Deux frères, jeunes par l’âge, qui s’étaient partagés peu auparavant l’héritage paternel, se disputaient la possession d’un lac, se querellant pour l’avoir chacun en entier et n’acceptant pas de le partager avec l’autre. Le maître est donc chargé du jugement. S’étant rendu sur les lieux, il avait tenté de se servir de ses propres lois pour l’arbitrage et avait poussé les jeunes gens à se réconcilier, les exhortant à s’entendre par amitié et à préférer l’avantage de la paix à ceux qu’ils tireraient des revenus de ce bien. (Il leur disait) que celle-là dure pour toujours pour les vivants et pour les morts, mais que de ceux-ci la jouissance est éphémère, alors que la condamnation pour injustice est éternelle, et tout ce qu’il convenait de dire pour calmer la fougue désordonnée de la jeunesse. Mais l’exhortation restait sans effet et cette jeunesse s’excitait et s’échauffait davantage les esprits, s’exaltant dans l’espérance du gain; on rassemblait de part et d’autres une armée d’esclaves; une multitude prête au meurtre, guidée par la colère et la jeunesse, se préparait, et le moment de l’affrontement était fixé - la bataille, pour les deux camps, devait éclater le lendemain.
L’homme de Dieu, qui était resté près du lac et avait veillé toute la nuit, fit voir un miracle semblable à celui que Moïse fit sur l’eau, non en séparant ses profondeurs en deux parties d’un coup de bâton, mais en le changeant soudain tout entier en terre ferme ; il fit voir à l’aube le lac asséché et tari, au point de n’avoir plus une trace d’eau dans aucun de ses creux, alors qu’avant la prière il était comme une mer. Pour lui, ayant jugé cette cause par la puissance divine, il se retirait chez lui, mais pour les jeunes gens, la sentence exprimée par les faits mit fin à la dispute : puisque n’existait plus ce pour quoi ils préparaient la guerre l’un contre l’autre, la paix succéda à la fureur et la nature se reconnut à nouveau entre les frères. Aujourd’hui encore, il est possible de voir les signes manifestes de cette sentence divine : tout autour de ce qui autrefois était le lac, il subsiste des traces de la présence de l’eau; mais tout ce qui était alors dans les profondeurs a été entièrement transformé en bois, lieux de résidence, prairies et champs cultivés.
Vie de saint Grégoire le Thaumaturge, par saint Grégoire de Nysse