Il y avait dans Salamanque un cavalier, et une femme veuve, qui entretenaient ensemble un commerce d’autant plus scandaleux qu’ils tenaient un rang de distinction dans la ville. Saint Jean, qui veillait au salut de ces deux âmes, les ayant un jour aperçus tous deux au sermon, prêcha contre l’impureté avec tant d’énergie et d’onction que le cavalier, vivement touché et pénétré, au sortir du sermon suivit le prédicateur à son couvent, s’y enferma, et se fit religieux dans cette maison.
La dame, qui devait profiter de cet exemple, demeura dans son endurcissement ; elle entra en fureur, et conçut une telle rage contre le saint qu’elle prit la résolution de le faire mourir ; ce qu’elle exécuta par un poison lent, qu’elle lui fit donner. C’est ce que rapportent le cardinal d’Aragon et l’archevêque de Saint-Jacques, qui ont écrit sa vie.
Quelque temps après le sermon où assistèrent ce cavalier converti et la dame dont je viens de parler, le père Jean Facond se sentit attaqué d’une langueur mortelle ; et depuis ce temps-là la vie ne fut qu’une mort continuelle. C’est pourquoi il crut devoir pour lors se préparer à la mort, de la manière que les saints ont coutume de s’y disposer, c’est-à-dire par une résignation parfaite à la volonté de Dieu. Pendant sa langueur et ses souffrances, son ennui était de voir la fin de son pèlerinage différée ; s’il avait quelque plainte à la bouche, c’était celle du Prophète David : Multum incola fuit anima mea (ps. 119). Mon pèlerinage sur la terre ne finira-t-il jamais ? disait-il.
Après avoir avalé ce poison lent, qui fut cause de sa mort, il languit quelques mois, faisant toujours ses fonctions ordinaires. Il était prieur du couvent de Salamanque, et pendant cette langueur même il remplit toujours tous ses devoirs, sans en omettre aucun. Son âme profitait des faiblesses de son corps, et son amour divin toujours fervent était aussi toujours en action. Il prêchait encore, il confessait, il visitait les prisonniers, les pauvres et les malades, en un mot, la force de sa charité qui soutenait son corps tombé en défaillance le rendait présent partout, et de toutes parts utile à la gloire de Dieu et à l’édification du prochain.
Réduit à ne pouvoir plus sortir de sa cellule, il ne s’occupa qu’à s’entretenir avec les religieux du plaisir qu’il y a de servir Dieu. Les religieux s’affligeaient de sa maladie, et il les consolait, ils le soulageaient et lui les édifiait. Et comme ses forces se furent diminuées, et qu’il sentit approcher la mort, il demanda les derniers sacrements, et les reçut avec la piété la plus exemplaire : il marqua des humiliations si profondes qu’à tout moment, en présence de tous ses religieux, il se disait indigne de toutes les grâces qu’il avait reçues de Dieu : il demanda pardon à ses frères, et continua de les exhorter, comme il avait fait pendant toute sa maladie, à la fidélité de leur état, à l’observation de leur règle, à la conservation de la paix, qui régnait entre eux, et à ne souffrir jamais de relâchement dans leurs observances. Un certain moment, on vit son visage, que les travaux, la pénitence, et la longueur de la maladie avaient rendu sec et pâle, devenir frais, vermeil, reluisant, et de l’embonpoint d’un jeune homme vigoureux ; ce fut pour lors qu’il s’écria : C’est en vous, Seigneur, qu’est toute ma confiance. Un auteur écrit que Jésus-Christ lui apparut à ce moment. Ensuite il jeta les yeux sur un crucifix qu’il tenait en ses mains, et, son cœur faisant un dernier effort d’amour, donna assez de vigueur à sa langue pour prononcer ces paroles : C’est en vous, Seigneur, qu’est maintenant toute ma confiance, je remets mon esprit entre vos mains, un instant après élevant un peu sa voix moribonde, il dit une seconde fois : En vos mains, Seigneur, je recommande mon esprit. Ainsi au milieu de ses frères mourut frère Jean Gonçales de Sahagun, ou de Saint-Facond, religieux de l’ordre des ermites de saint Augustin, et prieur de leur couvent de Salamanque, l’an 1479, le 49e de son âge, le jour même de saint Barnabé 11 juin.
Extrait de l’Abrégé de la vie et des miracles de saint Jean de St Facond, dont j’avais recopié l’an dernier le passage sur le fait que ce saint voyait habituellement et longuement le Christ en célébrant la messe.