Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12e dimanche après la Pentecôte

Les Pères interprètent la parabole du bon Samaritain à l'échelle de l'histoire universelle. Cet homme qu'on a dépouillé et qui gît à moitié mort au bord du chemin, n'est-il pas une image d'« Adam », de l'homme par excellence, qui en vérité « est tombé sur des bandits ». N'est-il pas vrai que l'homme, cette créature appelée homme, tout au long de son histoire, est aliéné, brutalisé, exploité ? L'humanité dans sa grande masse a presque toujours vécu sous l'oppression. Et inversement, les oppresseurs sont-ils la vraie image de l'homme, ou n'en donnent-ils pas plutôt une image dénaturée, avilissante ? Karl Marx a décrit de façon drastique « l'aliénation » de l'homme. Même s'il n'a pas réussi à atteindre la profondeur réelle de l'aliénation du fait que sa pensée était strictement matérialiste, il a livré une image très concrète de l'homme qui tombe aux mains de bandits.

Au Moyen Âge, les théologiens ont compris les deux indications que donne la parabole sur l'état de l'homme brutalisé comme l'expression d'une dimension anthropologique fondamentale. Il est dit de la victime de l'attaque qu'elle a été d'une part dépouillée, spoliée (spoliatus), d'autre part rouée de coups et laissée à moitié morte (vulneratus). Les scolastiques rapportaient cela à la double dimension de l'aliénation de l'homme. Il est spoliatus supernaturalibus et vulneratus in naturalibus, disaient-ils, c'est-à-dire spolié de la splendeur de la grâce surnaturelle qu'il avait reçue en don, et blessé dans sa nature. C'est bien une allégorie, et elle dépasse, c'est certain, le sens littéral des mots. Mais il s'agit tout de même d'une tentative pour préciser la nature de la double blessure qui pèse sur l'histoire de l'humanité.

La route de Jérusalem à Jéricho apparaît alors comme une image de l'histoire universelle, l'homme qui gît à moitié mort sur le bord comme une image de l'humanité. Le prêtre et le lévite passent leur chemin : l'histoire en elle-même, avec ses cultures et ses religions, ne constitue pas à elle seule la source du salut. Et si l'homme qui a été attaqué est par antonomase l'image de l'humanité, le Samaritain ne peut être que l'image de Jésus Christ. Dieu lui-même, qui est pour nous l'étranger lointain, s'est mis en route pour prendre soin de sa créature blessée. Dieu, si loin de nous, s'est fait notre prochain en Jésus Christ. Il verse de l'huile et du vin sur nos blessures, une image dans laquelle on a vu le don salvifique des sacrements, et il nous conduit jusqu'à l'auberge, c'est-à-dire l'Église, où il nous fait soigner en avançant même l'argent pour le coût des soins.

Dans le détail, les différents éléments de l'allégorie varient selon les Pères de l'Église, et nous pouvons sans crainte les laisser de côté. Mais la grande vision de l'homme aliéné et sans défense qui gît au bord de la route de l'histoire, et de Dieu lui-même qui, en Jésus Christ, est devenu son prochain, nous pouvons sans crainte la conserver, car c'est une dimension qui va au fond des choses et qui nous concerne tous. Le puissant impératif que recèle la parabole ne s'en trouve nullement affaibli, bien au contraire, c'est là qu'il prend sa dimension pleine et entière. Et c'est ce qui donne enfin toute sa portée au grand thème de l'amour, qui est le véritable point marquant du texte. Car nous nous apercevons à présent que nous sommes tous « aliénés », que nous avons tous besoin de la rédemption. Nous nous apercevons que nous avons tous besoin de l'amour salvifique dont Dieu nous fait don, afin d'être nous aussi capable d'aimer, et que nous avons besoin de Dieu, qui se fait notre prochain, pour parvenir à être le prochain de tous les autres.

Chaque homme est individuellement concerné par les deux personnages de la parabole. Car chacun de nous est « aliéné », aliéné aussi de l'amour (qui est l'essence de la « splendeur surnaturelle » dont nous avons été spoliés), chacun de nous doit nécessairement d'abord être guéri et recevoir l'offrande du don. Mais chacun d'entre nous devrait aussi se faire samaritain, suivre le Christ et devenir semblable à lui. Alors nous vivrons de manière juste. Nous aimerons comme il faut si nous devenons semblables à lui, qui nous a tous aimés le premier (cf. 1 Jn 4, 19).

Joseph Ratzinger, Jésus de Nazareth

Commentaires

  • Alors là! antonomase... j'ai dû prendre le dictionnaire.

  • Karl Marx, à partir de Shakespeare, a décrit la mécanique de l'aliénation de l'homme par l'argent ; comment l'argent fait croire à l'homme qu'il est ce qu'il n'est pas : puissant.
    J. Ratzinger a l'air de croire que l'oppresseur n'est pas lui-même opprimé ? ou que l'humanité compte des hommes qui ne sont ni opprimés, ni oppresseurs ??

Les commentaires sont fermés.