L’« exposé préliminaire » prétend décrire « la condition humaine dans le monde d’aujourd’hui ». C’est une sorte de poussive dissertation de collège (même pas épiscopal), pleine de généralités et de banalités sur ce qui est bien et ce qui est moins bien dans le monde moderne… Il n’y a rien à en retenir, sinon la seconde partie du dernier paragraphe, où, tout de même, in fine, le concile se souvient qu’il parle au nom de l’Eglise et que l’Eglise a les paroles de la vie éternelle et qu’il n’y a pas d’autre nom que celui du Christ par lequel les hommes puissent être sauvés. Alléluia…
Vient enfin le corps de la constitution.
La première partie est intitulée L’Eglise et la vocation humaine. « Le concile se propose avant tout de juger à cette lumière [la lumière de la foi] les valeurs les plus prisées par nos contemporains et de les relier à leur source divine. » Vaste programme… Mais il est pour le moins hasardeux d’affirmer que « les valeurs les plus prisées » de l’homme d’aujourd’hui peuvent être reliées à leur source divine…
On entre dans le vif du sujet par cette affirmation : « Croyants et incroyants sont généralement d’accord sur ce point : tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet. »
Eh bien non. C’est un accord artificiel, qui n’existe que dans les mots utilisés à double sens. Pour le croyant tout doit être ordonné à l’homme parce que la destinée de l’homme est divine et que tout le créé doit servir cette destinée. Pour l’incroyant tout doit être ordonné à l’homme comme une fin en soi. Les deux perspectives sont radicalement différentes, et toutes les conséquences le sont également. En outre, déjà au temps de Gaudium et spes, il y avait des personnes qui n’étaient pas d’accord avec cet axiome : pour les écologistes les plus fanatiques, tout sur terre doit être ordonné à la Terre, où l’homme est un parasite destructeur.
On dira qu’il s’agit d’une captatio benevolentiae : on s’adresse à l’incroyant en lui disant que sur ce point il est d’accord avec nous, et c’est un prétexte pour lui expliquer ce que l’Eglise enseigne sur l’homme. Suit en effet un exposé sur l’homme créé à l’image de Dieu, sur le péché originel (sans que l’expression soit utilisée), sur la dignité de l’intelligence humaine qui participe de l’intelligence divine, sur la dignité de la conscience morale (1), sur la grandeur de la liberté, sur le mystère de la mort. On notera, sur la liberté, cette belle phrase (qui sera commentée par Jean-Paul II dans Veritatis splendor puis reprise par Benoît XVI dans sa lettre – en latin – au cardinal Sodano dont il faisait son légat pour le cinquantenaire de l’insurrection de Budapest, fête nationale hongroise de la liberté : « Vera libertas eximium est divinæ imaginis in homine signum » (la vraie liberté est en l’homme un signe privilégié de l’image divine).
Tout cela préparait un exposé sur l’athéisme, ses diverses formes, ses diverses causes… Avec un paragraphe qui est censé condamner le communisme soviétique, mais sans le dire (et il n’y aura rien d’autre sur le sujet, comme si c’était un point très secondaire dans « le monde de ce temps »-là) :
« Parmi les formes de l’athéisme contemporain, on ne doit pas passer sous silence celle qui attend la libération de l’homme surtout de sa libération économique et sociale. À cette libération s’opposerait, par sa nature même, la religion, dans la mesure, où, érigeant l’espérance de l’homme sur le mirage d’une vie future, elle le détournerait d’édifier la cité terrestre. C’est pourquoi les tenants d’une telle doctrine, là où ils deviennent les maîtres du pouvoir, attaquent la religion avec violence, utilisant pour la diffusion de l’athéisme, surtout en ce qui regarde l’éducation de la jeunesse, tous les moyens de pression dont le pouvoir public dispose. »
Suit un long résumé de la doctrine morale et de la doctrine sociale de l’Eglise, qui ressemble à une sorte de conférence à bâtons rompus, avec des propos parfois curieux ou ambigus, comme celui-ci sur une solidarité qui paraît verser dans le millénarisme, et qui conclut le chapitre 2 : « Cette solidarité devra sans cesse croître, jusqu’au jour où elle trouvera son couronnement : ce jour-là, les hommes, sauvés par la grâce, famille bien-aimée de Dieu et du Christ leur frère, rendront à Dieu une gloire parfaite. »
De temps en temps, le concile délaisse son austère exposé pour reprendre ses lunettes roses, ce qui donne par exemple :
« L’homme moderne est en marche vers un développement plus complet de sa personnalité. » On n’est plus au moyen âge… Certes, c’est pour expliquer que « quiconque suit le Christ, homme parfait, devient lui-même plus homme ». Mais ce n’est pas une raison…
(1) L’insistance sur ce point (il y a aussi, par exemple : « Cet Evangile (…) respecte scrupuleusement la dignité de la conscience et son libre choix ») marque l’influence de la pensée du cardinal Newman sur le concile, et prépare la déclaration Dignitatis humanæ.
Commentaires
Ce qui vous déroute, c'est que les conciles jusqu'à Vatican II, publiaient des textes de haute théologie. Vatican II a voulu vulgariser la doctrine chrétienne et s'adresser aux hommes même peu cultivés en matière religieuse. Dès lors la perspective change et on ne peut plus juger les anciens textes avec les mêmes critères que ceux employés pour les nouveaux.
Votre critique de "tout sur terre…" est bien trop sévère, voire, dans la perpective du texte lui-même, elle manque de fondement.
Le Concile s'adresse non à des gens très cultivés, mais à tout un chacun. Vous le savez vous même dont la profession est d'écrire, tout écrivain est obligé d'élaguer. Notre discours est toujours et nécessairement "à trous".
Or, ici nous trouvons dans le texte cet adverbe : "généralement" ; on doit en conclure que le texte ne prétend pas être exhaustif ; donc on ne doit pas comprendre tout le genre humain dans cette expression "croyants et incroyants".
En outre, il est bien certain que seul les croyants et les gens très au fait du problème philosophique posé par la pensée humaine, comprennent rationnellement que l'être humain a une destinée transcendante qui fonde ses droits universels. Les croyants, du fait de leur croyance, professent et pratiquent la solidarité universelle du chrétien. A mon avis le terme "incroyants" ne désigne pas les seuls athées, mais les infidèles en général. Les incroyants, en général (du moins à l'époque), comprenaient que l'homme était doté d'une dignité spéciale. Ils le comprenaient intuitivement sans pouvoir l'expliquer par des arguments rationnels. Pour eux, c'était un fait prouvé par les atrocités nationales-socialistes. Cette preuve, je vous l'accorde est très, très insuffisante. Mais on ne peut demander à ceux qui énoncent des vérités à y renoncer lorsque leur raisonnements antérieurs sont défectueux ou insuffisants.
Vous demandez ainsi à ce texte beaucoup plus qu'il ne veut ni ne peut donner. Ce texte prend les gens où ils sont. Ce n'est ni un traité, ni même un cours de philosophie chrétienne et encore moins une encyclopédie. C'est pourquoi, ce texte se qualifie lui-même de "pastoral", il ne dit rien de nouveau, il le dit différemment.
Pour moi, ce texte est génial, comme le petit catéchisme de saint Pie X est génial. Tous les mots portent. Le "Petit catéchisme" de saint Pie X faisait l'admiration de Gramsci alors que Gramsci n'était pas encore revenu dans le giron de la Mère Eglise, j'admire donc ce texte à l'exemple de Gramsci qui admirait le "Petit catéchisme".