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Notules sur un concile (15) Sacrosanctum concilium (4)

Le chapitre IV de Sacrosanctum concilium traite de l’office divin. On nous rappelle que c’est « la voix de l’Epouse elle-même qui s’adresse à son Epoux, et mieux encore la prière du Christ que celui-ci, avec son Corps, présente au Père ».

Mais ce chapitre est entièrement consacré à la réforme de l’office divin, donc du bréviaire, qu’on ose appeler « restauration » alors qu’il s’agit d’une démolition en règle.

« Puisque la sanctification de la journée est la fin de l’office, le cours traditionnel des Heures sera restauré de telle façon que les Heures retrouveront la vérité du temps dans la mesure du possible ». C’est pourquoi les matines seront « adaptées » de façon qu’elles puissent être dites… n’importe quand, l’on supprime l’heure de prime, et on ne garde qu’une des trois petites heures de la journée (sauf au chœur où les trois restent obligatoires).

Les lectures seront « mieux choisies » (parce que jusque-là on les avait mal choisies….), les vies des saints seront « rendues conformes à la vérité historique », c’est-à-dire dépendront des fluctuations de la critique historique considérée comme infaillible (1), les hymnes seront « rendues à leur forme primitive » et on en admettra d’autres « prises dans le trésor hymnodique » (ce qui est vrai pour l’office divin en latin, mais pas dans les traductions, où des liturgistes ont inventé, et toute humilité, des hymnes autrement plus belles que celles de saint Ambroise et de saint Grégoire…).

Le pire est le n. 91 : « les psaumes ne seront plus répartis sur une seule semaine, mais sur un laps de temps plus long ». Ce qui fut décidé ensuite est que ce serait sur quatre semaines.

Ce n. 91 est, à mon avis, le seul point de tout le Concile Vatican II qui soit totalement irréductible à une « herméneutique de la réforme dans la continuité ». Car il s’agit ici d’une évidente et incontestable rupture. La récitation du psautier dans la semaine a toujours et partout constitué la base de l’office divin. Avant même le christianisme, les juifs pieux le faisaient, et depuis lors, ce fut une règle intangible dans tous les siècles et dans toutes les Eglises d’Orient comme d’Occident.

La raison est qu’à notre époque on n’aurait plus le temps de dire tout le psautier. C’est une absurdité, ou plutôt un mensonge. Car on a le temps de discuter de tas de choses inutiles dans des réunions à n’en plus finir dans les conseils de ceci et les comités de cela, on a le temps de fabriquer de vaines néo-liturgies et de mirifiques pastorales qui resteront lettre morte. Au XVIe siècle déjà on avait inventé un bréviaire plus court (mais qui gardait les 150 psaumes dans la semaine), et le pape avait permis qu’on l’utilise (il ne l’avait pas imposé, comme Paul VI). On pensait qu’un tel bréviaire conviendrait particulièrement à des missionnaires comme saint François Xavier. Mais saint François Xavier refusa le nouveau bréviaire : il savait que pour que son apostolat soit fécond, il ne devait certainement pas réduire son temps de prière.

Comme une rupture ne peut qu’en entraîner d’autres, la mise en œuvre de celle-ci a constitué le plus énorme scandale qu’il y eut jamais dans l’histoire de la liturgie. Car on ne s’est pas contenté de répartir les psaumes sur quatre semaines. On a réservé certains psaumes à certains temps liturgiques, et surtout on a censuré les psaumes. On a censuré la parole de Dieu. On a censuré la prière que Dieu nous avait donnée pour aller vers lui. On a carrément supprimé des psaumes, et on en a mutilé de nombreux autres (2) : les clercs (et les fidèles) qui suivent le nouvel office divin ne disent donc jamais tout le psautier.

Cette destruction de l’office divin, qui a été quasi universellement acceptée, vient de ce que les prêtres (et d’abord les évêques) considéraient le bréviaire comme un pensum, qu’il fallait donc alléger. Dire le bréviaire était une des « obligations » du prêtre, et il « perdait son temps » à réciter ces vieilleries. Alors qu’il s’agit du cabinet secret où se fait l’échange de lettres d’amour entre Dieu et l’homme, et qui devient le cellier de la rencontre, voire la chambre nuptiale. Il est difficile d’aller plus loin dans l’incompréhension, la myopie, ou plutôt l’aveuglement spirituel.

Le chapitre se termine par un paragraphe sur la langue de l’office. Et là, on découvre que la quasi totalité des clercs désobéissent au concile… En effet, il est édicté que « selon la tradition séculaire du rite latin dans l’office divin, les clercs doivent garder la langue latine ». Or la plupart des clercs (en tout cas chez nous) disent leur office en langue vulgaire. Et c’est ce qui a été voulu après le concile, et c’est ce que l’on voit même en filigrane dans le texte de Sacrosantum concilium. Car si certains versets posent des problèmes aux sensibilités contemporaines, c’est, comme le soulignera Paul VI, dans leur traduction en langue vulgaire.

Or ici, il n’y a pas d’échappatoire comme pour la messe, où l’on commence par affirmer que la langue est le latin, avant de commencer à dresser la liste des exceptions qui finiront par devenir la règle. Ici il y a bien des exceptions, mais elles sont explicitement limitées aux « cas individuels » de clercs pour lesquels la langue latine est un « empêchement grave à acquitter l’office divin », et aux… moniales (sic).

Le chapitre V concerne l’Année liturgique, qu’il va falloir aussi « réviser ». Je ne retiens qu’une des indications, concernant le carême. Il est dit que l’on mettra davantage en lumière les « éléments pénitentiels ». Or on constate que la liturgie traditionnelle rappelle tous les jours que le carême est une période de jeûne, et que la nouvelle liturgie a quasiment supprimé toute mention du jeûne (et toute pratique du jeûne).

Le dernier chapitre concerne « l’art sacré et le matériel du culte ». Il a été en général (dans nos pays) appliqué exactement à l’envers. Le texte souligne qu’il faut conserver avec le plus de soin possible les trésors artistiques qui nous ont été légués, qu’il faut promouvoir un art « véritablement sacré », qu’il faut veiller à ce que les ornements sacrés et le mobilier ne soient pas aliénés ou détruits, qu’il faut imprégner les artistes de l’esprit de l’art sacré et de la liturgie, etc. Il est dit aussi que :

« On maintiendra fermement la pratique de proposer dans les églises des images sacrées à la vénération des fidèles ; mais elles seront exposées en nombre restreint et dans une disposition appropriée, pour ne pas susciter l’étonnement du peuple chrétien et ne pas favoriser une dévotion mal réglée. »

« En nombre restreint », dit la traduction française. « Moderato numero », dit le latin : « en nombre modéré, dans une juste mesure ». Ce n’est pas la même chose, et ça ne veut pas dire qu’on devra les supprimer. Quant à l’expression « pour ne pas susciter l’étonnement du peuple chrétien », elle est fort curieuse. Le latin dit : « admirationem inficiant ». Je traduirais plutôt : « pour ne pas souiller l’admiration du peuple chrétien »

 

(1) C’est ainsi qu’ayant passé la journée d’un 10 août dans un monastère, j’appris que saint Laurent n’avait certainement pas été brûlé sur un gril, et trois ou quatre ans plus tard, dans le même monastère, j’appris que saint Laurent avait effectivement été brûlé sur un gril…

(2) La raison est qu’il y a des versets, et des psaumes, violemment « imprécatoires », qui ne correspondraient pas aux « valeurs évangéliques ». Outre que ces censeurs ont dû également censurer leurs exemplaires des évangiles (qui ne sont pas toujours « évangéliques » au sens sucré et châtré qu’il donnent à ce mot), ils font l’impasse sur toute la tradition exégétique des pères de l’Eglise qui ont tous expliqué que ces versets concernaient le démon, les tentations, et non des hommes. Il est ahurissant de constater que même le psaume 109, le psaume messianique par excellence, celui que cite le Christ pour prouver qu’il est à la fois le fils de David et le Fils de Dieu, a été censuré… Il en est de même de versets des psaumes 68 et 108 qui ont pourtant été expliqués par saint Pierre en personne dans les Actes des apôtres…

 

Commentaires

  • Bonjour,

    Permettez-moi de revenir sur ce sujet ancien.
    Je défends une herméneutique de reforme dans la continuité plutôt qu'une herméneutique de rupture.

    Je ne pense pas que la répartition sur quatre semaines soit une mauvaise idée.
    On voit aujourd'hui que cette réforme a mis la prière de l'Eglise à la portée des laïcs, car l'office est plus léger et on peut facilement prier tous les offices du jour.
    Par ailleurs, on parcours plus de psaumes, même si ce parcours se fait sur quatre semaines, donc moins répétitifs.
    La popularité du fameux ouvrage Prière du Temps Présent, quoi qu'on en pense, est là pour le confirmer.
    A l'inverse, le bréviaire de 1961, et encore plus le bréviaire monastique, sont trop exigeants pour une vie active laïque classique.

    Le seul problème est d'avoir voulu imposer cet allègement à tous, jusqu'à rompre avec la tradition du psautier récité sur une semaine.
    Il y a une solution de continuité qui consiste à conserver le psautier en l'état tout en prévoyant des parties optionnelles et différentes répartitions en fonction de différents états de vie. C'est une solution à l'orientale qui va à l'encontre des habitudes romaines d'imposer la même chose à tous.
    On a eu tord de prendre les directives du Concile sur la réforme liturgique
    sans recul et sans intelligence. C'est bien dommage.

  • Comme le suggère Quaerere Deum, ce genre de texte sont des textes qui ne peuvent qu'autoriser et non interdire. En effet, la liberté religieuse, qui est un droit inamissible de l'homme interdit aux clercs et même au pape, d'interdire des façons de prier canonisées par des papes plus anciens.

    C'est pourquoi on ne peut que constater avec consternation que le clergé de l'époque du Concile (et même celui d'aujourd'hui) piétine avec fureur la liberté religieuse des chrétiens ainsi que leur droit à la culture, qui sont des droits naturels, avec pour seuls titres des "travaux" de prétendus "spécialistes" se moquant des catholiques pieux au nom d'une "vérité scientifique" qui n'est, en réalité, qu'une des dernières élucubrations rationalistes. Ces faits sont constitutifs de véritables crimes, bien pires que les crimes sexuels.

    Il est intéressant de constater que le pape de la liberté religieuse et de Dignitatis humanæ est le même qui a le plus violé la liberté des fidèles et du clergé.

    Le droit à la liberté religieuse est certes opposable aux autorités politiques, mais encore à tout pouvoir, y compris le pouvoir ecclésiastique qui ne peut imposer arbitrairement une façon de prier. Or une condamnation d'une façon de prier préalablement approuvée par un Pape ne peut être qu'arbitraire.

    Voici un passage de Dignitatis humanæ § 2 (extrait) sur le droit naturel et universel et opposable à tous, de la personne humaine à la liberté religieuse.

    « Ce Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être exempts de toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres. Il déclare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même [2]. »

    http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651207_dignitatis-humanae_fr.html

    Ce droit de la personne humaine nous est connu non seulement par la Parole de Dieu, mais encore par la raison. Ce droit est donc opposable aux autorités religieuses, dans la mesure de la foi (les autorités religieuses sont des autorités parce que nous avons la foi). Il ne s'agit pas ici de "discipline", car la façon de prier n'est pas du domaine de la discipline, mais de la conscience dans la mesure où cette dernière respecte les dogmes de foi, bien sûr. Mais ici le dogme nous enseigne que les prières éditées par le Pape (même ancien) sont nécessairement exemptes d'erreurs, voire de simple entraînement à l'erreur.

    Donc l'autorité ecclésiastique et même le Pape ne peuvent interdire, ni même empêcher l'utilisation de prières éditées par un Pape, même mort depuis longtemps. C'est d'ailleurs pourquoi par sa distinction entre "forme ordinaire" et "forme extraordinaire", le Motu proprio du 7/7/7 bafoue la liberté religieuse des communautés catholiques.

    C'est pourquoi le texte de Sacrosanctum Concilium ne peut être lu que comme une autorisation et non comme une obligation, exactement comme le statut du bréviaire simplifié et refusé par saint François Xavier. Il avait la possibilité, sans péché, de faire, il était autoriser à faire, il a refusé de faire parce que cela ne lui convenait pas.

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