuvième qui a pour titre Psaume pour la louange. Il est vrai que le psaume quatre-vingt-dix-huitième est intitulé dans plusieurs exemplaires Psaume pour David, mais ce titre ne se trouve point dans l'hébreu, et c'est la coutume de l'Ecriture sainte d'attribuer les psaumes qui n'ont point de titre aux auteurs dont le nom est à la tête des psaumes qui précèdent.
Or, il y a quatre psaumes intitulés Oratio, prière; savoir: le seizième, qui a pour titre Oraison de David, et qui commence par ces mois. « Ecoutez favorablement, Seigneur, la justice de ma cause » ; le quatre-vingt-neuvième que j'entreprends d'expliquer ici, et qui commence parce verset: « Seigneur, vous avez été notre refuge » ; le quatre-vingt-cinquième, qui commence par ces paroles: « Abaissez, Seigneur, votre oreille », et le cent-unième qui a pour titre Oraison du pauvre lorsqu'il sera dans l'affliction et qu'il répandra sa prière en la présence du Seigneur. Ce « pauvre » est David, mais en cela il est la figure de Jésus-Christ qui de riche qu'il était s'est fait « pauvre » pour l'amour de nous, et que pour nous donner des marques de sa pauvreté et de sa douceur, et en même temps pour accomplir la prophétie de Zacharie, a bien voulu monter sur le poulain d'une ânesse. (…)
Les grammairiens appellent oraison tout discours que on prononce en public : on ne trouve guère ce mot en ce sens dans l’Ecriture sainte; elle ne donne le nom d'oraison qu'aux prières que l'on fait à Dieu. C'est une opinion établie parmi les Hébreux que le Psautier est divisé en cinq livres : le premier comprend les psaumes depuis le premier jusqu'au quarantième; le second, depuis le quarante et unième jusqu'au soixante et onzième; le troisième, depuis le soixante-douzième jusqu'au quatre-vingt-huitième; le quatrième, depuis le quatre-vingt-neuvième, que j'entreprends d'expliquer ici, jusqu'au cent-cinquième; et que ces quatre livres finissent tous dans l'hébreu par ces deux mots: amen, amen, que les Septante ont traduits par ceux-ci: ainsi soit-il, ainsi soit-il. Le cinquième livre commence au psaume cent-sixième et finit au dernier. Il en est de même des douze prophètes, dont les Hébreux ne font qu'un seul volume.
*
Ceci est le début, ou plutôt le prologue, de l’explication du psaume 89 par saint Jérôme qui va, selon son habituelle virtuosité, mener de front une explication du texte hébreu et de la Septante, non sans aperçus sur d’autres traductions grecques, pour tirer un profit spirituel des différences de traduction. On voit ici très clairement que saint Jérôme utilise une seule numérotation des psaumes : celle que l’on retrouve dans la Vulgate. Cette numérotation était la seule à son époque, tant chez les juifs que chez les chrétiens. Dans un autre texte il dit : « Le vingt-et-unième psaume selon l’hébreu commence par ces paroles que notre Seigneur dit sur la croix : Eli, Eli, lama azabthani. » On prétend aujourd’hui que ce serait le vingt-deuxième selon l’hébreu…
La numérotation du texte hébreu massorétique (publié par les rabbins aux IXe-Xe siècles), qui a été adoptée par les protestants, puis par les catholiques (sauf dans la liturgie, ce qui ajoute à la confusion), et que l’on ose utiliser dans les éditions du Psautier « juxta hebræos » de saint Jérôme, ce qui est un comble, est donc totalement illégitime : le texte hébreu du temps de saint Jérôme avait la même numérotation que les psautiers grecs et latins. Elle est d’autant plus illégitime qu’elle est fondée sur une erreur grossière : la séparation en deux du psaume 9 qui est un psaume alphabétique, dont l’unité est donc verrouillée du premier au dernier verset par l’alphabet hébreu.
(En ce qui concerne l’affirmation – pour le moins très aventureuse - selon laquelle les psaumes 89 à 99 seraient de Moïse, saint Jérôme se fonde uniquement sur le « principe » selon lequel tout psaume qui n’a pas de nom d’auteur doit être attribué à l’auteur du psaume précédent, et au fait que dans l’exemplaire hébreu qu’il avait il fallait attendre le psaume 100 pour retrouver : « Cantique de David ». Mais la Septante et la Vulgate parlent de David pour tous les psaumes de cette série, sauf le 91 et le 99.)