Et voici donc les « normes » qui vont permettre « la restauration de la liturgie » (on a perdu le « progrès » en route).
Tout d’abord on affirme que le gouvernement de la liturgie dépend du Siège apostolique, et dans certaines limites aux assemblées d’évêques, et que par conséquent « absolument personne d’autre, même prêtre, ne peut, de son propre chef ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie ». Ce passage apparaît aujourd’hui comme une blague, une sinistre blague, puisqu’on voit tant de prêtres inventer leur liturgie, ou se voir imposer une liturgie par l’équipe d’animation liturgique locale, sans que l’évêque ne lève le petit doigt, pour la bonne raison que l’évêque fait pire encore (1).
On rappellera tout de même, à l’intention de ceux qui croient le contraire, que le concile dit ça…
Il est précisé ensuite : « On ne fera des innovations que si l’utilité de l’Eglise les exige vraiment et certainement, et après s’être bien assuré que les formes nouvelles sortent des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique ».
Ceci est extrêmement important : il s’agit en effet du grand principe de toute restauration et de tout « progrès », au sens de croissance. Le cardinal Ratzinger a constaté, à maintes reprises, que pour la première fois dans l’histoire de l’Eglise on avait mené, après le concile, une réforme liturgique qui n’était pas en continuité des formes existantes par un développement organique, mais qui était en rupture avec ces formes, et qui était le fait d’intellectuels qui fabriquaient une néo-liturgie, et qui ont été eux-mêmes dépassés par des curés et des équipes d’animation liturgique qui ont transformé la messe en un show…très peu artistique. On remarquera que dans la lettre aux évêques qui accompagne le motu proprio Summorum Pontificum (mais pas dans le texte du motu proprio), le pape Benoît XVI a semblé oublier ce qu’avait écrit à plusieurs reprises le cardinal Ratzinger : il affirmait que « l’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture »... Mais c’était pour tenter d’amadouer des évêques hostiles, et pour tenter de faire passer les deux phrases suivantes : « Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste. Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Eglise, et de leur donner leur juste place. » Et ce n’était pas facile à faire passer, car Benoît XVI s’opposait ici à Paul VI, qui avait interdit l’ancienne messe. Mais le missel promulgué en 1962 n’a jamais été (juridiquement) abrogé, soulignait le pape dans le motu proprio lui-même… Autrement dit l’interdiction de Paul VI était arbitraire, nulle et non avenue…
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On remarque que le paragraphe 30, qui évoque la « participation active », parle effectivement d’activités diverses (acclamations, réponses, chants, attitudes corporelles), mais se conclut par : « On observera aussi en son temps un silence sacré ». Mais comme la nouvelle messe a détruit le sens du silence sacré, on a dans le meilleur des cas une sorte d’incongrue minute de silence après le sermon, comme s’il fallait puissamment réfléchir aux paroles géniales du curé…
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Viennent ensuite les « normes tirées de la nature didactique et pastorale de la liturgie ».
Cela commence ainsi : « Bien que la liturgie soit principalement le culte de la divine majesté… » Et l’on oublie aussitôt ce « principalement » pour ne parler que du « didactique ». Les rites devront être simples, brefs, « adaptés à la capacité des fidèles » (sic : quand on pense aux innombrables fidèles des campagnes ou des faubourgs qui étaient de plain-pied avec la messe ancienne et qui chantaient le commun à pleine voix, on mesure le mépris des « experts » qui ont rédigé cela).
« On restaurera une lecture de la Sainte Ecriture plus abondante, plus variée et mieux adaptée. » Est-on sûr qu’il s’agisse d’une restauration ? Est-il judicieux d’essayer de copier ce qui se faisait avant le VIe siècle ? Cela implique-t-il d’étendre les lectures sur trois ans ? Où a-t-on vu une telle extension qui détruit l’unité de l’année liturgique ? Et là aussi, que veut dire « mieux adaptée » ? Et pourquoi faudrait-il lire plus abondamment l’Ecriture à la messe, alors que la messe est « principalement le culte de la divine majesté » et que Dei Verbum incite les fidèles à lire l’Ecriture pour nourrir leur vie spirituelle et qu’aujourd’hui tout le monde sait lire ?
Et voici tout à coup :
« L’usage de la langue latine sera conservé dans les rites latins. »
On constate que cette affirmation est un peu en porte à faux avec ce qui précède. A moins que le latin ait lui aussi une « nature didactique » : pour mieux exprimer le mystère, par exemple. Mais il n’y a aucune indication en ce sens. En revanche on ajoute aussitôt qu’on pourra accorder « une plus large place » à la langue du pays, dont l’emploi « peut être souvent très utile pour le peuple ». Mais il est précisé : « Surtout dans les lectures et les monitions, dans un certain nombre de prières et de chants. » Ce qui exclut donc que toute la liturgie soit en langue vulgaire, conformément au principe énoncé : « L’usage de la langue latine sera conservé dans les rites latins. » Par conséquent Paul VI était en totale contradiction avec le concile lorsque, dans son discours du 26 novembre 1969, où il insistait sur le caractère obligatoire de sa nouvelle messe, il expliquait pourquoi il fallait abandonner le latin et le chant qui allait avec (2)…
Or bien entendu dans la chapitre VI sur la musique sacrée, il est dit que « l’Eglise reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de liturgie romaine », qui doit donc « occuper la première place ». Et l’on ajoute que « le trésor de la musique sacrée sera conservé et cultivé avec la plus grande sollicitude ». Interprété selon « l’esprit du concile » : ce trésor sera jeté aux poubelles de l’histoire avec la plus grande violence et le plus grand mépris des fidèles dont c’était une voie privilégiée de prière.
Auparavant, le chapitre I s’est terminé par des considérations sur le « développement de la pastorale liturgique ». Ainsi « le Concile décrète » la création au niveau national d’une Commission liturgique qui sera aidée par un Institut de pastorale liturgique, et la création dans chaque diocèse d’une commission liturgique, d’une commission de musique sacrée, d’une commission d’art sacré. On sait ce que cela a donné…
A ce propos, nous avons le témoignage de Joachim Havard de la Montagne, qui fut le grand maître de chapelle de l’église de la Madeleine à Paris de 1967 à 1996 :
« A propos des transformations liturgiques qui ont suivi, dans le plus grand désordre, le Concile de Vatican II et qui sévissent encore, hélas, Olivier Messiaen disait : "Très franchement, je pense qu’il n’y a qu’une seule musique liturgique valable : le plain-chant. On n’a jamais fait mieux et on ne fera jamais mieux ! D’une part, parce que c’est une musique monodique, composée à une époque où l’on ne connaissait pas l’embarras de l’harmonie et des accords. Le seconde raison, qui me remplit d’admiration : le plain-chant n’a pas d’auteur, il a été écrit par des moines anonymes. Cela paraît extraordinaire ! Je n’imagine pas un compositeur du XXe siècle se refusant à signer son œuvre."
« Pour ma part j’ai le souvenir personnel de Messiaen préoccupé par la liturgie. Peu après la mise en place désordonnée des reformes liturgiques de Vatican II, une Commission de Musique Sacrée fut créée à Paris par l'Archevêché sous la présidence de Mgr Delarue, alors archidiacre du diocèse. Je fus convié à en faire partie avec Gaston Litaize, le Chanoine Revert, le Père Martin et d'autres personnalités. C’est ainsi que je me suis trouvé aux côtés de Messiaen convié également. Ce dernier, comme nous tous, devait bien vite abandonner cette Commission, aucun compte n'étant tenu de nos suggestions, de nos protestations... ni des textes officiels de la Constitution sur la Liturgie que nous tentions de rappeler. La Commission devait donc mourir rapidement faute de combattants ! »
Du moins la commission composée de réels musiciens…
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(1) D’aucuns trouveront que je généralise indûment. Ils auront raison. Mais les exceptions sont des exceptions.
(2) « Ce n'est plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de la messe. Pour quiconque connaît la beauté, la puissance du latin, son aptitude à exprimer les choses sacrées, ce sera certainement un grand sacrifice de le voir remplacé par la langue courante. Nous perdons la langue des siècles chrétiens, nous devenons comme des intrus et des profanes dans le domaine littéraire de l'expression sacrée. Nous perdrons ainsi en grande partie cette admirable et incomparable richesse artistique et spirituelle qu'est le chant grégorien. Nous avons, certes, raison d'en éprouver du regret et presque du désarroi. Par quoi remplacerons-nous cette langue angélique ? Il s'agit là d'un sacrifice très lourd. Et pourquoi ? Que peut-il y avoir de plus précieux que ces très hautes valeurs de notre Eglise ? La réponse semble banale et prosaïque, mais elle est bonne, parce que humaine et apostolique. La compréhension de la prière est plus précieuse que les vétustes vêtements de soie dont elle s'est royalement parée. Plus précieuse est la participation du peuple, de ce peuple d'aujourd'hui, qui veut qu'on lui parle clairement, d'une façon intelligible qu'il puisse traduire dans son langage profane. » (Avec la réussite que l’on sait : en 1954, 34% des Français disaient aller à la messe chaque dimanche, en 1972 20%, et en 2009 4,5%.)
Commentaires
Une question : un ami prêtre m'a dit que la notion d'activité désignant la participation des laïcs à la messe, pouvait être écrit de deux façons, l'une étant plus spirituelle que physique. Les Pères du Concile auraient employé le sens spirituel. Qu'en pensez-vous ?
Il serait intéressant de savoir à quel autre mot pense ce prêtre. A priori le mot "actuosus" du concile est simplement le mot normal pour dire "actif", surtout dans une expression comme "participation active". Il y a d'autres mots, mais qui s'emploient pour parler de quelqu'un qui est actif ("impiger", "strenuus", voire "acer") mais il ne me semble pas qu'ils conviendraient pour parler d'une participation active, qu'elle soit physique ou spirituelle. (Quant à "activus" qui a donné le français "actif", il s'emploie surtout en grammaire: pour la forme active des verbes.)