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Notules sur un concile (31) "Dignitatis humanæ" (1)

Le concile Vatican II innovait en promulguant des « déclarations ». Celles-ci venaient après les constitutions et après les décrets, sans qu’on sache quelle autorité l’autorité romaine voulait leur donner… Et la perplexité est encore plus grande quand on voit que sur le site du Vatican les déclarations sont entre les constitutions et les décrets…

En tout cas, les deux premières des trois déclarations, Dignitatis humanæ et Nostra ætate, ont fait couler beaucoup d’encre et sont même devenues d’une certaine manière des textes phares du concile. Et pas seulement pour les partisans de l’herméneutique de la rupture ou pour les contempteurs du concile, mais aussi pour les papes, comme on peut le constater dans maints discours. Benoît XVI le souligne même très fortement dans la préface qu’il a rédigée pour le recueil de ses interventions au concile comme théologien du cardinal Frings : « De manière inattendue, écrit-il après avoir évoqué Gaudium et spes, on ne trouve pas la rencontre avec les grands thèmes de l'époque moderne dans la grande Constitution pastorale, mais bien dans deux documents mineurs, dont l'importance est apparue seulement peu à peu, avec la réception du Concile. » Et il évoque alors les déclarations sur la liberté religieuse et sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes.

Dignitatis humanæ : comme son nom l’indique, on fait reposer la liberté religieuse sur la dignité de la personne humaine.

Le grand débat sur cette déclaration est de savoir si ce texte est en rupture ou non avec « l’enseignement infaillible » de Pie IX dans Quanta Cura et dans le Syllabus (notamment). Certains montrent que la contradiction est manifeste, d’autres ont écrit des milliers de pages pour montrer que la contradiction n’est qu’apparente et que finalement il y a bien continuité.

Ce débat me paraît parfaitement vain. C’est à peu près comme si on se demandait s’il y a contradiction entre le Deutéronome et le Code civil. La question ne se pose pas. Elle ne se pose pas parce qu’on compare ou qu’on oppose des textes qui n’ont pas d’autres points communs que certains mots, auxquels on veut donner la même valeur alors qu’ils ne l’ont pas.

Le grand malentendu sur Dignitatis humanæ est, mais ici de façon chimiquement pure, le malentendu qui règne sur le concile en général, et plus particulièrement sur Gaudium et spes. Non seulement ce concile s’est voulu pastoral, mais il a voulu s’adresser « à tous les hommes », comme le disait d’emblée son « Message » du 20 octobre 1962. Si certains textes ne peuvent concerner que les catholiques, d’autres sont censés concerner l’humanité tout entière, et la constitution Gaudium et spes s’adresse explicitement « à tous les hommes ».

Lorsque l’Eglise s’adresse à l’humanité tout entière, ce n’est évidemment pas pour préciser un point du dogme, ni pour confirmer ou battre incroyablement en brèche un « enseignement infaillible », c’est pour proposer, en tant qu’organisation sociale à laquelle on reconnaît une sagesse certaine, une règle de comportement qui serve le bien commun social.

J’ai fini par comprendre cela à force de lire les discours de Jean-Paul II puis de Benoît XVI adressés à des auditoires non catholiques, aux dirigeants politiques et aux ambassadeurs. Chaque fois qu’il est question de liberté religieuse, ces discours donnent l’impression que le pape n’est plus le pape. C’est qu’en effet il parle alors en tant qu’« expert en humanité », comme s’était défini Paul VI à l’ONU dès le 4 octobre 1965, deux mois avant la promulgation de Dignitatis humanæ.

La déclaration sur la liberté religieuse a un sous-titre : « Du droit de la personne et des communautés à la liberté sociale et civile en matière religieuse ».

L’expression « en matière religieuse » ne doit pas tromper. La matière de la déclaration n’est pas religieuse. La matière de la déclaration, c’est « la liberté sociale et civile » (dans les questions religieuses). Le texte n’est pas religieux. Il est social et civil. Il est donc vain de le comparer à un texte religieux, et plus encore à un texte religieux qu’on dit « infaillible ».

Commentaires

  • Le droit à la liberté religieuse est fondé sur la raison, c'est pourquoi il est opposable à tous.

    C'est un droit pivot parce que l'homme est un animal raisonnable. A ce titre il est capable de croyances (car il comprend que sa raison ne peut rendre compte de pourquoi il a été "jeté" là, lui corps et âme, corps avec son esprit incorruptible). Donc le droit à la liberté religieuse est le droit-pivot de tous les droits universels de l'homme. L'homme est religieux parce qu'il est raisonnable.

    Ce droit est profondément religieux, c'est parce que mon prochain a, lui aussi, été "jeté" là et qu'il a une vocation transcendante (qui n'est pas de monde) qu'il est fait pour Dieu que je dois respecter sa croyance ; car Dieu seul qui le connaît plus intimement qu'il ne se connaît lui-même (et a fortiori que je ne le connais moi-même). Dieu, qui lui a donné sa liberté, seul peut le juger. C'est donc en définitive Dieu qui m'ordonne de respecter la liberté religieuse de mon prochain. Ce qui ne veut pas dire qu'il peut croire n'importe quoi comme par exemple que battre son conjoint est agréable à Dieu ou qu'il faut tuer ceux qui ne partagent pas ses opinions, car l'homme est un bloc. Les droits de l'homme sont un bloc. La dignité de l'homme (due à sa vocation transcendante) est une règle juridique pour tous, qui s'impose à tous, même au Pape.

    Le fondement ultime de la dignité humaine se trouve en la vocation transcendante de l'homme. C'est donc dans la nature que se trouve le fondement de ce droit. La nature, le droit naturel est lui-même fondé dans la loi éternelle divine. Ce droit est opposable à tous, car accessible à la raison (ce qui est de foi n'est opposable qu'aux croyants, évidemment). Donc finalement, la liberté religieuse est un droit religieux c'est-à-dire qui nous relie à Dieu.

    Quant au Syllabus, il est évidemment fondé sur la liberté religieuse. Car la liberté religieuse était de fait déniée aux peuples catholiques par les libéraux des XVIIIe et XIXe siècles (et encore de fait maintenant par les laïcistes). Or le droit à la liberté religieuse est un droit individuel et collectif, et collectif (donc la société politique jouit du droit à la liberté religieuse étant observé que les droits de l'homme sont un bloc et que la société politique n'aurait aucun droit à abuser de cette liberté de confession (et non d'enseignement) de la foi contre les autres droits universels de l'homme en fragmentant la société).

    C'est pourquoi le Christ-Roi nous ordonne, à nous chrétiens, de respecter les droits fondamentaux de l'homme. Ceux qui pensent se battre pour le règne du Christ en luttant contre les droits de l'homme font une erreur profonde. J'ai posté sur mon blog sur le Christ défendant les droits universels de l'homme.

    Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si c'est un juif (René Cassin) qui a été le principal rédacteur de la Déclaration de 1948, c'est parce qu'il était profondément imprégné de la Thora (les dix commandements) qu'il a pu la rédiger. Accessoirement, cela démontre notre parenté spirituelle avec les juifs.

  • Il est un corollaire à la liberté religieuse, c'est que lorsque l'on entend un prêtre catholique prêcher le Coran, comme je l'ai entendu sur une radio "chrétienne" indépendante, non seulement ce prêtre se met en faute contre la foi catholique, mais surtout, il viole la liberté religieuse des auditeurs. Car il ne peut pas abuser de sa position de collaborateur de l'évêque pour enseigner la foi catholique en trompant la confiance des catholiques qui l'écoutent et qui ont UN DROIT NATUREL strict à se voir enseigner la foi.

    C'est pourquoi cet homme croyant agir pour la liberté religieuse, la viole obliquement, mais de façon encore plus méchante que n'ont jamais pu le faire Antiochus IV Epiphane, Néron, Staline ou Pol Pot réunis (car sa faute est d'un autre ordre). C'est dramatique, car ce pauvre homme se croit sans doute vachement sympa et pour la compréhension de tous par tous, vomissant Maurras et les intégristes, blablabla.

    S'il s'était proclamé imam en revanche, il n'aurait pas violé la liberté de croyance. Mais là objectivement il bafoue la liberté religieuse des chrétiens qui ont la liberté d'attendre qu'il leur prêche la foi catholique et non l'indifférentisme et le relativisme. (Ce prêtre faisait un parallèle neutre entre l'Abraham de la Bible et l'Abraham du Coran)

  • Il se croit aussi très fidèle à Vatican II et à Dignitatis humanæ.Il est dans un contre-sens (d'ailleurs commun aux lefebvristes et aux progressistes auto-proclamés tels).

  • Ce point que vous relevez "ces discours donnent l'impression que le Pape n'est plus le Pape" touche juste. Je suis toujours surpris et depuis des années d'entendre nos évêques et les chrétiens engagés en général donner l'impression qu'il y a deux vérités: une "seulement" chrétienne, et destinée exclusivement aux Chrétiens (une option en somme), et une vérité plus large, relevant d'une loi "naturelle", s'adressant à tous, en quelque sorte universelle et SUPERIEURE à la précédente. Lorsqu'ils parlent sur ce registre, ils ne parlent plus en dignitaires chrétiens mais en quelque chose de plus élevé, de plus respectable.
    Comme si le sel chrétien n'était plus assez savoureux,pas à la hauteur de ce monde, qu'il fallait absolument inventer autre chose. Et si c'était ça finalement "l'esprit du concile" ?

  • @ Philippe,

    L'humanité est divisée de croyances, c'est un fait historique. Mais même si l'humanité était unanimement catholique, il resterait cette articulation fondamentale de la foi chrétienne : la cléricité de ceux qui enseignent la foi d'une part et la laïcité de ceux qui mettent en œuvre la justice et la charité d'autre part.

    Le Pape ne peut donc faire abstraction de cette donnée évangélique fondamentale qu'est la laïcité.

    Du fait de la division de croyances, une certaine partie de l'humanité n'a que la raison pour se guider ou les vérités fragmentaires qu'ils trouvent dans leurs religions respectives. Mais ceux qui ont la foi ont la chance d'avoir une raison purifiée par la foi en même temps que leur raison purifie leur(s) religion(s).

    Je ne crois pas pouvoir faire mieux que de citer Deus caritas est § 28 (extrait) :

    « En ce point, politique et foi se rejoignent. Sans aucun doute, la foi a sa nature spécifique de rencontre avec le Dieu vivant, rencontre qui nous ouvre de nouveaux horizons bien au-delà du domaine propre de la raison. Mais, en même temps, elle est une force purificatrice pour la raison elle-même. Partant de la perspective de Dieu, elle la libère de ses aveuglements et, de ce fait, elle l’aide à être elle-même meilleure. La foi permet à la raison de mieux accomplir sa tâche et de mieux voir ce qui lui est propre. C’est là que se place la doctrine sociale catholique : elle ne veut pas conférer à l’Église un pouvoir sur l’État. Elle ne veut pas même imposer à ceux qui ne partagent pas sa foi des perspectives et des manières d’être qui lui appartiennent. Elle veut simplement contribuer à la purification de la raison et apporter sa contribution, pour faire en sorte que ce qui est juste puisse être ici et maintenant reconnu, et aussi mis en œuvre. »

    La foi ne s'impose pas, mais les conclusions de la droite raison s'imposent à tous. C'est pourquoi ceux qui ne veulent pas croire ne sont pas les destinataires d'un message qu'ils ne veulent pas entendre, mais il reste le langage de la raison, commun à l'humanité entière. Cette démarche raisonnable est toutefois rendue difficile, voire hasardeuse car les passions obscurcissent sa progression. La volonté risque donc d'opérer de mauvais choix. Aussi, l'aide ici de l'Eglise à l'humanité entière intervient pour soutenir les volontés en vue de la mise en œuvre pratique de la justice.

    C'est la mise en œuvre du mot d'ordre de Jésus : "Tout ce que vous voudriez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux." (Mathieu 7,12)

    C'est pourquoi le Pape s'adresse à l'humanité entière au nom de la raison.

    Cela ne veut pas dire pour autant que la foi soit à mépriser. Elle nous ouvre des horizons infiniment plus élevés au-dessus des horizons de rationalité. La charité est d'un ordre infiniment plus infini que l'ordre de la simple justice. Mais le Pape ne peut s'adresser à l'ensemble de l'humanité en ces termes puisque une partie de l'humanité qui pas la foi et ne veut ou ne peut entendre ces vérités.

    Même en faisant abstraction de ces données de fait, la distinction fondamentale qui est de la nature du christianisme entre cléricat et laïcat obligerait le Pape à distinguer ce qui est juste et ce qui est charité. Ce qui est données de la raison et ce qui est donnée de la foi lesquelles sans être séparée doivent être distinguées.

    D'ailleurs pourquoi l'Eglise s'adresse-t-elle à l'humanité comme "experte en humanité" ? Parce qu'elle n'a pas d'autre titre à le faire. Chacun son rôle. Si les humains doivent s'apercevoir que l'Eglise est plus qu'une simple experte que l'on consulte, car elle a les paroles de la vie éternelles, elle ne se reconnaît pas d'autre titre à parler aux humains qui n'ont pas la foi, que celui d'experte en humanité qui a près de 2 000 ans d'expérience (voire plus si on y ajoute l'ancienne synagogue dont elle est l'héritière).

    Ici comme dans beaucoup de matières, on rencontre ce qui est moralement et spirituellement nécessaire et obligatoire et ce qui est juridiquement seulement possible. Ainsi il est possible juridiquement qu'une communauté politique reconnaisse en l'Eglise un guide sûr, c'est même moralement une nécessité de salut de le revendiquer pour les fidèles, mais l'Eglise, elle, ne l'impose pas, elle le propose uniquement et elle dit aux autres, si vous ne me reconnaissez pas comme l'oracle de la doctrine divine, reconnaissez-moi, comme la raison vous le fait constater, comme experte en humanité.

    Il est nécessaire pour raisonner juste de toujours distinguer les ordres de pensées. Les principales distinctions en l'occurrence sont spiritualité, morale, droit et puis justice, charité, obligation, possibilité, rôle de clercs, rôle des laïcs (tous deux irréductibles l'un à l'autre) etc. Si l'on ne distingue pas avant de commencer à penser, on va nécessairement confondre et peut-être croire (et "démontrer" !) que le Pape a perdu la foi ou qu'il est "moderniste", ou bien comme les progressistes le croient que le Pape est enfin devenu relativiste et hostile à la chrétienté (deux erreurs symétriques, mas d'origine commune : la perte de la foi) etc.

  • Si les laïcs ne sont pas docteurs de la foi et n'ont aucun titre à enseigner la foi, en revanche ils peuvent ou plutôt doivent, selon les fonctions dont ils sont chargés dans la société enseigner la justice donnée de la raison. Ainsi les parents enseignent leurs enfants et ont un droit d'enseignement que leur a conféré la nature. Ainsi les tribunaux enseignent la justice peut-être plus qu'ils ne la rendent (jurisprudence). Le législateur doit aussi enseigner la loi naturelle en respectant et faisant respecter les valeurs de vérité, de justice, droits universels de l'homme.

    A mon avis, il ne serait pas tout à fait exact de prétendre que les laïcs n'ont pas de fonction d'enseignement, mais ils n'ont pas de fonction d'enseignement de la foi, ils la reçoivent, ils la confessent mais ils ne peuvent l'enseigner que par délégation. L'Etat, qui est laïc par essence, n'a pas de fonction directe (indirecte oui par les tribunaux, les lois etc.) et universelle d'enseignement même des données de la raison et encore moins d'une foi (il usurpe cette fonction avec l'Education nationale, alors que cette fonction appartient aux parents et à l'Eglise, les Etats islamiques, les Etats laIcistes, les Etats relativistes usurpent cette fonction eux aussi). Les parents, eux, ont une fonction directe d'enseignement des données de la raison, mais encore, par délégation de l'Eglise, de la foi. Les parents délèguent leur pouvoir à l'école de leur choix (choix que l'Etat devrait élargir et non restreindre comme il le fait indument, voire perversement, avec l'Education nationale). Mais l'école n'a qu'un pouvoir délégué d'enseignement du fait du contrat qui la lie avec les parents.

  • Cher Denis , je vous remercie de l'intérêt que vous avez porté à ma remarque
    Je la compléterai par deux points:
    Il est illusoire de croire que les gens qui n'ont pas la foi- dans nos pays ex-catholiques cela signifie majoritairement qu'ils la rejettent- admettront la moindre autorité à l'Église.

    Généralement je ne suis pas à l'aise avec la notion de loi naturelle.. La loi chrétienne est supérieure à la loi naturelle. Elle lui est même souvent contraire.
    Il me semble qu'on peut comprendre ainsi cette citation de saint Jean de la Croix que M.Daoudal nous a donnée aujourd'hui.
    "il a fait cesser tout ce qui restait du vieil homme, c'est-à-dire ses aptitudes naturelles, et a revêtu toutes ses facultés d'une nouvelle aptitude complètement surnaturelle, de telle sorte que ses opérations, d'humaines qu'elles étaient, sont devenues divines."
    Voilà ce que l'Eglise doit enseigner.

  • Merci de votre intéressante réponse.

    Les considérations sociologiques et historiques sont importantes. Mais d'une part, la chrétienté que nous pouvons ressusciter est très différente de la chrétienté historique. Des progrès en droit doivent être pris en compte.

    Pour ce qui est de votre deuxième remarque, je pense que la loi éternelle ne contredit pas la loi naturelle. La loi de la grâce n'annihile pas le droit naturel. Il n'y a donc pas opposition. Saint Jean de la Croix par son expérience mystique saisissait des vérités que je ne soupçonne même pas, mais cela ne veut pas dire que ce que je dis soit erroné.

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